La clause de Martens et le droit des conflits armés

30-04-1997 Article, Revue internationale de la Croix-Rouge, 824, de Rupert Ticehurst

  Rupert Ticehurst   , BA LLM, est professeur à la faculté de droit de King's College, Londres.  

     

La clause de Martens fait partie du droit des conflits armés depuis sa première apparition dans le préambule de la Convention II de La Haye de 1899 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre :

« En attendant qu'un code plus complet des lois de la guerre puisse être édicté, les Hautes Parties contractantes jugent opportun de constater que, dans les cas non compris dans les dispositions réglementaires adoptées par elles, les populations et les belligérants restent sous la sauvegarde et sous l'empire des principes du droit des gens, tels qu'ils résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l'humanité et des exigences de la conscience publique. »

La clause se fondait sur une déclaration lue par le professeur Frédéric de Martens — à qui elle doit son nom —, délégué russe à la Conférence de la paix réunie à La Haye en 1899 [1 ] . Martens avait présenté cette déclaration après que les délégués à la Conférence de la paix n'eurent pas réussi à se mettre d'accord sur la question du statut des civils qui prenaient les armes contre une force occup ante. De l'avis des grandes puissances militaires, il fallait traiter ces civils comme des francs-tireurs et les rendre passibles d'exécution ; de leur côté, les petites nations soutenaient qu'il fallait les traiter comme des combattants réguliers [2 ] . Bien qu'elle ait été formulée à l'origine spécifiquement pour résoudre ce différend, la clause est réapparue plus tard, sous des formes diverses quoique similaires, dans des traités ultérieurs réglementant les conflits armés [3 ] .

Les juristes spécialisés en droit humanitaire voient leur tâche compliquée par le fait qu'il n'existe aucune interprétation usuelle de la clause de Martens, et qu'ils sont, au contraire, confrontés à diverses interprétations plus ou moins larges. Dans son sens le plus restreint, la clause sert à rappeler que le droit international coutumier continue d'être applicable après l'adoption d'une norme conventionnelle [4 ] . Selon une optique plus large, étant donné que peu de traités internationaux relatifs au droit des conflits armés sont complets, la clause de Martens stipule que tout ce qui n'est pas expressément interdit par un traité n'est pas pour autant autorisé [5 ] . Quant à l'interprétation la plus large, elle veut que la conduite dans les conflits armés ne soit pas jugée uniquement selon les traités et la coutume, mais aussi selon les principes du droit international évoqués par la clause.

L'avis consultatif de la Cour internationale de Justice (CIJ) sur la licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires du 8 juillet 1996 impliquait une analyse exhaustive du droit des conflits armés [6 ] . Bien que cette analyse fût spécifiquement axée sur les armes nucléaires, l'avis nécessitait une prise en considération générale du droit des conflits armés. Bien entendu, les exposés oraux et écrits présentés à la CIJ et l'avis qui en est résulté se sont abondamment référés à la clause de Martens, révélant un certa in nombre d'interprétations possibles. L'avis lui-même ne fournit pas d'interprétation claire de la clause. Néanmoins, les déclarations de certains États et quelques-unes des opinions dissidentes ont fourni des éclairages très intéressants sur sa signification.

Dans son exposé, la Fédération de Russie affirme que la clause de Martens est devenue superflue, le droit des conflits armés ayant été entièrement codifié en 1949 et en 1977 [7 ] . En effet, on retrouve cette clause aussi bien dans les Conventions de Genève de 1949 que dans les deux Protocoles additionnels de 1977 [8 ] . En outre, la Conférence diplomatique de 1977, qui a donné lieu à la rédaction du Protocole additionnel I, a clairement manifesté à quel point la clause de Martens restait importante en l'enlevant du préambule, où elle figurait à l'origine, c'est-à-dire dans le projet de 1973, pour en faire une disposition substantielle du Protocole. Il ne fait donc aucun doute que la clause de Martens garde toute sa pertinence. Nauru l'a confirmé en déclarant : « (...) La clause de Martens n'a pas été une aberration historique. De nombreuses conventions contemporaines relatives au droit de la guerre ont assuré sa pérennité » [9 ] .

Le Royaume-Uni, pour sa part, déclare dans son exposé que la clause de Martens stipule clairement que l'absence d'une interdiction conventionnelle spécifique sur l'emploi des armes nucléaires ne signifie pas pour autant que leur usage soit autorisé. Il estime toutefois qu'elle n'établit pas, par elle-même, leur illicéité : pour une interdiction, il faut se référer à une règle de droit international coutumier. Le Royaume-Uni ajoute : « Il est évident que même lorsqu'il n'existe pas de règle prohibitive applicable à un État particulier, la conduite de l'État en question doit être acceptable... » [10 ] . Manifestement, il a opté pour une interprétation étroite de la clause de Martens, qui réduit celle-ci à un simple r appel de l'existence de normes positives du droit international coutumier ne faisant pas partie de traités spécifiques.

Dans son avis, la CIJ précise simplement, à propos de la clause de Martens qu'elle « s'est révélée être un moyen efficace pour faire face à l'évolution rapide des techniques militaires » [11 ] . Ceci nous éclaire peu sur la manière dont la clause devrait être interprétée dans la pratique. Certaines des opinions dissidentes sont plus révélatrices. Ainsi, dans la sienne, le juge Koroma met en question toute la notion de recherche d'interdictions spécifiques de l'emploi de certaines armes, affirmant : « La futile recherche d'une interdiction juridique expresse ne peut donc s'expliquer que par une forme extrême de positivisme... » [12 ]

Dans son opinion dissidente, le juge Shahabuddeen se livre à une analyse très approfondie de la clause de Martens. Il se réfère tout d'abord à l'avis consultatif de la CIJ, paragraphes 78 et 84, où la Cour établit que la clause de Martens est une règle de droit international coutumier et revêt donc un caractère normatif. En d'autres termes, la clause elle-même fixe une règle de conduite pour les États. Se référant à des exposés tels que celui du Royaume-Uni cité plus haut, il déclare : « On ne voit pas quelle règle de conduite pour les États elle fixe, si elle se contente de rappeler aux États les règles de conduite qui existent tout à fait en dehors d'elle. » [13 ] Le juge Shahabuddeen estime manifestement que la clause de Martens n'est pas un simple rappel de l'existence d'autres règles de droit international non contenues dans untraité spécifique, mais qu'elle a un caractère normatif en soi et, de ce fait, agit indépendamment des autres règles.

À l'appui de cette thèse, il se réfère à la Conférence de la paix réunie à La Haye en 1899, au cours de laquelle le représentant de la Belgique fit objection à l'inclu sion de certains projets de dispositions dans la convention finale. Toutefois, après que la Conférence eut adopté la déclaration du professeur Martens, le délégué n'hésita plus à voter en faveur des dispositions contestées. Le juge Shahabuddeen conclut qu'un tel revirement ne put se produire que parce que le représentant avait estimé — suivi en cela par d'autres délégués — que la clause de Martens apportait la protection que les dispositions controversées n'offraient pas, et avait elle-même force normative.

Le juge Shahabuddeen affirme que les principes de droit international évoqués dans la clause tirent leur origine de trois sources différentes : les usages établis entre nations civilisées (désignés par « usages établis » dans l'article premier, alinéa 2, du Protocole additionnel I), les lois de l'humanité (désignées par « principes de l'humanité » dans l'article premier, alinéa 2) et les exigences de la conscience publique (désignées par ces mêmes termes dans l'article premier, alinéa 2). Il apparaît que, lorsqu'on entend déterminer toute la portée du droit des conflits armés, la clause de Martens permet d'aller au-delà du droit conventionnel et de la coutume, et de prendre en considération les principes de l'humanité et les exigences de la conscience publique.

La Commission du droit international (CDI) a soutenu cette position en affirmant que « [la clause de Martens ] (...) énonce que même dans les situations qui ne sont pas couvertes par un accord international, les populations civiles et les belligérants restent sous la sauvegarde et sous l'empire des principes du droit des gens tels qu'ils résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l'humanité et des exigences de la conscience publique ». [14 ]

La clause de Martens est importante parce que, de par sa référence au droit coutumier, elle souligne la portée des normes coutumières dans le règ lement des conflits armés. En outre, elle invoque les « principes de l'humanité » et les « exigences de la conscience publique ». Il est capital de comprendre la signification de ces termes. L'expression « principes de l'humanité » est synonyme de « lois de l'humanité » ; la première version de la clause de Martens (préambule de la Convention II de La Haye de 1899) se réfère aux « lois de l'humanité » ; la version ultérieure (Protocole additionnel I), aux « principes de l'humanité ». Ces derniers sont interprétés comme interdisant d'utiliser des moyens et méthodes de guerre qui ne seraient pas nécessaires pour obtenir un avantage militaire précis [15 ] . Selon l'interprétation de Jean Pictet, « l'humanité exige que l'on préfère la capture à la blessure, la blessure à la mort, que l'on épargne autant que possible les non-combattants, que l'on blesse de la façon la moins grave — afin que le blessé soit opérable, puisse guérir — et de la façon la moins douloureuse ; que la captivité soit aussi supportable que possible ». [16 ]

Cette partie de la clause de Martens n'ajoute pas grand-chose au droit des conflits armés en vigueur actuellement, puisqu'il semble que la protection offerte par les principes de l'humanité reflète celle que fournit la doctrine de la nécessité militaire. Cette doctrine exige que les belligérants ne déploient pas plus de force qu'il n'est strictement nécessaire pour atteindre leurs objectifs militaires légitimes [17 ] . Elle est déjà bien établie dans des traités comme le Règlement de La Haye de 1907, que le Tribunal militaire international de Nuremberg a expressément reconnu en 1946 comme déclaratoire de coutume.

En ce qui concerne les « exigences de la conscience publique », Nauru a soutenu, dans sa déclaration devant la CIJ, que la clause de Martens autorisait la Cour, lorsque celle-ci s'efforçait de définir la portée des règles humanitaires des conflits armés, à pre ndre en considération les communications juridiques faites au nom des exigences de la conscience publique. Cet exposé se référait à « une quantité de projets de règlements, de déclarations, de résolutions, ainsi qu'à d'autres communications faites par des personnes et des institutions hautement qualifiées pour évaluer le droit de la guerre, sans être toutefois affiliées à un gouvernement » (traduction CICR). Il citait, par exemple, la Déclaration de La Haye de 1989 sur l'« illicéité des armes nucléaires » faite par l'International Association of Lawyers Against Nuclear Arms (IALANA). Juristes de l'Est comme de l'Ouest avaient alors été unanimes pour déclarer cette illicéité, affirmant que l'emploi ou la menace d'emploi d'armes nucléaires était « un crime de guerre et un crime contre l'humanité, ainsi qu'une grave violation des autres règles du droit international coutumier et du droit des traités... » [18 ] .

Le juge Shahabuddeen a considéré que la Cour devait se limiter à des sources faisant autorité. Il s'est référé notamment aux résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies (AGNU). Toute une série de résolutions de l'AGNU ont condamné l'emploi des armes nucléaires. Ainsi, la résolution AGNU 38/75 (du 15 décembre 1983) déclare que l'Assemblée générale « condamne résolument, sans réserve, et à jamais la guerre nucléaire comme contraire à la conscience et à la raison humaines... ». Étant donné que ni cette résolution ni les autres n'ont été adoptées à l'unanimité, il est peu probable qu'elles reflètent l'existence d'une norme coutumière de lege lata . En revanche, elles fournissent la preuve de la conscience publique [19 ] . Le juge Shahabuddeen a conclu que l'on pouvait considérer que la conscience publique, telle qu'elle était évoquée, par exemple, dans les résolutions de l'AGNU, était opposée à l'emploi d'armes nucléaires comme étant inacceptable en toutes circonstances.

Cette position a été soutenue par les exposés écrits des États. Pour l'Australie, par exemple, « la question n'est pas de savoir si la menace ou l'emploi d'armes nucléaires est compatible avec l'un ou l'autre de ces instruments, mais si la menace ou l'emploi d'armes nucléaires est en soi incompatible avec les principes généraux de l'humanité. Tous ces instruments [... ] offrent des preuves cumulatives que les armes qui ont des effets potentiellement si désastreux sur l'environnement, ainsi que sur des civils et des cibles civiles, ne sont plus compatibles avec les exigences de la conscience publique » [20 ] . Quant au Japon, il a également affirmé : « (...) En raison de l'énorme pouvoir qu'ont les armes nucléaires de détruire, de tuer et de blesser des êtres humains, leur emploi est nettement contraire à l'esprit d'humanité qui constitue le fondement philosophique du droit international » [21 ] . Au contraire, le professeur Greenwood estime que cette interprétation « (...) est inapplicable puisque le concept de « conscience publique » est trop vague pour pouvoir constituer le fondement d'une règle de droit séparée et qu'elle n'a rencontré qu'un faible soutien » [22 ] .

Les positions défendues par les États dans leurs exposés à la CIJ sur le problème des armes nucléaires et les opinions divergentes qu'ont données les juges pour y répondre reflètent la constante opposition qui existe en droit international entre le droit positif et le droit naturel. Les États préconisant la licéité de l'emploi d'armes nucléaires soutiennent qu'en l'absence d'une règle prohibitive de droit international, qu'elle soit conventionnelle ou coutumière, les armes nucléaires restent licites.

À la fin du XIXe siècle, les concept s de positivisme juridique et de souveraineté de l'État dominaient la pensée juridique internationale, ce qui a mené à une vaste codification des lois de la guerre — premier domaine du droit international à être codifié. Le droit international positif est déterminé par la volonté conventionnelle de l'État, qui peut se manifester par l'acceptation des dispositions d'un traité, ou par une pratique étatique favorisant ou empêchant le développement d'une règle coutumière [23 ] . En adoptant une interprétation positiviste du droit international, les États qui ne consentent pas à être liés par les règles d'un traité ou qui refusent le développement de règles coutumières restent en dehors de l'ordre juridique régi par ces normes : l'assujettissement à une norme positive dépend de la volonté de l'État. Il s'agit donc d'un droit consensuel. Si cette volonté fait défaut, l'État n'est pas lié par ladite règle et, partant, n'est pas responsable devant la communauté internationale s'il ne la respecte pas. Selon le professeur Brownlie, les États peuvent « se dégager » du développement d'une règle coutumière : « (...) Un État peut se dégager d'une règle coutumière en formation. Il devra établir clairement son objection et il aura probablement à réfuter une présomption d'acceptation. Quels que soient les fondements théoriques du principe, il est bien reconnu par les tribunaux internationaux, ainsi que par la pratique des États ». [24 ]

Outre le fait qu'ils peuvent se dégager du développement d'une règle coutumière, les États les plus touchés par le développement d'une norme peuvent empêcher une norme de lege ferenda de se cristalliser en une norme de lege lata . Par conséquent, la pratique des États nucléaires est très importante dans le développement d'une règle coutumière régissant ou interdisant les armes nucléaires. Dans l eur exposé à la CIJ sur le statut juridique des armes nucléaires, les États-Unis déclarent qu'en ce qui concerne l'emploi des armes nucléaires, les règles coutumières ne peuvent se créer en passant outre à l'objection des États nucléaires dont les intérêts sont les plus touchés. Ainsi, non seulement le droit positif dépend de la volonté des États, mais il peut aussi dépendre de la volonté de ceux qui sont les plus touchés par la règle en formation. Dans le droit des conflits armés, cela signifie que les États qui possèdent des armes dont le reste du monde souhaite se débarrasser peuvent empêcher la mise en place d'une interdiction de ces armes. Cela signifie aussi que ce sont les plus grandes puissances militaires qui exercent le plus d'influence sur le développement du droit des conflits armés.

Contrairement au droit positif, le droit naturel est universel, et lie tous les peuples et tous les États. C'est donc un droit non consensuel fondé sur la notion de la prédominance de la justice. Le droit naturel a été dans une large mesure évincé par le succès croissant des interprétations positivistes du droit international. Selon Schachter, «il était apparu évident aux juristes internationaux, comme il l'avait été à d'autres, que les États qui créaient et appliquaient le droit n'étaient guidés ni par des principes moraux ni par la « raison naturelle » ; ils agissaient pour des raisons de pouvoir et d'intérêt. Il s'ensuivait le droit ne pouvait être établi que par le biais des méthodes effectivement utilisées par les États pour accomplir leur « volonté politique » [25 ] . Cependant, le jugement du Tribunal de Nuremberg, qui s'est appuyé dans une large mesure sur le droit naturel pour déterminer la culpabilité du haut commandement nazi, a confirmé que le droit naturel conservait sa validité en tant que fondement du droit international au XXe siècle.

Les tenants de l'illicéité des armes nucléaires ont souligné l'importance du droit naturel et ont instamment invité la CIJ à examiner la question au-delà des règles positives du droit international. La clause de Martens étaie cette position, puisqu'elle indique que le droit des conflits armés n'offre pas seulement un code de droit positif, mais aussi un code moral. Ceci donne aux opinions des petits États et des membres individuels de la communauté internationale la possibilité d'influencer le développement du droit de la guerre. Cette partie du droit international ne devrait pas refléter les seules vues des grandes puissances militaires. Il est extrêmement important que le développement du droit des conflits armés reflète les vues de l'ensemble de la communauté mondiale.

En outre, le système juridique international diffère des systèmes juridiques nationaux en ce qu'il n'a pas d'organe législatif central. Le droit international est décentralisé, parce que son évolution dépend du large consensus des États, que ce soit pour la ratification d'un traité ou pour le développement de règles de droit international coutumier. Par conséquent, il peut s'écouler un temps assez long entre l'apparition de critères moraux et la constitution de règles de droit positif traduisant ces critères. De même, il peut s'écouler du temps entre les « progrès » de la technologie militaire et la mise au point de critères normatifs destinés à contrôler ou à interdire l'emploi de ces technologies militaires. C'est ainsi que le droit positif peut s'avérer impuissant à protéger les gens des excès perpétrés pendant un conflit armé. Il est donc important de reconnaître l'existence d'un code moral en tant qu'élément du droit des conflits armés venant s'ajouter au code de droit positif.

     

  Conclusion  

La philosophie dominante en droit international est positiviste. Les obligations envers la communauté internationale sont donc régies par une combinaison de droit des traités et de droit coutumier, ce qui a des incidences importantes en ce qui concerne le droit des conflits armés. En refusant de ratifier des traités ou de consentir au développement des règles coutumières correspondantes, les grandes puissances militaires peuvent exercer un contrôle sur la teneur du droit des conflits armés. Les autres États sont impuissants à interdire certaines technologies que possèdent les puissances militaires. Ils peuvent, certes, adopter des résolutions de l'AGNU pour indiquer leur désapprobation mais, s'il y a des votes négatifs et des abstentions, ces résolutions, d'un point de vue strictement positiviste, ne sont pas normatives.

La clause de Martens sert de lien entre les règles positives de droit international relatives aux conflits armés et le droit naturel. L'une des raisons pour lesquelles ce dernier a perdu du terrain est son caractère entièrement subjectif. Les États qui s'affrontaient faisaient valoir des normes contradictoires du droit naturel. Cependant, la clause de Martens établit un moyen objectif de définir le droit naturel : les exigences de la conscience publique. Ceci enrichit considérablement le droit des conflits armés et permet à tous les États de participer à son développement. Les grandes puissances militaires n'ont cessé de s'opposer à l'influence du droit naturel sur le droit des conflits armés, bien qu'elles aient fait appel à ce même droit naturel pour les accusations de Nuremberg. Dans son avis consultatif, la CIJ n'a pas précisé dans quelle mesure la clause de Martens admettait que des notions de droit naturel influent su r l'évolution du droit des conflits armés. Si l'avis n'a donc pas clarifié ce que devrait être l'interprétation correcte de la clause, il a néanmoins donné lieu à un intéressant débat sur cet élément important — et souvent négligé — du droit des conflits armés.

   Notes :  

Original: anglais.

1. Pour une description détaillée de la vie et des travaux de Martens, voir V. Poustogarov, « Un humaniste des temps modernes : Fiodor Fiodorovitch Martens (1845-1909) », Revue internationale de la Croix-Rouge ( RICR ), no 819, mai-juin 1996, pp. 322-338.

2. Voir F. Kalshoven, Restrictions à la conduite de la guerre , Genève, CICR, 1987, p. 15.

3. Convention de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (Convention no IV), préambule ; les quatre Conventions de Genève de 1949 relatives à la protection des victimes de la guerre (CG I : article 63 ; CG II : article 62 ; CG III : article 142 ; CG IV : article 158) ; Protocole additionnel I de 1977,   article premier, par. 2, et Protocole additionnel II de 1977, préambule ; Convention des Nations Unies de 1980 sur l'interdiction ou la limitation de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination, préambule.

4. C. Greenwood, «Historical D evelopment and Legal Basis», The Handbook of Humanitarian Law in Armed Conflicts , Dieter Fleck (éd.), Oxford University Press, Oxford/New York, 1995, p. 28 (par. 129).

5. Y. Sandoz, C. Swinarski, B. Zimmermann (éd.), Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949 , CICR/Martinus Nijhoff, Genève, 1986, pp. 38-39 (par. 55) ; N. Singh et E. McWhinney, Nuclear Weapons and Contemporary International Law , 2e éd., Martinus Nijhoff, Dordrecht, 1989, pp. 46-47.

6. Cour internationale de Justice, Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires , avis consultatif du 8 juillet 1996 (ci-après « l'avis ») — Voir R. Ticehurst, « The Advisory Opinion of the International Court of Justice on the legality of the threat or use of nuclear weapons », War Studies Journal , automne 2 (1), pp. 107-118.

7. Fédération de Russie, exposé écrit sur l'avis demandé par l'Assemblée générale, p. 13.

8. Voir note 3 ci-dessus.

9. Nauru, exposé écrit sur l'avis demandé par l'Organisation mondiale de la Santé, p. 46 (traduction CICR).

10. Royaume-Uni, exposé écrit sur l'avis demandé par l'Assemblée générale, p. 21 (traduction CICR).

11. Avis, par. 78.

12. Opinion dissidente du juge Koroma, p. 14.

13. Opinion dissidente du juge Shahabuddeen, p. 21.

14. Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante-sixième session, 2 mai — 22 juillet 1994, Assemblée générale des Nations U nies A/49/10, Nations Unies, New York, 1994, p. 343.

15. E. Kwakwa, The International Law of Armed Conflict: Personal and Material Fields of Application , Kluwer Academic, Dordrecht, 1992, p. 36.

16. J. Pictet, Développement et principes du droit international humanitaire , Institut Henry-Dunant/Pedone, Paris, 1983, p. 77.

17. Voir E. Kwakwa, op. cit. (note 15), pp. 34-38.

18. Nauru, exposé écrit sur l'avis consultatif demandé par l'Organisation mondiale de la Santé, p. 68 (traduction CICR).

19. Voir également Sean McBride, « The Legality of Weapons of Social Destruction », Études et essais sur le droit international humanitaire et sur les principes de la Croix-Rouge en l'honneur de Jean Pictet , C. Swinarski (éd.), Martinus Nijhoff, Dordrecht, 1984, p. 406 : « Many resolutions adopted by the General Assembly of the United Nations have, either directly or by inference, condemned completely the use, stockpiling, deployment, proliferation and manufacture of nuclear weapons. While such resolutions may have no formal binding effect in themselves, they certainly do represent'the dictates of public conscience'in the 20th century, and come within the ambit of the'Martens Clause'prohibition. » (« De nombreuses résolutions adoptées par l'Assemblée générale des Nations Unies ont, directement ou par déduction, condamné entièrement l'usage, le stockage, le déploiement, la prolifération et la fabrication d'armes nucléaires. Ces résolutions n'ont peut-être pas, en elles-mêmes, force obligatoire, mais elles représentent sans aucun doute « les exigences de la conscience publique » au XXe siècle, et entrent dans le cadre de l'inte rdiction formulée par la clause de Martens. » (traduction CICR).

20. Australie, exposé oral devant la CIJ, p. 57 (traduction CICR).

21. Japon, exposé oral devant la CIJ, p. 18. Cette position est comparable aux arguments soumis par les demandeurs dans l'Affaire Shimoda , voir Judicial Decisions, « Tokyo District Court, December 7, 1963 », Japanese Annual of International Law , vol. 8, Tokyo, 1964, p. 216, où il était précisé que si les règles du droit international positif n'interdisaient pas l'emploi des armes nucléaires, elles étaient illégales au regard du droit international naturel ou logique émanant de l'esprit même de ces règles (traduction CICR).

22. Op. cit. (note 4), p. 28 (par. 129) (traduction CICR).

23. Selon R. Ago, « Positive Law and International Law », American Journal of International Law , vol. 51, 1957, p. 693, « positive international law is that part of law which is laid down by the tacit and expressed consent of the different states. » (« le droit international positif est la partie du droit qui est établie par l'accord tacite et exprès des différents États. » [traduction CICR ] ).

24. Voir I. Brownlie, Principles of Public International Law , 4e édition, Clarendon Press, Oxford, 1990, p. 10 (traduction CICR).

25. O. Schachter, International Law in Theory and Practice , Martinus Nijhoff, Dordrecht, 1991, p. 36 (traduction CICR).