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Liens familiaux: les yeux grands ouverts

13-05-2003 Éclairage

Les blessures physiques de guerre peuvent être guéries, la douleur oubliée - mais la douleur des plaies psychologiques causées par la séparation, l'éclatement des familles, risque de durer...Correspondance de Michèle Mercier à Amman.

  Samar a vingt-quatre ans, elle travaille au sein de l'équipe de l'Agence de recherches à Amman. C'est sa toute première expérience avec le CICR en cette période particulièrement délicate pour l'ensemble du monde arabe. Sur un plan plus personnel, la confrontation directe avec le vécu des personnes reçues par l'Agence, leur désarroi, leur angoisse, lui a ouvert les yeux sur la valeur réelle de la famille, à laquelle elle n'avait pas trop réfléchi jusqu'alors. Elle partage deux de ses expériences récentes (les noms cités sont fictifs).  

     

  Quelque part en Allemagne...  

     

  Un jour, il y a vingt-cinq ans, en Palestine, un couple divorce. Le père quitte la région avec ses deux enfants, laissant sa femme, "Farah", seule et sans informations sur leur destination.  

     

  Aucun contact n'est établi entre les enfants et leur mère durant plus de vingt ans jusqu'au jour où le fils, devenu professeur de ski en Allemagne, prend conscience que sa mère doit être vivante et qu'il veut la retrouver. Il contacte alors la Croix-Rouge allemande en lui donnant les quelques rares informations en sa possession sur sa courte vie en Palestine.  

     

  La Croix-Rouge allemande se tourne vers la délégation du CICR à Jérusalem pour faire démarrer les recherches. Celle-ci découvre assez rapidement que Farah s'est remariée et qu'elle vit en Jordanie depuis plus de vingt ans.  

     

  Il est intéressant de noter que son nouveau mari, désireux de l'aider à retrouver ses enfants, avait tenté d'obtenir des indications de la part de la famille du père des enfants, notamment sur l'endroit où celui-ci habiterait. Malheureusement, aucune aide n'était venue de ce côté-là et les recherches avaient été abandonnées.  

     

  Pour le CICR à Amman, alerté par la délégation de Jérusalem, il est en revanche très facile de retrouver Farah à Amman, laquelle se présente à la délégation pour entrer en contact téléphonique avec son fils en Allemagne. Le premier appel aboutit sur un répondeur, sur lequel un responsable de l'Agence laisse un message. La famille est là, qui attend, respectueusement. On sent que le dénouement est proche, mais l'angoisse demeure.  

     

  Peu après, le fils de Farah est en ligne. Il ne parle que l'allemand et sa mère que l'arabe. Il a d'ailleurs changé de patronyme et porte aujourd'hui un nom allemand pour se distinguer de son père au dossier criminel chargé. Un collègue allemand du CICR leur sert d'interprète. Malgré ce filtre, les sentiments passent, l'émotion est grande. La mère veut entendre la voix de son fils même si elle ne le comprend pas. Il promet de mettre de l'ordre dans sa situation financière afin de réunir la somme nécessaire pour rendre visite à sa mère en Jordanie. Un jour. Bientôt.  

     

     

  Prisonnier ou décédé?  

     

  Un cas particulièrement délicat et dramatique est celui de "Khaled", un prisonnier de cette "Troisième guerre du Golfe", comme l'appellent les gens de la région. Les messages écrits à leurs familles par les prisonniers de guerre regroupés dans le sud de l'Irak transitent par Koweit, puis sont traités à Genève avant d'être redistribués à leurs destinataires.  

     

  L'un de ces messages est adressé à une famille jordano-palestinienne à Amman et confirme que leur fils est détenu et en bonne santé. Le responsable du bureau de l'Agence à Amman qui remet ce message à la famille se trouve alors face à une situation des plus difficiles.  

     

  Il croit d'abord que les parents sont l'objet d'une réaction émotionnelle forte à la réception de ces nouvelles. En réalité, ils sont totalement bouleversés par ce message écrit par un fils qu'ils croyaient décédé et pour la mémoire duquel ils avaient déjà effectué la publication des condoléances. Un ami de Khaled leur avait en effet apporté sa fiche d'identité et ses vêtements disant qu'il l'avait vu mort.  

     

  La famille n'arrive pas encore à croire à la véracité de ce message Croix-Rouge, tout en marquant sa reconnaissance à celui qui le leur livre. Elle doit dès lors effacer tout un pan de sa mémoire et s'apprêter à étreindre celui qu'elle avait symboliquement enterré.