Amérique latine : les prisons sont des réservoirs de tuberculose

23-03-2010 Interview

La tuberculose constitue un grave problème de santé publique. Il peut y avoir vingt fois plus de cas dans les institutions pénitentiaires que dans la population en général. En Amérique latine, le CICR apporte un soutien à plusieurs systèmes de santé en milieu carcéral, comme en témoigne Alain Vuilleumier, médecin du CICR pour la Bolivie, l'Équateur et le Pérou.

     
    ©CICR/M. Mejía      
   
    Prisons pour femmes de Santa Mónica à Chorrillos, Lima, Pérou. Salle d'hospitalisation et de traitement de la tuberculose.      
       

       
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    En Amérique latine, les prisons sont de véritables réservoirs de tuberculose. Le pourcentage de cas y est particulièrement élevé.      
       

       
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    Prison de Lurigancho, Lima, Pérou, l'une des prisons du pays où le taux de tuberculose est particulièrement élevé. Grâce à des équipements et une stratégie de santé, le personnel médical de la prison s'efforce de poser des diagnostics rapides.      
       

       
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    Prison pour femmes de Santa Mónica, à Chorrillos.Les promotrices de santé surveillent l'apparition des symptômes de la maladie et sensibilisent les détenues à leur traitement.      
           
     
     
   
Alain Vuilleumier      

          

Quels sont les problèmes de santé les plus fréquemment rencontrés dans les prisons d'Amérique latine ?
 

Il n'existe malheureusement pas de système d'information sur la santé en milieu carcéral en Amérique latine. Il est donc difficile de connaître et de mesurer les réels problèmes de santé de la population privée de liberté. Certains rapports nous donnent cependant des indices sur les cas de tuberculose, une des maladies les plus préoccupantes pour la santé publique et en milieu carcéral.

En 2003 et 2007, l'Organisation panaméricaine de la santé a conduit deux enquêtes sur la tuberculose en milieu carcéral dans plusieurs pays d'Amérique l atine. Ces enquêtes montrent toutes deux que dans les prisons de ces pays, l'incidence de la tuberculose est jusqu'à vingt fois plus élevée que dans la population en général. Ce sont les prisons du Pérou et de la Bolivie qui sont les plus touchées par cette maladie.

  Pourquoi les prisons sont-elles considérées comme des réservoirs de tuberculose ?  

Les conditions de vie dans les prisons favorisent le développement et la transmission de la maladie, ainsi que ses complications, ce qui explique le pourcentage élevé de patients atteints de tuberculose. 

Pour éviter la propagation de cette maladie, il faut offrir un espace favorable à la santé, doté d'une bonne aération et de lumière naturelle, et lutter contre l'entassement. Il faut aussi offrir une bonne alimentation aux détenus pour leur permettre de résister à la maladie. En Amérique latine, le problème de la tuberculose dans les prisons n'est pas abordé dans sa globalité, ce qui facilite le développement de la maladie et, pire encore, de bacilles résistants aux médicaments.

  Comment peut-on freiner la progression de la maladie en milieu carcéral ?  

Pour éviter la propagation de la maladie, il est essentiel de pouvoir garantir l'isolement respiratoire des personnes soupçonnées d'être atteintes et des cas confirmés au début du traitement, car c'est le moment le plus contagieux. Cette possibilité existe dans certains systèmes pénitentiaires, mais dans la plupart des systèmes d'Amérique latine, il n'y a pas d'espace prévu pour cet isolement. C'est un des indices qui nous alerte sur l'absence de contrôle de la maladie dans les prisons, mais il n'est pas le seul. Il y a de nombreux autres indicateurs, qui sont principalement liés aux difficultés de diagnostic et de traitement.

Toute personne so upçonnée d'être atteinte de tuberculose doit être isolée, et des tests doivent être effectués pour établir un diagnostic. Si la personne est réellement atteinte, elle doit suivre très rapidement un traitement. Celui-ci dure six mois et les médicaments doivent être pris tous les jours. C'est un traitement lourd, qui doit être suivi scrupuleusement. S'il est interrompu, le bacille peut devenir résistant aux médicaments, ce qui oblige à suivre un nouveau traitement.

Quel est le rôle des promoteurs de la santé à l'intérieur des prisons ?  

Ils jouent un rôle fondamental. En effet, ce sont les promoteurs de la santé qui apprennent aux détenus à détecter les symptômes de la tuberculose. Les détenus doivent contacter le service de santé quand ils présentent ces symptômes ; il est donc essentiel qu'ils les connaissent. Les promoteurs de la santé ont un rôle d'éducateurs et de formateurs de la population, et ils facilitent le transfert des détenus.

  Y a-t-il moyen d'éviter la transmission de la maladie entre la population carcérale et les personnes qui viennent en visite ?  

Les prisons sont de véritables réservoirs de tuberculose, car le pourcentage de cas y est très élevé. Et à la tuberculose s'ajoute une autre maladie grave, le VIH/SIDA, principalement pour ceux dont le déficit immunologique favorise le développement de la tuberculose.

Les prisons ne sont pas des lieux hermétiques ; il y a des détenus qui sortent, des personnes qui viennent en visite, des membres de la famille, du personnel médical, qui toutes ces personnes peuvent être des vecteurs de transmission de la maladie entre le milieu carcéral et l'extérieur. En termes de santé publique, on peut contrôler la maladie, mais la situation dans les prisons est d'une telle gravité qu'il faut agir à ce niveau. C'est imp ortant pour pouvoir lutter contre la maladie à l'échelle d'un pays ou d'un continent. 

  Nous pouvons tous être contaminés par la maladie ?  

Bien sûr. Beaucoup de personnes sont contaminées et infectées, mais elles ne développent pas la maladie car leur système immunitaire est capable de contrôler le bacille. Beaucoup de personnes infectées abritent le bacille ainsi endormi dans leur organisme. Si elles souffrent plus tard d'un déficit immunologique, la maladie peut se réveiller. Personne n'est à l'abri du risque.

  Le Pérou est un des pays d'Amérique latine où l'incidence de la tuberculose en milieu carcéral est la plus élevée. Quel est le soutien apporté par le CICR pour combattre la maladie ?  

Au Pérou, le CICR collabore très étroitement avec la sous-direction de la Santé pénitentiaire de l'Institut national pénitentiaire et ce, depuis l'année 2000. Actuellement, il réduit progressivement ses activités pour laisser la place à la sous-direction de la Santé pénitentiaire, qui prend la suite des programmes et travaille à la réforme de son propre système de santé. La lutte contre la tuberculose progresse, tout comme la lutte contre le VIH et la mise en place d'une assurance obligatoire pour les détenus. D'autres organisations apportent leur soutien à la sous-direction de la Santé pénitentiaire, pour le financement d'une étude de prévalence du VIH dans la population privée de liberté.

Au Pérou, la situation de la tuberculose dans les prisons n'a jamais été aussi contrôlée qu'aujourd'hui. De grands efforts ont été faits, et de grands projets de renforcement de la lutte contre la tuberculose et le VIH/SIDA ont été conduits avec le financement du Fonds mondial. Les moyens de contrôle de la maladie ont été améliorés, et nous avons des statistiques de plus e n plus fiables. Nous cernons de mieux en mieux le problème au Pérou, mais il ne faut pas baisser la garde. Il faut continuer de soutenir le personnel de santé, et il est nécessaire de planifier les activités de façon à répondre le mieux possible au problème. 

C'est le personnel de santé qui doit être chargé d'appliquer en permanence les stratégies de contrôle. Et c'est principalement dans ces deux domaines, la supervision et la planification, que le CICR continue de soutenir la santé en milieu carcéral au Pérou.