Personnes disparues : une préoccupation humanitaire majeure

28-08-2009 Interview

Les familles des personnes disparues souffrent énormément de ne pas connaître le sort de leurs proches dont on a perdu la trace lors de conflits armés ou de situations de violence interne. Morris Tidball-Binz, médecin légiste au CICR, explique le rôle de la médecine légale dans l'élucidation du sort des personnes disparues.

     

     
   
    Morris Tidball-Binz      
          On n'associe généralement pas la médecine légale à l'action humanitaire. En quoi cette science aide-t-elle le CICR à remplir son mandat humanitaire ?  

En vertu du droit international humanitaire, les parties à un conflit armé doivent contribuer à élucider le sort des personnes disparues et veiller à ce que les restes humains soient pris en charge de manière appropriée et dans la dignité.

La médecine légale est reconnue comme indispensable pour récupérer, prendre en charge et identifier comme il se doit les dépouilles des personnes disparues, de même que pour identifier les vivants.

Le CICR est la seule organisation humanitaire à avoir des compétences en médecine légale. Il est doté d'une équipe d'experts spécialisés dans la résolution des cas de personnes disparues, qui dispense des conseils techniques et soutient le renforcement des capacités médicolégales dans le but d'apporter des réponses aux familles.

  Comment la médecine légale contribue-t-elle à faire la lumière sur le sort des personnes disparues, et pourquoi est-ce important pour les familles ?  

La médecine légale peut apporter des réponses objectives quant à l'identité et au sort des personnes disparues, qu'elles soient décédées ou encore en vie. Elle s'appuie sur plusieurs disciplines, qui sont de plus en plus souvent utilisées conjointement par des équipes médicolégales pluridisciplinaires. Parmi ces disciplines figurent notamment l'anthropologie et l'archéologie, la pathologie, la prise d'empreintes, la dentisterie et la génétique, y compris les analyses d'ADN à fins médicolégales.

 
"La médecine légale est reconnue comme indispensable pour récupérer, prendre en charge et identifier comme il se doit les dépouilles des personnes disparues, de même que pour identifier les vivants." 
 

Chacune de ces disciplines peut permettre de découvrir des informations clés nécessaires à l'identification d'une personne disparue. Le pathologiste effectue une autopsie pour déterminer les caractéristiques physiques d'une personne, ainsi que la cause et les circonstances du décès. Il peut établir un profil de l'individu et le comparer ensuite avec les informations relatives à une personne disparue, dans l'espoir qu'ils concordent.

L'anthropologue médicolégal analyse les restes de squelettes humains pour déterminer notamment l'âge, le sexe, la stature ou l'ascendance de la personne.

Le généticien spécialisé en médecine légale peut comparer l'ADN d'un enfant séparé de sa famille avec celui de parents biologiques pour confirmer son identité. Les analyses d'ADN peuvent aussi contribuer à identifier des restes humains.

L'archéologue spécialisé en médecine légale veille à ce que les restes humains et les preuves associées soient pris en charge correctement, de manière à obtenir le plus d'informations possible pour favoriser l'identification.

Le recours à la médecine légale pour élucider le sort des personnes disparues est relativement récent. La première banque de données génétiques officielle pour la recherche de personnes disparues a été créée en Argentine en 1987, en réponse directe aux besoins des familles. Les grands-mères des enfants qui avaient disparu avec leurs parents ont lancé un appel à la communauté scientifique internationale pour qu'elle s'emploie à mettre au point de nouvelles méthodes et techniques médicolégales (notamment en génétique médicolégale) dans le but de rechercher, identifier et récupérer leurs petits-enfants. L'incroyable détermination de ces femmes a ouvert la voie au développement et à l'application d'une nouvelle branche de la médecine légale, qui est aujourd'hui utilisée dans le monde entier.

  Quels sont les défis que pose l'emploi de la médecine légale pour identifier des personnes disparues ?  

Il y en a plusieurs. D'abord, pendant un conflit et immédiatem ent après, la recherche des personnes disparues est souvent un besoin urgent parmi de nombreux autres, mais rarement une priorité. Mener des enquêtes médicolégales sur les personnes disparues exige des ressources financières et humaines qui ne sont pas toujours facilement disponibles au lendemain d'un conflit.

De plus, les personnes disparues sont souvent issues de communautés pauvres et n'ont pas toujours de dossiers médicaux ou dentaires, susceptibles de faciliter considérablement l'identification.

 

       
©CICR / B.Heger / pe-e-00118      
   
    Accomarca district, Peru. District d' Accomarca, Pérou. Exhumation en cours. On estime qu'environ 200 personnes ont disparu à Accomarca lors du conflit armé.      
         

Les enquêtes médico légales peuvent s'avérer dangereuses et donner lieu à des menaces ou des attaques de différentes factions. Les enquêteurs peuvent aussi être exposés à d'autres risques, comme les restes explosifs de guerre.

S'ils veulent mener des enquêtes médicolégales sur les personnes disparues, les pays doivent investir dans des ressources humaines et techniques qui peuvent être largement au-dessus de leurs moyens. Pour remédier à ce problème à l'échelon mondial, le CICR propose des formations, de l'équipement et des conseils visant à renforcer durablement les capacités locales en matière de médecine légale.

Depuis plusieurs années, nous dispensons des formations en médecine légale aux praticiens locaux en Irak, et fournissons du matériel aux services médicolégaux pour assurer une prise en charge et une identification correctes des restes humains. En Iran, nous avons organisé des formations et fourni des capacités d'analyse d'ADN pour aider les praticiens et les institutions chargés d'identifier les victimes de la guerre. En outre, le CICR soutient les deux pays dans leurs efforts conjoints pour récupérer et identifier les dépouilles des personnes disparues à la suite de la première guerre du Golfe. Cette assistance inclut notamment une base de données créée par l'institution pour recueillir, traiter et analyser de gros volumes de données médicolégales.

Ces dernières années, la médecine légale a été très présente dans les médias, qui l'ont souvent décrite – à tort – comme un outil infaillible. Répondre aux attentes ainsi créées peut s'avérer compliqué. La médecine légale ne peut pas résoudre tous les problèmes. Même avec les ressources adéquates, il est parfois impossible de récupérer ou d'identifier certains corps. Pour les proches des disparus, mais aussi pour le grand public, comprendre ces limites et les accepter peut être très difficile.

  Dans quels cas la médecine légale est-elle utilisée pour identifier des personnes ? Y a-t-il des contextes dans lesquels les résultats obtenus sont particulièrement concluants ?  

Le problème des personnes disparues est universel. Partout où un conflit armé a fait rage, des personnes ont disparu. Le problème peut perdurer sur plusieurs générations. C'est notamment le cas en Espagne, où des familles attendent toujours des réponses sur leurs proches disparus pendant la guerre civile. Dans ce contexte, la médecine légale est de plus en plus utilisée pour récupérer et identifier des restes humains.

Le cas de Chypre est une réussite exemplaire : le CICR a fourni conseils et soutien pour mettre sur pied une équipe permanente de scientifiques locaux spécialisés en médecine légale. Composée de praticiens de la médecine légale d'origines tant grecque que turque, cette équipe combine plusieurs disciplines, dont l'archéologie, l'anthropologie et la génétique. Elle travaille en collaboration avec les familles des personnes disparues et constitue un modèle de bonnes pratiques.

Dans les Balkans, des milliers de personnes disparues ont été récupérées et identifiées grâce à des enquêtes médicolégales de grande envergure, faisant appel à des méthodes et à des technologies novatrices en la matière.

Au Moyen-Orient, l'Iran, l'Irak, le Koweït et le Liban déploient des efforts remarquables pour apporter des réponses aux familles qui ont perdu un proche à la suite des conflits armés dans la région.

Les enquêtes se poursuivent dans plusieurs pays d'Amérique latine, dont l'Argentine, la Colombie, le Chili, le Guatemala et le Pérou.

De nombreux pays africain s, notamment l'Angola, l'Éthiopie, le Kenya, le Maroc, la Sierra Leone et l'Afrique du Sud, ont lancé des initiatives de médecine légale.

En Asie, des enquêtes médicolégales sont en cours dans plusieurs pays (le Timor oriental, le Népal, les Philippines et Sri Lanka) en vue de retrouver des personnes portées disparues.

Dans la plupart des contextes et des pays où des enquêtes sont en cours pour rechercher des personnes disparues, le CICR fournit des conseils techniques et soutient le renforcement des capacités médicolégales. L'objectif est d'apporter des réponses aux familles affligées et de veiller à ce que leur droit de savoir soit respecté.