Pakistan : priorité à la protection des civils alors que la violence s'intensifie
23-10-2009 Interview
Le coût humain de la violence au Pakistan continue d'augmenter. Conséquence des opérations militaires dans le Sud-Waziristan et d'une vague d’attentats suicides, le nombre de prisonniers, de personnes déplacées et de victimes, en particulier des civils, ne cesse de croître. Les organisations humanitaires ne peuvent pas intervenir au Waziristan, où il semblerait que 60 000 habitants aient dû fuir de chez eux. Les besoins les plus urgents sont la protection contre la violence, le respect des principles élémentaires du droit humanitaire, la protection des détenus, l’accès des organisations humanitaires et la fourniture d'aide aux personnes qui en ont besoin. Entretien avec Jacques de Maio, chef des opérations du CICR pour l’Asie du Sud.
La montée en puissance des opérations militaires du Sud-Waziristan doit être resituée dans le contexte de la violence armée qu'ont connue et que connaissent actuellement la province de la Frontière du Nord-Ouest et les zones tribales (tribal agencies), ainsi que de la vague d’attentats suicides qui frappe tout le Pakistan. Il ne faut pas oublier non plus l’intensification du conflit armé de l’autre côté de la ligne Durand, en Afghanistan.
Dans ce contexte plus large, ce que nous observons actuellement est une forte augmentation du nombre de victimes civiles, de détenus et de personnes déplacées. Pour les institutions humanitaires, la situation des personnes prises au piège dans les zones de combat à proprement parler, surtout des blessés et des malades, est évidemment aussi très préoccupante.
En ce qui concerne le Waziristan en particulier, le manque d’accès nous empêche d’avoir une idée précise des besoins humanitaires.
Nous avons entendu dire que jusqu'à 60 000 personnes auraient fui de chez elles. Ces déplacés internes comptent sur les autorités locales – principalement à Dera Ismail Khan et à Tank – et sur leur famille ou d'autres proches pour répondre à leurs besoins immédiats. Ils viennent s’ajouter aux quelque 80 000 personnes qui ont dû quitter le Waziristan ces derniers mois et semaines. Tous ces déplacés font peser une charge s upplémentaire sur les familles d'accueil, dont les ressources limitées sont mises à rude épreuve, et ce problème s’aggrave à mesure que le temps passe. La solidarité pachtoune est vraiment extraordinaire, mais combien de temps pourra-t-elle résister ? Et combien de personnes sont livrées à elles-mêmes, sans pouvoir recevoir à temps une aide adéquate ? Nous l’ignorons. Enfin, dernier élément et non des moindres, les opérations de l'armée et des forces de sécurité donnent lieu à l’arrestation d’un grand nombre de personnes. Là aussi, nous ne disposons pas de l’accès nécessaire pour suivre leur situation.
Il semble qu’aucune organisation humanitaire internationale n’ait accès au Sud-Waziristan. Comment le CICR prévoit-il d'apporter assistance et protection aux personnes qui en ont besoin ?
Il n’y a pas que le Sud-Waziristan qui soit inaccessible aux organisations humanitaires internationales : il en va de même pour une grande partie de la province de la Frontière du Nord-Ouest et des zones tribales sous administration fédérale. Les raisons en sont multiples : des combats se déroulent dans ces régions, elles sont semées de mines et d’engins explosifs improvisés, et c'est un environnement très dangereux pour les institutions humanitaires étrangères en général, comme l’a démontré le récent attentat visant le Programme alimentaire mondial. Cependant, les autorités locales, soutenues par les Nations Unies et des ONG locales, s’efforcent toujours de faire face de leur mieux. Parallèlement à cela, le CICR et le Croissant-Rouge du Pakistan continuent d'aider les déplacés internes, les habitants des zones en proie à la violence et les structures médicales. Il est évident que ces efforts ne suffisent pas et qu'il faut faire plus. L’hiver arrive et va encore aggraver la situation à la fois pour la population de la région et pour les opérations humanitaires.
Mais précisément à cause de ces problèmes, le CICR est résolu à poursuivre ses efforts pour améliorer la situation. Nos atouts sont les services importants que nous avons fournis par le passé, notre neutralité et notre indépendance dans le déploiement et l'action, notre mandat spécifique en vertu du droit international humanitaire et notre partenariat avec le Croissant-Rouge du Pakistan.
Pourquoi le CICR tient-il à visiter toutes les personnes détenues en relation avec la situation de violence, et sur quoi se base-t-il ? Quelles démarches votre institution a-t-elle entreprises dans ce sens ?
Il est impératif de veiller à ce que toutes les personnes privées de liberté soient traitées dans le respect du droit international humanitaire. Les combattants qui ne participent plus aux hostilités, par exemple parce qu’ils sont blessés ou qu’ils se sont rendus, doivent être épargnés et traités avec humanité. Ils doivent également recevoir des soins médicaux appropriés.
Le droit humanitaire donne au CICR mandat d’œuvrer pour la protection de toute personne détenue dans un contexte de conflit armé ou d'autres situations de violence. Pour nous, les deux parties doivent gérer les impératifs militaires et sécuritaires conformément aux dispositions du DIH concernant les personnes qui ne prennent pas, ou plus, part aux hostilités. Cela comprend les personnes privées de liberté.
Au Pakistan, nos délégués ont visité des centaines de détenus dans des prisons civiles, mais un grand nombre d’arrestations ont eu lieu sans que nos délégués puissent vérifier comment vont les personnes concernées. Nous avons proposé nos services aux autorités pakistanaises pour suivre le traitement des détenus et nous assurer qu'il est conforme aux règles humanitaires. Pour ce faire, nous devons évidemment avoir accès sans restricti on à tous les détenus et pouvoir nous entretenir en privé avec eux, nous devons pouvoir rétablir les contacts familiaux lorsque c’est possible, et nous devons avoir un dialogue confidentiel constructif avec les autorités compétentes pour prévenir les mauvais traitements et améliorer les conditions de détention si nécessaire.
Le CICR est-il aujourd’hui en mesure d’accomplir sa mission au Pakistan de façon indépendante, sans risque et avec le soutien de tous les porteurs d'armes ?
Oui et non. « Oui », car nous arrivons à mener des opérations indépendantes et jouissons du soutien de la plupart des organisations et communautés concernées. Elles savent que nous n’agissons que sur la base des besoins réels, et que nous n’avons ni obédience politique, ni visée cachée. Cela nous a permis, seuls ou avec le Croissant-Rouge du Pakistan, d’apporter une aide directe, indépendante et substantielle à un demi-million de déplacés internes – sous forme notamment de vivres et d'autres produits, d’eau et de soins médicaux – et de faire en sorte que des dizaines de milliers de malades et de blessés soient soignés. L’hôpital chirurgical de campagne de Peshawar réalise actuellement 100 opérations chirurgicales par semaine, par exemple, et nous soutenons des structures locales, privées et publiques, dans la province de la Frontière du Nord-Ouest et les zones tribales sous administration fédérale.
« Non » dans le sens où nous n’avons pas accès sans risque à la population des zones les plus touchées par les combats. La dynamique de la violence et de l’insécurité est telle dans ces régions que notre déploiement y est effectivement très limité.
Quelles sont les priorités actuelles du CICR au Pakistan, et plus particulièrement dans la province de la Frontière du Nord-Ouest et les zones tribales sous administration fédérale ?
Les priorités du CICR découlent des priorités de la population. Pour le moment, la priorité numéro un des habitants est la protection contre les effets de la violence armée.
De manière générale, s’agissant des opérations militaires, il est prioritaire que ceux qui participent aux combats respectent les principes de distinction entre population civile et combattants et de proportionnalité dans le choix des moyens et méthodes de guerre. L’observation de ces deux principes est cruciale pour réduire le plus possible les effets de la violence sur les civils, les malades, les blessés et les détenus. En particulier, les attaques menées contre des populations civiles sont absolument interdites.
Deuxièmement, étant donné son mandat spécifique et sa sphère de compétence, le CICR considère la protection des détenus comme une priorité essentielle.
Troisièmement, l’aide doit parvenir à ceux qui en ont besoin. Pour le CICR, pouvoir fournir sans entrave des services médicaux efficaces aux malades et blessés est un impératif urgent. Vient ensuite l’aide aux déplacés internes, y compris ceux qui retournent chez eux, et aux familles d’accueil.
Enfin, il est essentiel que le CICR puisse avoir accès sans risque aux populations touchées par la violence armée, afin de pouvoir évaluer leurs besoins et y répondre concrètement et en toute indépendance. Le droit international humanitaire établit les règles, mais pour accomplir son mandat, le CICR doit être près des victimes.