Le conflit des Balkans et le respect du droit international humanitaire
23-04-1999 Déclaration
Déclaration du Comité international de la Croix-Rouge
Depuis le début des opérations de l'OTAN contre la République fédérale de Yougoslavie, deux conflits simultanés et imbriqués l'un dans l'autre ont lieu dans le pays : d'une part, celui entre la Yougoslavie et les États membres de l'OTAN (qui a débuté le 24 mars) et, d'autre part, celui entre les forces yougoslaves et l'Armée de libération du Kosovo (UCK), qui date d'avant les derniers événements.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) n'a cessé de rappeler à tous ceux qui prennent part aux hostilités leur obligation de respecter le droit international humanitaire. Toutefois, l'institution est de plus en plus préoccupée par l'application des règles et principes de ce droit, et en particulier par les effets de ce double conflit sur la population civile. Pendant les quatre dernières semaines, le CICR a été en contact permanent avec toutes les parties belligérantes pour leur faire part de ses préoccupations. La présente déclaration précise ces préoccupations et demande que tout soit mis en œuvre pour que les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels, ainsi que tous les autres principes et règles conventionnelles et coutumières du droit applicable, soient pleinement respectés.
Civils chassés de leurs foyers
Des centaines de milliers de civils albanais du Kosovo sont arrivés dans les pays voisins et dans la république du Monténégro. Ils ont déclaré avoir été contraints de quitter leurs foyers, agress és, dépouillés et, dans de nombreux cas, menacés de mort. En outre, de nombreuses informations font état de civils tués. L'état de ces réfugiés et de ces personnes déplacées – démunis de tout et terrorisés – corrobore à l'évidence leurs affirmations selon lesquelles ils ont été forcés de partir.
Tous ces éléments font que le CICR n'a aucun doute quant au sort tragique des civils qui se trouvent toujours au Kosovo. C'est pourquoi il estime que son retour dans la province est de plus en plus impératif.
La détresse de ceux qui ont fui a encore été aggravée par la situation aux points d'arrivée, où ils ont parfois dû attendre plusieurs jours avant de recevoir un abri et toute autre forme d'assistance, et par le fait qu'ils ignorent quel avenir les attend. Bien que le CICR défende le principe selon lequel les frontières doivent rester ouvertes pour que les réfugiés soient provisoirement en sécurité, cela doit se faire d'une manière humaine qui tienne compte des souhaits individuels et respecte la dignité de chacun.
Des milliers de familles serbes et tziganes ont, elles aussi, devant elles un avenir incertain, car elles ont fui leurs foyers au Kosovo par crainte des frappes aériennes ou de représailles.
Les principes essentiels du droit international humanitaire exigent notamment que les civils ne doivent pas subir de violence, qu'ils doivent être traités humainement en toutes circonstances, qu'ils ne peuvent pas être déplacés contre leur gré, et que leurs biens doivent être respectés. En particulier l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève stipule que les personnes qui ne participent pas directement part aux hostilités doivent être traitées avec humanité en toutes circonstances. Il interdit également les atteintes portées à leur vie, à leur intégrité corporelle et à leur dignité. En outre, le droit international humanitaire interdit le déplacement forcé de civils.
Civils victimes des frappes aériennes
Le droit international humanitaire prévoit d'obligation d'éviter autant que possible de faire des victimes civiles.
Au cours de la première semaine des frappes aériennes, le nombre des morts et des blessés civils est en fait apparu comme faible. Toutefois, à mesure que l'offensive aérienne s'intensifiait et que le CICR, avec la Croix-Rouge yougoslave, a mené des évaluations des besoins humanitaires sur place, une augmentation correspondante du nombre des victimes civiles serbes ainsi que des dommages plus importants infligés aux biens civils ont été observés. La destruction d'installations industrielles a privé des centaines de milliers de civils de leurs moyens d'existence.
Des incidents majeurs ont impliqué des civils : d'une part la destruction d'un train de voyageurs sur un pont et, d'autre part, l'attaque de véhicules civils au Kosovo. Dans les deux cas on a déploré des morts et des blessés.
Un organe impartial et indépendant doit être autorisé à évaluer les besoins et à fournir une assistance aux victimes, où qu'elles se trouvent et quelles qu'elles soient.
En vertu du droit international humanitaire, les parties au conflit doivent prendre toutes les précautions possibles lorsqu'elles lancent des attaques. Cela inclut de renoncer à des missions, s'il apparaît que l'objectif n'est pas de nature militaire ou que l'attaque risque de causer incidemment des pertes en vies humaines, qui seraient excessives par rapport à l'avantage militaire attendu.
Personnes privées de liberté ou portées disparues
Le CICR, depuis la début de la crise au Kosovo, a abordé activement la question des personnes détenues par les autorités yougoslaves, de celles détenues par l'UCK ou de celles dont on ignore tout simplement où elles se trouvent. Il a pu visiter 720 des quelque 1 000 prisonniers qui lui ont été officiellement notifiés par les autorités yougoslaves et cherche à obtenir des éclaircissements concernant des personnes qui se trouveraient aux mains de l'UCK.
Le CICR continuera à récolter des informations sur les personnes qui auraient été arrêtées et à tenter d'obtenir la notification officielle de la détention des personnes – civiles ou militaires – qui ont été capturées et sont par conséquent protégées par les Conventions de Genève. Il s'efforcera également d'obtenir l'accès à ces personnes.
Depuis plus de trois semaines maintenant, trois soldats des États-Unis sont détenus par les autorités yougoslaves. Celles-ci n'ont pas notifié leur capture au CICR et ne lui ont pas accordé l'autorisation de les visiter et de leur permettre d'écrire à leurs familles. Le CICR déplore de n'avoir pu obtenir l'accès à ces prisonniers et exhorte les autorités yougoslaves à respecter leurs obligations découlant de la IIIe Convention de Genève en lui accordant sans délai l'accès aux prisonniers de guerre.
Les prisonniers de guerre et les ressortissants civils étrangers, qui sont internés ou détenus, sont protégés respectivement par les IIIe et IVe Conventions de Genève. Par conséquent, ils sont en droit d'être visités par des représentants d'une puissance protectrice dûment désignée et par le CICR.
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C'est pourquoi le CICR demande instamment à tous ceux qui sont impliqués dans les hostilités menées en République fédérale de Yougoslavie de respecter le droit international humanitaire, de procéder à des enquêtes sur les incidents au cours desquels ce droit aurait été violé, de prendre toutes les mesures pour mettre un terme à de telles violations et d'empêcher qu'elles ne se reproduisent.
Il rappelle en outre aux 188 États parties aux Conventions de Genève qu'ils partagent la responsabilité de garantir que ces Conventions, et plus généralement toutes les règles humanitaires coutumières, soient respectées.
Le CICR continuera à venir en aide aux personnes qui ont fui le Kosovo en leur fournissant des vivres et une assistance médicale ainsi qu'en rétablissant les liens familiaux. Il est résolu à retourner dans la province dès qu'il aura obtenu les garanties de sécurité et de respect de ses principes et de ses procédures de travail, afin d'assister et de protéger ceux qui ont un urgent besoin d'aide. Les visites aux personnes détenues par les deux parties constituent également une priorité urgente.
Ref. LG-1999-047-FRE