Groupe de travail chargé des questions humanitaires du Conseil de mise en oeuvre de la paix
06-04-1999 Déclarationde Cornelio Sommaruga
Discours de M. Cornelio Sommaruga, Président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Genève, 6 avril 1999
Les mots ne suffisent plus pour décrire la dégradation de la situation dans les Balkans. Ces dix dernières années, la région a été le témoin d'une série consternante de tragédies, à la fois collectives et individuelles. D'abord la Croatie. Puis la Bosnie-Herzégovine. Maintenant, nous sommes confrontés à un conflit qui ne cesse de s'étendre au Kosovo et à travers la République fédérale de Yougoslavie, un conflit dont les répercussions sur le plan humanitaire sont tout simplement désastreuses. À dire vrai, je suis persuadé qu'elles hanteront nos souvenirs des décennies durant.
*
Depuis le 24 mars 1999, les événements se sont précipités en République fédérale de Yougoslavie de manière effrayante. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est alarmé de ce conflit qui se propage, qui prend de plus en plus des proportions régionales et dont les conséquences sont incalculables en termes humanitaires.
Je dois ici exprimer ma consternation face à la situation qui se développe au Kosovo. Ce qui vient en premier à l'esprit, c'est le spectacle sous nos yeux de tant de vies humaines brisées. Les personnes forcées de quitter leur foyer se comptent maintenant par centaines de milliers, et le traumatisme qu'elles subissent est inimaginable. Selon des témoignages, tout donne à penser que l'on tente de chasser du Kosovo la grande majorité de la population d'origine albanai se.
En outre, le CICR a raison de craindre que la vie des civils du Kosovo soit dans bien des cas menacée. J'ai demandé et demanderai sans relâche aux plus hautes autorités yougoslaves qu'elles prennent immédiatement des mesures efficaces pour garantir la sécurité de la population d'origine albanaise vivant au Kosovo.
De même, il est important de souligner notre préoccupation quant aux effets, en termes humanitaires, des frappes aériennes de l'OTAN sur la République fédérale de Yougoslavie, où les civils – terrés nuit après nuit dans des abris antiaériens– vivent dans la peur, la souffrance physiqueet l'angoisse quant au sort des membres de leur famille et de leurs voisins.
Le CICR a rappelé officiellement aux États membres de l'OTAN et aux autorités yougoslaves leurs obligations qui découlent des règles et des principes du droit international humanitaire dans ce contexte, et plus particulièrement en ce qui concerne la conduite des hostilités, ainsi que les dispositions de la IIIe Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre.
Je voudrais maintenant faire quelques observations à propos, en particulier, des déplacements massifs de populations à partir du Kosovo et en direction de la république du Monténégro, de l'Albanie et de l'ex-République yougoslave de Macédoine.
Premièrement, il faut une fois encore insister sur le fait qu'il ne suffit pas simplement de qualifier ce qui se passe en ce moment de «catastrophe humanitaire». Un conflit de cette ampleur, qui est peut-être à l'origine de la plus grave et la plus soudaine crise de réfugiés en Europe dans la seconde moitié de ce siècle, est avant tout une catastrophe politique et sociale qui a en effet d'immenses répercussions sur le plan humanitaire.
Deuxièmement, on entend parler de l'«incapacité» des organisations humanitaires à faire face à cette crise. Je serai très clair à ce sujet: les organisations humanitaires, et parmi elles les composantes du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, s'efforcent de faire face à la crise, mais de toute évidence, son ampleur même exigera une mobilisation d'un genre particulier.
Un certain nombre de décisions politiques difficiles vont aussi devoir être prises par la communauté internationale si l'on veut préserver la stabilité dans les Balkans au sens large. En d'autres termes, le CICR souhaite relayer l'appel lancé par le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés aux gouvernements occidentaux et autres pour qu'ils s'engagent à accueillir, à titre provisoire, un nombre important de réfugiés dans leurs pays respectifs. Des gouvernements ont déjà indiqué leur intention de procéder de la sorte. Ce geste encourageant doit s'accompagner de mesures visant à prévenir encore davantage la dispersion des familles. Le partage de la charge de l'accueil rassurera l'Albanie et l'ex-République yougoslave de Macédoine, qui sauront ainsi qu'elles ne seront pas seules pour faire face aux conséquences de l'afflux de réfugiés auquel elles sont confrontées à l'heure actuelle. En même temps, j'en appelle fermement aux autorités de Skopje pour qu'elles ouvrent sans délai leurs frontières et permettent ainsi aux dizaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants qui ont été livrés à eux-mêmes pendant des jours dans un no-man's land dangereux de pénétrer sur leur territoire.
Des mesures d'urgence sont indispensables pour venir à bout de cette situation déplorable: les frontières de l'ex-République yougoslave de Macédoine doivent être ouvertes, et au delà!
En parallèle, un certain nombre d'États ont déjà exprimé leur intention de mettre à disposition des moyens exceptionnels pour résoudre la crise des réfugiés en Albanie et dans l'ex-République yougoslave de Macédoine, y compris des moyens militaires. N'oublions pas cependant les épreuves que subissent les milliers de civils d'origine albanaise qui affluent au Monténégro, où le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge est l'organisation humanitaire la plus opérationnelle.
En outre, je tiens à saisir cette occasion pour souligner que, depuis le début de la crise, le CICR et la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ont renforcé leurs activités pour venir en aide aux victimes en République fédérale de Yougoslavie, en Albanie et dans l'ex-République yougoslave de Macédoine. Ces activités ont non seulement pour but de fournir une assistance matérielle, mais aussi d'apporter un remède aux conséquences très particulières d'un conflit où tant de personnes sont contraintes de quitter leur foyer: je veux parler de la perte de tout contact avec les parents et les amis. Cette situation provoque une tension insupportable et des souffrances supplémentaires chez des personnes qui doivent déjà endurer des conditions de vie consternantes. En même temps, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a élaboré une stratégie régionale avec un plan d'action qui a été présenté aujourd'hui même. Au cœur de cette stratégie, les Sociétés nationales de la Croix-Rouge des pays concernés jouent et continueront de jouer un rôle crucial. Comme George Weber, secrétaire général de la Fédération internationale, le fera remarquer, des ressources importantes ont été mobilisées au sein même du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge pour faire en sorte de répondre sans discontinuer aux besoins urgents des jours et des semaines à venir.
Je dois insister sur le fait qu'une présence de la Croix-R ouge sera essentielle tant à l'intérieur de la République fédérale de Yougoslavie– pour apporter assistance, et si possible protection, aux victimes qui s'y trouvent– qu'à l'extérieur de ce pays afin de pourvoir aux besoins des réfugiés.
À ce propos, je tiens à signaler l'excellente coordination entre le CICR, la Fédération internationale et les autres organisations humanitaires, en particulier le HCR, à ce stade critique des opérations.
En guise de conclusion, qu'il me soit permis de dire que toute personne concernée doit faire preuve de responsabilité. Des personnes réclament notre action urgente et concertée, et personne – aucun gouvernement, aucune organisation – n'est en mesure de régler seul cette crise.
Réf. EXSO 99.04.06-FRE