Ouganda : tirer parti des progrès actuels pour assurer une stabilité à long terme

04-06-2008 Interview

La sécurité alimentaire et économique s'est améliorée dans le nord de l'Ouganda ces trois dernières années. Cependant, beaucoup reste à faire. Au terme de sa mission, Peter Schamberger, coordonnateur du CICR chargé de la sécurité économique en Ouganda, recommande de ne pas relâcher les efforts, tout en constatant certains effets positifs des programmes du CICR et d'autres organisations humanitaires.

  Quelle est la situation humanitaire actuelle en Ouganda ?  

     

Depuis mon arrivée ici fin 2005, j'ai constaté que des progrès notables ont été accomplis, non seulement à la suite du processus de paix de Juba engagé entre l'Armée de résistance du Seigneur et les Forces de défense populaires de l’Ouganda, mais aussi, dans une certaine mesure, grâce à l'action concertée de la communauté humanitaire.

La sécurité alimentaire s'est considérablement améliorée, à tel point que le Programme alimentaire mondial (PAM) a pu diminuer les rations alimentaires distribuées aux personnes déplacées à environ 40 % des besoins alimentaires en 2008, contre 75 % en 2005.

Un nombre croissant de personnes déplacées sont retournées (ou ont commencé à retourner) dans leur village d'origine. De ce fait, les milliers d’autres personnes qui continuent de vivre dans des camps ont davantage accès aux terres arables.

Le processus de retour/réinstallation des personnes déplacées n'est pas homogène. Certains camps permanents sont presque vides, tandis que d'autres abritent toujours autant de ménages qu'avant la décision officielle d'autoriser les retours. La lenteur du processus est due à de multiples facteurs : la peur de l'insécurité, les perspectives de revenus plus limitées dans les nouveaux lieux d'habitation, les innombrables trajets nécessaires pour maintenir un contact avec les membres de la famille restés dans les camps, essentiellement les enfants scolarisés et les personnes l es plus vulnérables. La principale difficulté que rencontrent les ménages tient au manque de ressources pour subvenir à leurs besoins élémentaires. Par conséquent, les membres actifs s'investissent dans diverses activités à différents endroits et ne parviennent pas à concentrer leurs efforts sur la production agricole, qui constitue le principal moyen de subsistance susceptible d'assurer leur autosuffisance d'ici deux ans.

Le CICR facilite le retour des personnes déplacées dans leur région d'origine en s'efforçant d'améliorer les conditions de vie dans les districts de Gulu, de Kitgum, de Pader et d'Amuru. Il a essentiellement centré son action sur l'eau et l'habitat, la santé et la sécurité économique. Des progrès considérables ont notamment été accomplis dans le domaine de l'approvisionnement en eau. De façon générale, les habitants sont désormais mieux à même de couvrir au moins une partie de leurs besoins vitaux.

  Depuis la signature d'un accord de cessation des hostilités entre les forces gouvernementales ougandaises et l'Armée de résistance du Seigneur en août 2006, des pourparlers de paix sont en cours. Compte tenu des perspectives de paix qui se profilent à l'horizon, quelle valeur ajoutée le CICR peut-il apporter durant cette période de transition ?  

     

La population a toujours besoin d'une aide élémentaire. Le CICR, qui travaille en collaboration avec la Croix-Rouge de l'Ouganda, a un rôle important à jouer à cet égard. Nous disposons de structures sur le terrain et nous avons tissé depuis longtemps des liens solides avec la population ougandaise. Cela nous permet de suivre attentivement l'évolution de la situation humanitaire, qui pourrait se compliquer à mesure que les personnes déplacées retournent dans les régions qu'elles ont dû quitter durant le conflit armé.

Au cours de l'année écoulée, le CICR a conjugué sa stratégie d'assistance avec une aide plus durable. En 2005 et en 2006, les personnes déplacées vivaient dans des camps et n'avaient qu'un accès très limité aux terres cultivables. Le CICR a donc fourni des petits assortiments de semences vivrières et potagères courantes pour augmenter la quantité de nourriture disponible et améliorer la qualité de l'alimentation. Depuis que la sécurité s'est améliorée en 2007 et que la population a davantage accès aux terres, le CICR a augmenté la quantité de semences vivrières essentielles et d'outils distribués aux ménages pour cultiver les champs. La dernière distribution de secours à grande échelle effectuée par le CICR dans le nord du pays a eu lieu en mars 2008. À cette occasion, du matériel agricole a été fourni à environ 71 000 ménages (soit quelque 400 000 personnes) dans 111 sites (camps permanents, centres de transit et villages d'origine), dans les districts de Kitgum, de Pader, d'Amuru et de Gulu. L'objectif est que ces ménages puissent gagner leur vie en cultivant en grande quantité de l'arachide à des fins alimentaires et commerciales, ainsi qu'une plante vivrière de leur choix (haricot, riz ou sésame) pour la deuxième saison des semailles. Les bénéficiaires, qui représentent environ 40 % des personnes déplacées vivant dans ces quatre districts d'Acholi, ont également reçu des articles d'hygiène de base (savon et serviettes hygiéniques) et des assortiments de matériel scolaire.

En 2008, la distribution de semences de cultures commerciales a été capitale pour la plupart des ménages, en particulier pour les personnes les plus vulnérables qui ne pouvaient pas constituer des réserves de semences et celles qui sont en train de se réinstaller. Une récente étude du CICR révèle que, sur l'ensemble des articles distribués par le CICR en 2007, les assortime nts de semences ont été les plus utiles selon 80 % des femmes et 100 % des hommes interrogés. Cette étude montre qu'en moyenne, la production agricole augmente et que les ménages sont en train de reconstituer un capital de départ. Toutefois, moins de 20 % des ménages ont pu produire suffisamment pour couvrir leurs besoins annuels en céréales et dégager un surplus.

La plupart des bénéficiaires ont souligné qu'ils avaient pu constituer quelques réserves de semences grâce aux distributions successives du CICR, qui ont commencé en 2005. Cela n'aurait pas été possible s'il n'y avait eu qu'une seule distribution.

L'objectif de la distribution de semences en 2008 est de renforcer la capacité des ménages à générer des revenus en leur fournissant des semences à forte valeur commerciale, dans l'espoir qu'ils puissent vendre à bon prix une partie de leurs récoltes.

Cependant, en raison des nombreuses personnes qui vivent encore dans les camps ou qui commencent seulement maintenant à retourner chez elles, les ménages ont des difficultés à rétablir leurs moyens de subsistance dans leur région d'origine. Une aide humanitaire sera sans doute encore nécessaire ces deux prochaines années au moins, en particulier pour les personnes vulnérables, qui ne bénéficieront pas des mécanismes de soutien traditionnels. Ces ménages auront encore besoin de différentes formes d'aide là où ils vivent. 

  D'après vous, comment la situation dans le pays et le rôle du CICR évolueront-ils ?  

     

En dépit des progrès constatés sur le plan de la sécurité dans le nord de l'Ouganda, il faudra encore du temps et des efforts concertés à la fois du gouvernement ougandais et de la communauté humanitaire pour améliorer durableme nt les conditions de vie de la population.

À cet égard, les initiatives de développement menées par le gouvernement et les organismes de développement seront déterminantes. En outre, comme l'économie locale d'Acholi dépend à 90 % de l'agriculture pluviale à petite échelle, le régime des pluies aura des incidences positives ou négatives pour les agriculteurs en 2008.

Selon l'étude du CICR, les ménages sont en train de reconstituer un capital. Par conséquent, les distributions de semences à grande échelle, comme celles effectuées par le CICR de 2006 à 2008, ne seront plus nécessaires en 2009.

Les nouveaux projets du CICR lancés en 2008, notamment le projet « argent contre travail » et les programmes générateurs de revenus, constitueront l'essentiel des activités de l'Unité sécurité économique du CICR à l'avenir. L'objectif de ces activités est de permettre aux ménages de renforcer leur capacité à cultiver des terres dans le cadre d'un programme de rémunération contre travail, de réhabiliter les infrastructures communautaires telles que les routes, les marchés et les sources, et de créer des sources de revenus durables en fournissant des outils commerciaux et agricoles à des groupes.

Le projet « argent contre travail » revêt une importance capitale pour tous les ménages récemment retournés/réinstallés dans leur région d'origine. Les programmes de rémunération contre travail axés sur le défrichage des terres semblent les plus appropriés pour permettre aux ménages de centrer leurs efforts sur le renforcement de leurs capacités de production agricole. Le CICR prévoit de soutenir 5 000 personnes dans le cadre de ce projet en 2008.

Au terme de ma mission, je constate que la situation s'est nettement améliorée, avant tout grâce aux efforts acharnés de la population ougandaise qui fait preuve d'une grande résilience, mais a ussi à l'action concertée de nombreux acteurs, parmi lesquels le CICR joue un rôle primordial. 

Néanmoins, il est trop tôt pour crier victoire et nous devons nous garder d'interrompre l'aide humanitaire de façon prématurée, afin de ne pas compromettre les efforts déployés par la population ougandaise pour se relever et assurer son bien-être.