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La tuberculose dans les prisons reste un danger mortel

23-03-2006 Interview

Les maladies infectieuses, notamment le VIH/sida et la tuberculose, frappent tout particulièrement les détenus, surtout dans les pays les plus pauvres. A l’occasion de la Journée mondiale de la tuberculose, le CICR rappelle que les détenus malades doivent avoir accès au même système de santé que le reste de la société – interview d’Eric Burnier, médecin, responsable au CICR du contrôle des maladies transmissibles.

     

    ©ICRC      
   
    Eric Burnier, CICR, médecin responsable des maladies transmisibles      
               
     
   
   
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  • La tuberculose tue près de 5'000 personnes par jour dans le monde.
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  • 2 millards de personnes sont porteuses du bacille tuberculeux.
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  • 425'000 nouveaux cas de tuberculose polypharmacorésistante surviennent chaque année.
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    Voir aussi le site de l'OMS      
          Quelle est l’ampleur du problème de la tuberculose en milieu carcéral ?  

     

On pensait pouvoir éradiquer la tuberculose il y a une vingtaine d'années grâce aux progrès de la médecine, mais la maladie s'est maintenue et reste un problème très grave à l'échelle mondiale, notamment dans les prisons de nombreux pays. La promiscuité ainsi que la forte contagiosité de la maladie en sont deux facteurs essentiels. La prévalence de la tuberculose en prison est beaucoup plus élevée que dans la population générale, jusqu'à 100 fois plus dans certains pays, et dans nombre d’entre eux, elle est une des causes majeures de maladie et de mort dans les prisons.

Un phénomène particulièrement inquiétant est celui de l’émergence d’une résistance aux traitements classiques contre la tuberculose, résistance due principalement à un suivi irrégulier du traitement ou à des médicaments de mauvaise qualité.

 
   
   
  Quel est le lien entre la tuberculose et le VIH/SIDA ?  

     

Le lien entre ces deux maladies est extrêmement étroit, et le développement de la pandémie de VIH/SIDA est l'une des raisons de la recrudescence de la tuberculose, notamment sur le continent africain.

Lorsqu'une personne est atteinte par le VIH/SIDA, son immunité diminue peu à peu, ce qui favorise l'émergence de la tuberculose, que ce soit une nouvelle infection ou le réveil d'une infection antérieure. Et comme pour la tuberculose, le pourcentage de sidéens est particulièrement élevé en milieu carcéral, surtout dans les pays où cette maladie est liée à la consommation de drogues intraveineuses, dans les pays de l'ex-Union soviétique, par exemple.

     
    ©ICRC/B. Heger/am-e-00020      
   
    Arménie, Erevan, hôpital carcéral. Détenu tuberculeux prenant ses médicaments en présence d'une infirmière.      
         

  Dans quelles circonstances le CICR s'est-il engagé dans la lutte contre la tuberculose dans les prisons du Caucase du Sud ?  

Le CICR en tant que tel n'est pas un organisme médical et n’a pas pour mission de lutter contre des pandémies comme celles de la tuberculose ou du VIH/SIDA.

Pourtant, lorsque, il y a dix ans en Azerbaïdjan, à la suite du conflit du Haut-Karabakh, des délégués du CICR se sont trouvés face à des prisonniers de guerre mourant de la tuberculose, ils ne pouvaient pas se contenter de dénoncer cette situation. La maladie était en effet en train de se propager, alors qu’aucun traitement n'avait été mis en place. Face à ce constat et aux manques cruels de moyens à la disposition du gouvernement, le CICR s'est alors lancé dans un programme de lutte, de prévention et de traitement de la tuberculose dans les prisons du pays. Ce programme a été développé en collaboration avec le ministère de la Justice et son département médical. Les années suivantes des programmes similaires ont été lancés en Géorgie et en Arménie.

     

  A quelles difficultés le CICR a-t-il dû faire face pour lancer ces programmes ?  

     

Cela n'a pas été facile, notamment parce que ces pays étaient encore très marqués par les techniques de dépistage et de traitement de la tuberculose héritées de l'époque soviétique, qui fonctionnaient de moins en moins bien. Pour lutter efficacement contre la tuberculose, il fallait les convaincre de passer à un nouveau modèle, celui que prône l'OMS : le DOTS ( directly observed treatment, short course , c’est à dire le traitement de brève durée sous surveillance directe).

     
    ©ICRC/B. Heger/ ge-e-00162      
   
    Géorgie, Tbilissi, laboratoire national de détection de la tuberculose.      
        Une autre difficulté à relever tient au fait que dans une majorité de pays, et notamment dans les pays du Caucase du Sud, les problèmes de santé dans les prisons ne relèvent pas du ministère de la Santé. En c as de maladies pandémiques comme la tuberculose, il est essentiel que les ministères de la Justice et de la Santé travaillent en accord. Le CICR a donc depuis longtemps cherché à réunir ces deux ministères autour de tables rondes, pour qu'ils négocient et discutent ensemble, tout en leur rappelant que le détenu est un citoyen qui doit avoir accès au même système de santé que le reste de la société.

  Quel a été le rôle du CICR dans le développement des programmes de lutte contre la tuberculose ?  

     

Le CICR, qui travaille en étroite collaboration avec l'OMS, a appliqué la méthode recommandée par cette dernière, la stratégie DOTS. Selon cette stratégie, l'enregistrement et le dépistage des cas se font d’après des règles strictement définies, les stocks de médicaments doivent être régulièrement approvisionnés pour faire face à la demande, sans risque de rupture, et les médicaments sont pris sous étroite supervision durant toute la durée du traitement. Enfin, l'enregistrement systématique des cas doit permettre une évaluation constante de la situation.

Dans les trois pays du Caucase du Sud, la première démarche du CICR a été de persuader les autorités d'adopter cette stratégie. Étant donné l'impossibilité pour elles de faire face à la complexité du problème et aux coûts d'une telle prise en charge, le CICR s'est lancé dans un programme très largement substitutif. Celui-ci incluait notamment la formation du personnel de santé, l’approvisionnement en médicaments et en matériel de laboratoire, le dépistage, le traitement et le suivi des détenus tuberculeux – mais également des travaux de réhabilitation des quartiers sanitaires des prisons.

     
  Quels ont été les résultats ?        
     
   
Les résultats de l'application du DOTS     – en Azerbaïjan :    
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  • environ 7 000 détenus tuberculeux ont été traités
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  • le taux de mortalité pour cause de tuberculose a chuté de 14% en 1995 à 3% en 2004
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    – en Géorgie    
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  • Plus de 3 000 détenus tuberculeux ont été traité
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  • le pourcentage de détenus tuberculeux a chuté de 6.5% en 1998 à 0.6% en 2005
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Le premier résultat – probablement le plus remarquable – est d'avoir pleinement convaincu les autorités médicales des ministères de la Justice des trois pays du Caucase du Sud que la stratégie DOTS est LA bonne technique, qu'elle n'est pas seulement efficace dans les pays du tiers-monde, mais valable à l'échelle universelle. Ce sont les bons résultats de ces programmes qui les ont convaincus (voir l'encadré).  

     

Le deuxième point, très positif lui aussi, est que le dépistage des détenus atteints de tuberculose se fait désormais dès leur entrée en milieu carcéral. Tout nouveau détenu est examiné et s'il présente des symptômes et que le bacille de la tuberculose est détecté dans ses expectorations, il est mis sous traitement et isolé.

Actuellement le CICR cherche à se retirer progressivement et à remettre la responsabilité finale de ces programmes aux autorités.. Cela est plus facile maintenant qu'il y a dix ans, notamment grâce à l’existence du « Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme ».  
  Que se passe-t-il dans les cas de résistance au traitement ?  

     

Ce problème est très grave parce qu'il faut alors recourir à des médicaments beaucoup plus chers, beaucoup plus compliqués à manier (ils provoquent beaucoup d'effets secondaires), et sur une période beaucoup plus longue. Le traitement classique DOTS, permet en six à huit mois à tout tuberculeux non résistant aux médicaments du DOTS, de guérir définitivement, alors que en cas de résistance il faut prendre ces médicaments de deuxième ligne pendant une période allant jusqu'à deux ans, ce qui entraîne des coûts et des difficultés considérables. Le problème de la résistance au traitement dans les pays du Caucase du Sud a été abordé de concert avec d'autres organismes, notamment la coopération allemande, pour tâcher de trouver des réponses adéquates.

     

 
  Comment le rôle du CICR a-t-il évolué ces dernières années ?  

     

De plus en plus le rôle du CICR dans le Caucase du Sud consiste à adopter une attitude de soutien aux autorités afin qu'elles-mêmes s'engagent dans la lutte contre la tuberculose dans les prisons. Il se mobilise également pour aider les gouvernements concernés à obtenir les fonds nécessaires.

Dans d'autres régions, notamment sur le continent africain où la stratégie DOTS se répand depuis une vingtaine d'année, le CICR a d'emblée joué ce rôle de soutien aux autorités, tout en leur rappelant que les détenus font parties des citoyens du pays et qu'ils doivent avoir droit aux mêmes médicaments, au même suivi, aux mêmes attentions que la population en général.

La peine d'un détenu, s’il a commis une faute, c'est d'être en prison, ce n'est pas d'y attraper une maladie infectieuse et potentiellement mortelle telle que la tuberculose.