L'activité humanitaire du mouvement espérantiste pendant les deux guerres mondiales et son rapport avec la Croix-Rouge internationale
30-06-1996 Article, Revue internationale de la Croix-Rouge, 819, de José María Rodríguez Hernández
À la mémoire de Rafael Fiol Paredes, médecin, militaire et espérantiste illustre, qui sut maintenir vivant l'idéal de l'espéranto en Andalousie.
José María Rodríguez Hernández est étudiant de troisième année, spécialité du droit international public, à la faculté de droit de l' Universidad Nacional de Educación a Distancia à Madrid.
Né à la fin du XIXe siècle, le mouvement espérantiste a défendu l'adoption comme langue internationale de la langue auxiliaire créée par le Polonais Lejzer Ludwik Zamenhof en 1887. Ainsi, ce qui n'était à l'origine que le rêve d'un jeune homme angoissé par la violence qui régnait dans sa ville natale, Bialystok, où se côtoyaient, non sans problèmes, quatre cultures, quatre religions et quatre langues, allait, avec les années, devenir le projet de langue internationale le plus sérieux qui ait vu le jour jusqu'à présent.
Très vite, cependant, le phénomène purement linguistique que constituait l'espéranto à ses débuts devait, grâce à l'idée humanitaire inhérente à ce projet universel, se transformer en un mouvement internationaliste, supranational, préoccupé de la condition humaine et défenseur des libertés et des droits sociaux de l'individu et des peuples. Le mouvement espérantiste est le fruit d'une époque - la seconde moitié du XIXe siècle - qui vit naître également les premières organisations internationales, comme l'OIT, vouée à la défense des droits des travailleurs; l'UPU, qui règle le fonctionnement des services postaux nationaux; et la Croix-Rouge elle-même, avec laquelle le mouvement espérantiste fut en relation dès sa création. Ce n'est pas en vain que les deux mouvements ont partagé en de multiples occasions les mêmes buts, tels que l'entente humaine ou la collaboration internationale.
Le premier promoteur de l'espéranto au sein de la Croix-Rouge internationale fut le capitaine français Bayol [1 ] , qui, en 1906 déjà, édita dans cette langue, à l'intention du personnel sanitaire des armées de divers pays, une brochure sur le traitement dû aux blessés. Plus tard, plusieurs comités locaux de la Croix-Rouge, comme celui d'Anvers en Belgique ou celui de Königsberg, alors ville allemande, recommandèrent à leurs membres l'apprentissage de l'espéranto. Le Comité de la Croix-Rouge française, quant à lui, devait éditer dès 1910 la revue Espéranto et Croix-Rouge.
Mais ce ne fut qu'en 1921, après la tragédie de la Première Guerre mondiale, qu'à l'occasion de sa Xe Conférence, la Croix-Rouge internationale prit officiellement position en faveur de l'espéranto. La délégation chinoise, présidée par le Dr Wong, présentait alors une résolution qui alla it être approuvée à l'unanimité et qui se lisait ainsi:
«Considérant que la difficulté des langues gêne en bien des manières la réalisation de l'idéal international de la Croix-Rouge, soit dans oeuvre de secours sur les champs de bataille, soit dans celle des prisonniers de guerre ou même dans les Conférences de la Croix-Rouge, la Xe Conférence invite toutes les organisations de la Croix-Rouge à encourager l'étude de la langue auxiliaire espéranto parmi leurs membres, en particulier dans les sections de jeunesse, comme un des plus puissants moyens d'entente et de collaboration internationale dans le domaine de la Croix-Rouge.»
Suite à cette résolution, le texte des nouveaux statuts de certains comités nationaux - dont le comité espagnol - allait comporter la recommandation d'apprendre l'espéranto.
La Première Guerre mondiale
Le mouvement espérantiste connut une expansion spectaculaire au cours des vingt premières années de ce siècle. Les congrès se succédaient dans tous les pays, les publications se multipliaient et, surtout, le nombre d'espérantophones augmentait de jour en jour. Un événement, cependant, allait interrompre ce progrès internationaliste: la Première Guerre mondiale.
Le 2 août 1914 était le jour fixé pour l'inauguration à Paris du Xe Congrès universel de l'espéranto [2 ] . Quelques jours à peine avant cette date se produisaient à Sarajevo les terribles événements qui allaient provoquer la Première Guerre mondiale. Le 1er août, à 16 heures, le gouvernement français décrétait la mobilisation générale. Si un grand nombre de congressistes étaient déjà arrivés à Paris, d'autres, en revanche, surtout pa rmi les Russes et les Allemands, étaient retenus à la frontière allemande, où on leur interdisait l'entrée en France. Les espérantistes qui se trouvaient déjà à Paris virent une population enflammée par la mobilisation et des milliers de soldats en partance pour la frontière allemande.
Le comité organisateur du Congrès se réunit d'urgence et, bien qu'il eût été impossible alors d'imaginer que la guerre commencerait le lendemain même de la mobilisation, discuta de l'opportunité de maintenir ou non la manifestation. Il fut décidé que le programme fixé pour le premier jour, et notamment les divers offices religieux et l'ouverture solennelle, se déroulerait comme prévu, à moins que les événements n'imposent une annulation. L'ouverture officielle eut lieu mais ne réunit qu'un faible nombre de participants. Sur les 4 000 congressistes prévus, seuls 900 purent se présenter officiellement auprès du comité organisateur. Au cours de la nuit du 1er août, la situation devint si compliquée que le gouvernement français, par mesure de prudence, conseilla aux espérantistes étrangers de quitter Paris dès le lendemain s'ils ne voulaient pas se retrouver bloqués dans la ville sans pouvoir en repartir, peut-être, pendant une période dont on ne pouvait prévoir la durée. Finalement, les organisateurs décidèrent de suspendre le Congrès. Le 2 août, la guerre éclatait. Les congressistes commencèrent à quitter Paris. Les Russes et les délégués des États de la péninsule balkanique eurent beaucoup de mal à rentrer dans leurs pays respectifs, et durent passer soit par la Suisse soit par les pays scandinaves. Les ressortissants des autres pays, dont les Britanniques, durent rester encore une semaine dans la capitale française.
Le début de la Première Guerre mondiale portait un coup sévère au mouvement espérantiste, dont des milliers d'adeptes allaient être blessés ou trouver la mort sur les champs de bataille. Dans ces mêmes circonstances, pourtant, le mouvement allait également trouver un champ d'action qui lui permettrait de développer sa capacité humanitaire. Lorsque la guerre éclata, des milliers de personnes se trouvaient à l'étranger, que ce soit pour des raisons professionnelles, pour des études ou tout simplement en vacances. D'un jour à l'autre, nombre de ces «invités» devinrent des «ennemis».
Un service de courrier
Face à cette situation, la Universala Esperanto-Asocio UEA (Association universelle de l'espéranto) créa un nouveau service [3 ] . L'initiative en revenait au Dr Orthal, alors délégué de l'UEA à Nuremberg, qui écrivit au bureau central de l'association espérantiste, dont le siège était à Genève, pour s'informer du sort de personnes qui se trouvaient dans des «pays ennemis» et n'avaient plus donné signe de vie. Inspiré par cette demande, le Suisse Hector Hodler, fondateur de l'UEA, eut l'idée de généraliser ce service d'information en l'étendant à un public plus large. Une circulaire fut immédiatement rédigée et envoyée à tous les délégués de l'UEA à travers le monde. Ceux-ci traduisirent le texte dans les différentes langues nationales, et il fut publié dans des centaines de journaux, dans les pays les plus divers. Il se lisait ainsi:
«La guerre ayant commencé subitement, un grand nombre de personnes se sont fait surprendre dans des pays ennemis et n'ont pas eu la possibilité de contacter leurs familles ou leurs proches. Afin de les aider dans la mesure du possible, le bureau de l'Association universelle de l'espéranto, dont le siège se trouve à Genève (Suisse), vient d'informer ses délégués dans les pays belligérants que cette association est disposée à servir, à titre volontaire, d'intermédiaire pour l'échange de correspondance privée entre pays ennemis. Les lettres seront reçues au bureau de Genève, d'où elles seront réexpédiées à leurs destinataires; si nécessaire, elles seront accompagnées d'une traduction. Ne seront acceptés que les envois ouverts et ne contenant aucune mention politique ou militaire.» (Traduction CICR).
Cette annonce ne suscita au début que des réactions timides. Les premiers jours, il n'arrivait que 10 à 15 demandes. Puis le chiffre augmenta jusqu'à 50 et 100, pour atteindre enfin près de 400 demandes de contacts par jour. Il fallut s'adapter à la nouvelle situation. Le bureau central de Genève organisa le travail, auquel participaient une dizaine de volontaires, et le divisa en plusieurs sections: organisation de la correspondance; recherche de personnes; envoi d'objets; contacts avec les civils internés dans des camps de concentration; rapatriement de jeunes et d'enfants; soldats prisonniers; enfin, relations avec les états-majors militaires et avec la Croix-Rouge internationale.
La section la plus développée était celle de l'organisation de la correspondance. Il fallait souvent chercher de nouvelles façons d'aider les personnes qui demandaient des renseignements. On citera pour exemple le cas des délégués de l'UEA à Moscou et Berlin, lorsque l'armée russe occupa la région polonaise de Galicie. Les relations entre celle-ci et la zone occupée antérieurement par l'Allemagne étaient rompues. Le bureau central de Genève envoyait chaque jour de la correspondance au délégué de Moscou qui, à son tour, la réexpédiait par le biais de la poste de l'armée russe. Quant à la correspondance avec la partie de la Galicie occupée par l'Allemagne, elle était envoyée de Genève à Berlin. Ainsi, des familles séparées par deux armées, mais à quelques dizaines de kilomètres seulement, devaient u tiliser une voie qui représentait des milliers de kilomètres pour garder le contact. Mais, de cette façon, des milliers de personnes purent être en correspondance avec leurs proches, d'autres retrouvèrent des parents et d'autres encore reçurent de l'aide sous forme de nourriture, de vêtements et de médicaments. En tout, le nombre de services assurés dépassa les 100 000. Si ce travail énorme parvint à atteindre un tel niveau, ce fut en partie grâce au parfait fonctionnement d'un réseau de délégués qui avaient en commun une langue et l'esprit humanitaire inspirant l'association.
Des idées proches de la Croix-Rouge
Non seulement l'UEA assura ces services de contact entre les populations civiles des pays belligérants, mais elle recommanda également à ses délégués établis dans ces pays de solliciter des autorités militaires l'autorisation de visiter les camps d'internement si cela s'avérait possible, collaborant toujours, en ce sens, avec la Croix-Rouge internationale. On a toujours pensé, non sans raison, que le premier élément qui entre en jeu, généralement, dans la perception d'une personne en tant qu'«ennemie» est le fait de ne pas la comprendre, c'est-à-dire de ne pas parler la même langue qu'elle. Si l'on surmonte cette difficulté grâce à une langue commune et neutre - n'appartenant, donc, à aucun des États en conflit -, on est sur la bonne voie pour considérer, comme le proclame la Croix-Rouge, qu'un blessé ou un prisonnier n'est pas un ennemi. C'est pour cette raison que certaines organisations espérantistes - ainsi, d'ailleurs, que d'autres qui ne l'étaient pas - encouragèrent l'enseignement de l'espéranto dans les camps d'internement. L'Union chrétienne de jeunes gens (YMCA), par exemple, distribua aux prisonniers des milliers de méthodes d'apprentissage de la langu e internationale. Dans d'autres cas, c'étaient les détenus qui la connaissaient déjà qui se chargeaient eux-mêmes de l'enseigner à leurs compagnons, souvent avec l'accord des chefs militaires des camps d'internement. Il ne faut pas oublier, en effet, que pendant la Première Guerre mondiale, aucune des puissances belligérantes n'était opposée à l'espéranto ni au mouvement espérantiste.
Une fois la guerre terminée, les pays vaincus durent faire face à des conditions de vie extrêmes. L'Europe centrale se trouvait en proie à l'hyperinflation et à la pénurie. Certaines régions d'Allemagne et d'Autriche vivaient une situation de très grande pauvreté. Au début de l'année 1920, la Société espérantiste de Styrie (Autriche) demanda une aide urgente à l'Association espérantiste FRATECO (Fraternité) de Saragosse (Espagne). Dans la communication [4 ] adressée à cette occasion se trouvaient relatées les conditions de misère dramatiques dans lesquelles vivaient des centaines d'enfants de cette région de l'Autriche. La Société de Styrie demandait l'aide du mouvement espérantiste espagnol, et plus précisément du groupe de Saragosse, car il s'agissait d'un pays qui était demeuré neutre pendant la guerre et qui, de ce fait, n'en avait pas subi les conséquences. Le président de l'association espagnole convoqua en février 1920 une assemblée générale dont l'ordre du jour ne comportait qu'un point: étudier de quelle manière il serait possible d'aider les enfants autrichiens.
La réaction fut un acte de solidarité. On décida d'honorer toutes les demandes reçues et d'accueillir les enfants autrichiens jusqu'à ce que les conditions de vie se soient améliorées dans leur pays. À cet effet, on créa une fondation sous la direction de l'espérantiste aragonais Emilio Gastón. C'est ainsi que, le 10 octobre 1920, après avoir surmonté de multiples difficultés, les premiers enfants autrichiens débarquaient dans le port de Barcelone. Une semaine plus tard, un deuxième groupe arrivait avec le coordonnateur autrichien de l'opération, Karl Bartel. De nombreuses familles accueillirent les enfants, et l'association elle-même mit son siège à disposition pour en loger quelques-uns. En tout, les jeunes Autrichiens restèrent à Saragosse plus d'un an - jusqu'en juillet 1922 pour être plus précis, date à laquelle ils retournèrent dans leur pays.
Si tout exode de réfugiés vers des lieux plus sûrs constitue une tragédie humaine, bien qu'il soit, aujourd'hui, facilité par des transports rapides et des moyens de communication à la portée de presque tous, nous devons considérer avec d'autant plus d'admiration la solidarité manifestée par ces généreux espérantistes de Saragosse qui, en 1920 déjà, offrirent tout ce qu'ils pouvaient donner d'eux-mêmes pour rendre plus supportable la vie des victimes les plus touchées par les guerres: les enfants.
La Seconde Guerre mondiale
Quelques années avant la Seconde Guerre mondiale, le mouvement espérantiste subit une dure persécution en URSS et, surtout, en Allemagne. Ces deux régimes totalitaires, et en particulier la dictature nazie, ne voyaient pas d'un bon il ce groupe de personnes qui maintenait des contacts avec l'étranger, ne croyait pas en la supériorité d'une race sur les autres et ne soutenait pas la persécution systématique exercée contre le peuple juif. C'est ainsi que les organisations espérantistes qui n'étaient pas d'accord avec le régime en place furent interdites, et qu'on démantela le réseau de délégués de l'Association universelle de l'espéranto qui avait fonctionné si efficacement pendant la Première Guerre.
Cependant, l'année 1936 vit se créer en Europe centrale un service e spérantiste appelé Esperantista Inter-helpo [5 ] (Aide espérantiste), qui avait pour but de venir en aide aux victimes de la terreur nazie, et en particulier aux juifs allemands. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclata, le champ d'action de ce service fut élargi pour inclure également les Tchécoslovaques, les Autrichiens, les Polonais et, d'une façon générale, les autres pays qui se trouvaient peu à peu occupés par les troupes nationales-socialistes. Sa tâche prioritaire était d'aider les civils qui s'étaient vus obligés de quitter leurs foyers et avaient pu gagner des pays neutres. En collaboration avec la Croix-Rouge internationale et le gouvernement suisse, il fit parvenir de la correspondance et des vivres aux personnes internées dans les camps de concentration. Esperantista Inter-helpo servit également de canal à l'aide économique provenant des États-Unis à l'intention des victimes du régime roumain pro-nazi. Cependant, le contrôle postal féroce exercé par le régime nazi et l'isolement du gouvernement suisse devaient entraîner la disparition de ce service en 1942.
L'histoire de la Seconde Guerre mondiale regorge d'exemples d'aide individuelle apportée par des espérantistes à des prisonniers, à des groupes persécutés et, d'une manière générale, à toutes sortes de victimes innocentes de la barbarie humaine. Parfois, ce furent même des soldats allemands espérantophones qui, au péril de leur vie, aidèrent des collègues espérantistes des pays occupés; ce fut le cas au Danemark [6 ] , où plusieurs familles juives furent prévenues à temps des projets de répression grâce à une installation microphonique secrète mise en place par un soldat espérantiste allemand entre le quartier général de son armée à Copenhague et le domicile d'un espérantiste danois. L'aide provenait également de pays neutres: on citera l'exemple des lettres de garantie adre ssées par des espérantistes au gouvernement allemand et qui permirent la mise en liberté et le rapatriement de personnes détenues par le régime nazi; ou le cas du journaliste suisse Hans Ugger [7 ] , de l'agence Associated Press, qui resta en contact avec des espérantistes allemands persécutés et parvint à les aider. Ugger fut arrêté par la Gestapo et interrogé sur ces contacts.
Un espérantiste héroïque
Cependant, le cas le plus important d'action humanitaire menée à bien par un espérantiste pendant la Seconde Guerre mondiale fut celui de Valdemar Langlet [8 ] . Langlet était un journaliste suédois qui, en 1890, apprit la langue internationale espéranto et collabora, par la suite, à la fondation du Club espérantiste d'Uppsala et à l'Association suédoise de l'espéranto elle-même, qu'il présida de 1906 à 1909. Il fut également directeur de la revue Lingvo Internacia. En tant que journaliste, il voyagea, de 1890 à 1900, à travers la Russie, l'Asie et toute l'Europe, écrivant des articles pour des revues suédoises.
Valdemar Langlet vivait en Hongrie depuis 1932; il était lecteur de suédois à l'Université de Budapest tout en travaillant au consulat suédois, où il aidait les familles qui avaient besoin d'assistance. C'est là que la Seconde Guerre mondiale devait le surprendre. L'armée allemande occupa la Hongrie le 19 mars 1944, et la Gestapo entama immédiatement ses persécutions à l'encontre de personnes qu'elle avait déjà préalablement localisées. Face à cette situation, et ayant fait la connaissance d'un jeune homme qui avait réussi à s'enfuir d'un camp de concentration, Langlet décida d'aider les victimes de persécutions. Il avait vu échouer les tentatives d'action isolée de la Croix-Rouge et de la légation suédoise; en tant que délégué de la Croix-Rouge suédoise à Budapest, il résolut donc d'organiser un réseau d'aide à grande échelle. Il procura à des milliers de personnes une carte de protection de la Croix-Rouge suédoise, appelée familièrement le «passeport Langlet».
En certaines occasions, son action devait confiner à l'héroïsme, notamment lorsqu'il sauva des gens sur le point d'être fusillés ou s'interposa, avec son épouse Nina, entre les groupes de collaborateurs hongrois et les portes d'un couvent de religieuses auquel ces derniers allaient donner l'assaut. Le fait le plus marquant, cependant, allait se produire le 14 novembre 1944 lorsque, arrivant au bureau de la Croix-Rouge suédoise à Budapest, Langlet trouva un groupe important de juifs qui attendaient aux portes de la légation et, autour d'eux, des membres du mouvement nazi hongrois qui avaient commencé à les expulser du lieu. Langlet n'hésita pas à parler directement aux autorités hongroises, et les assaillants commencèrent à se retirer.
Cependant, certains d'entre eux avaient arrêté plusieurs réfugiés et les emmenaient. Langlet courut derrière eux, un tumulte s'ensuivit et le courageux journaliste essaya de libérer les réfugiés à la seule force de ses poings face à des dizaines d'hommes armés. Les Hongrois se mirent à tirer en l'air et l'un d'eux menaça de lancer une grenade contre le bureau de la Croix-Rouge suédoise. Un autre membre de l'organisation humanitaire, Jozsef Heïnrah, arrêta son geste et l'avertit que le bâtiment faisait partie de l'ambassade de Suède et, par conséquent, du territoire de ce pays; toute agression contre l'édifice pouvait donc être considérée comme une provocation contre un pays neutre. Finalement, toutes les personnes arrêtées furent libérées.
En mai 1945, Valdemar Langlet et tous les fonctionnaires de la Croix-Rouge suédoise à Budapest durent quitter la Hongrie. De retour en Suède, Langlet organisa un comité d'aide pour l a Hongrie et, en 1946, écrivit l'ouvrage Verk och dagar i Budapest, dans lequel il narrait tous les événements évoqués plus haut. Depuis 1955, une rue et une école de Budapest rappellent le souvenir de l'espérantiste suédois qui mena une lutte acharnée aux côtés de la Croix-Rouge.
Les deux Guerres mondiales avaient porté un rude coup au mouvement espérantiste. Les groupes de personnes qui, depuis le début du siècle, diffusaient avec ténacité, non seulement une langue née pour être internationale, mais également l'idéal humanitaire qu'elle représentait, avaient vu leurs rêves internationalistes déçus - lorsqu'ils n'avaient pas trouvé la mort sur les champs de bataille ou dans un camp de concentration.
Cependant, des hommes comme Bayol, Hodler et Langlet avaient compris que l'espéranto et le mouvement qui le défend et le diffuse, le mouvement espérantiste, pouvaient également jouer un rôle utile dans la protection humanitaire des civils plongés dans les conflits armés, en suivant l'exemple de la Croix-Rouge internationale et en collaborant avec elle.
Notes :
1. Sirjaev, Enciklopedio de Esperanto , Budapest, éd. Hungara Esperanto-Asocio, 1986, pp. 41 et 473-474.
2. L. Courtinat, Historio de Esperanto , Agen, éd. par l'auteur, 1966, pp. 309 et 402.
3. L. Courtinat, op. cit., pp. 309-402.
4. A. Marco Botella Analoi de la Esperanta Movado en Hispanujo , Saragosse, éd. Frateco, 1987, pp. 132-134.
5. I. Lapenna et al., Esperanto en Perspektivo: Faktoj kai analizoi pri la Internacia Lingvo , Londres, Rotterdam, éd. CED, 1974, pp. 367-368.
6. U. Lins, La Dangera Lingvo , Gerlingen, éd. Bleicher, 1988, p. 132.
7. U. Lins, op. cit., p. 127.
8. K. Kniivilä, «Esperantisto kontrau malhomeco», Esperanto , Rotterdam, mai 1995, pp. 82-84.