Personnes privées de liberté
03-04-1998 Déclaration
54ème session de la Commission des droits de l'homme de l'ONU, point 8 de l'ordre du jour - 3 avril 1998. Déclaration du Comité international de la Croix-Rouge
Monsieur le Président,
Dans le cadre du débat sur le point 8, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) tient à faire part de quelques considérations générales et à mettre en évidence certains points qui caractérisent son approche dans le domaine de la détention.
Au cours des quinze dernières années, nous avons pu constater un essor important des activités de diverses organisations, organes et mécanismes qui se sont attelés à la tâche de défendre les droits des personnes privées de liberté. Les capacités d'observation et de prévention des violations ont ainsi notablement augmenté. Le CICR a suivi avec attention cette évolution. A chaque opportunité, il a insisté sur l'importance de la complémentarité des diverses initiatives et approches. Cette complémentarité concerne les réponses à apporter aux besoins peu ou pas encore pris en considération et les méthodes de travail utilisées. Sont aussi visés les types de situations couverts ainsi que les mandats, rôles et compétences respectifs.
Pour rappel, le CICR a commencé par mener des activités en faveur de personnes privées de liberté lors de conflits armés internationaux. De longue date, le CICR visite les prisonniers de guerre et les internés civils sur la base des Conventions de Genève, dont il tire directement son mandat et qui prescrivent les conditions et les procédures de visites. Le CICR a étendu ce type d'activités au bénéfice des personnes détenues en relation avec des conflits internes.
Adaptant ses réponses aux nombreuses formes de violences, le CICR a développé, au fil des ans, des actions dans des situations de troubles, de crises et d'autres formes de violence collective à l'intérieur d'un pays. Après acceptation de son offre de services par les autorités concernées, le CICR examine les conditions de détention des personnes privées de liberté en raison de ces événements, qu'elles soient considérées comme des détenus de sécurité, des détenus politiques, des détenus administratifs ou simplement comme des personnes menaçant le système établi. Plus récemment, le CICR a été amené à s'occuper du sort d'autres catégories de détenus, qui, privés de la protection élémentaire qu'ils sont en droit d'attendre des autorités, apparaissent comme des groupes à risque. Dans toutes ces circonstances, les caractéristiques des personnes, dont le CICR se préoccupe, sont l'éventualité de faire l'objet d'un régime particulier en raison des motifs de l'arrestation ou d'un traitement ne répondant pas aux exigences minimales d'humanité.
Par ses activités en faveur des personnes privées de liberté, le CICR cherche, en priorité, à prévenir ou à mettre fin: aux disparitions forcées, à la torture et aux autres formes de mauvais traitements, aux conditions de détention dégradantes et à la rupture des contacts avec la famille. Le CICR veille à ne pas se prononcer sur les motifs des incarcérations.
Les visites régulières dans les lieux de détention représentent pour le CICR l'instrument indispensable qui lui permet de connaître précisément la situation. Pour pouvoir jouer pleinement son rôle et faire une analyse objective, le CICR a établi quatre conditions non dérogeables:
- Accès à tous les détenus entrant dans son champ d'intérêt quels que soient les lieux où ils se trouvent;
- Entretien sans témoins avec les détenus de son choix;
- Possibilité de relever l'identité des détenus;
- Répétition des visites.
Les visites s'insèrent dans le cadre d'un dialogue approfondi et confidentiel entre le CICR et les autorités compétentes qui débouche sur la transmission de rapports également confidentiels. Ces rapports visent à donner aux autorités une image aussi précise que possible de la manière avec laquelle leurs propres organes traitent les détenus dès leur arrestation; ils contiennent des recommandations constructives et réalistes.
Cet effort visant à responsabiliser et à convaincre les autorités à tous les échelons de la hiérarchie représente l'une des caractéristiques de l'approche du CICR. D'autres caractéristiques sont l'accès direct aux personnes concernées, l'implication dans la durée, la prise d'identité des détenus et le suivi de leur situation jusqu'à leur remise en liberté.
Parfois, le CICR entreprend des activités visant à soutenir et à renforcer le fonctionnement des structures, particulièrement carcérales. La nécessité peut aussi l'amener à se substituer provisoirement aux obligations des autorités pour assurer la survie des détenus dans des domaines comme la santé, l'alimentation ou l'hygiène.
A ce sujet, nous souhaitons mettre en évidence une évolution préoccupante, paradoxale eu égard à l'accroissement des capacités d'observation et de prévention mentionné au début de cette intervention. Pour d'innombrables raisons et quel que soit le niveau de développement des sociétés concernées, le nombre des détenus a tendance à augmenter. Les infrastructures suivent rarement cette augmentation. Au contraire, dans plus en plus de pays, les conditions matérielles de détention se détériorent de manière catastrophique et menacent l'intégrité physique, voire la vie, des détenus. Ce phénomène s'explique en général par le sur peuplement carcéral, lié notamment aux lenteurs et à l'inefficacité des procédures judiciaires, et par l'insuffisance des budgets alloués. Certaines autorités reconnaissent publiquement leur incapacité à assurer des conditions de détention décentes.
En conclusion, Monsieur le Président, soulignons que le CICR n'a ni la prétention, ni les moyens de défendre tous les droits des détenus. Son approche, qui vise en priorité à prévenir des formes de violence, à apaiser des tensions et à favoriser une réconciliation future, se veut volontairement limitée. Néanmoins, il y a urgence à travailler au renforcement des capacités nationales et du fonctionnement des institutions, en particulier de l'administration de la justice. La Communauté internationale doit aussi se mobiliser dans ce domaine et mettre en place des politiques de coopération et de développement efficaces.
Merci Monsieur le Président
Réf. LG 1998-040-FRE