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Vingt ans après la fin de la guerre Irak-Iran, des dizaines de milliers de combattants sont toujours portés disparus

17-10-2008 Éclairage

Ce 16 octobre 2008, les gouvernements de l'Irak et de l'Iran et le CICR ont signé un protocole d'accord qui représente une avancée importante dans les démarches visant à alléger le lourd fardeau de milliers de familles affligées qui, d'un côté comme de l'autre, ne connaissent toujours pas le sort de leurs proches disparus. Le document définit un cadre clair pour la collecte d'informations et la communication de ces informations entre les deux pays, ainsi que pour la remise des dépouilles mortelles. Ces tâches seront effectuées conjointement par des spécialistes irakiens et iraniens, avec le concours du CICR.

     
    ©ICRC/T. Gassmann / iriq-d-00003-19      
   
    Aéroport de Larnaca. Le CICR rapatrie 25 prisonniers de guerre iraniens grièvement blessés. Juin 1981      
               
    ©ICRC/T. Gassmann /iriq-d-00023-05      
   
    Vol Baghdad-Téhéran. Rapatriement, sous l'égide du CICR, de prisonniers de guerre irakiens blessés et malades. Janvier 1990      
               
    ©ICRC/T. Gassmann / iriq-n-00039-07      
   
    Khanaqin. Prisonniers de guerre iraniens rapatriés par le CICR. Août 1990      
               
    ©ICRC/M. Wessan / iq-e-00420      
   
    Baghdad. Distribution de messages Croix-Rouge aux familles de prisonniers de guerre durant le conflit entre l'Iran et l'Irak. Décembre 1999      
                 
    ©ICRC / M. Monem      
   
    Kermanshah. Des femmes tiennent des photos de leur fils, maris et frères portés disparus.Juillet 2002  
               
   

  Un chapitre qui n'est pas clos  

La guerre Irak-Iran de 1980-1988 a laissé derrière elle un douloureux héritage : des dizaines de milliers de familles attendent toujours des nouvelles de leurs proches disparus. Parmi ceux-ci, un grand nombre de combattants portés disparus au cours des hostilités et de prisonniers de guerre (PG) dont on ne sait toujours pas ce qu'il est advenu d'eux par la suite.

Au cours des huit années que dura cette guerre, le CICR visita et enregistra plus de 67 000 PG irakiens et près de 40 000 PG iraniens. Un grand nombre de ces prisonniers furent ensuite rapatriés volontairement, avec l'aide du CICR. L'institution parvint aussi à confirmer ce qu'il était advenu d'un certain nombre d'autres après leur libération. Cependant, des dizaines de milliers de membres des forces armées irakiennes et iraniennes, dont certains avaient été prisonniers de guerre, sont toujours portés disparus à ce jour. Il n'existe tout simplement pas de registres complets de toutes les personnes disparues à cause de la guerre, qu'il s'agisse de combattants ou de civils.

  La pointe de l'iceberg  

Les prisonniers de guerre et les soldats portés disparus au combat ne représentent qu'un faible pourcentage des centaines de milliers de personnes qui ont disparu pendant la guerre Irak-Iran ainsi que dans les conflits irakiens de ces dernières décennies.

Dans les deux pays, d'innombrables familles continuent à chercher le moindre renseignement qu'elles pourraient obtenir sur ce qu'il est advenu de leurs proches, et ne cessent de faire la tournée des hôpitaux, des postes de police, des morgues, des instituts de médecine légale et des organisations humanitaires. Ces efforts représentent souvent des risques considérables en Irak, étant donné l'insécurité qui y règne.

Des femmes qui ont perdu leur mari, leur(s) frère(s) ou leur père se débattent avec les difficultés de la vie quotidienne, surtout si les disparus étaient soutiens de famille. Elles ne savent pas si elles viendront un jour à bout de leurs épreuves, ni comment.

« Lorsque des dépouilles ont été ramenées d'Irak en Iran en 2003 », se rappelle un délégué du CICR qui participait à l'opération, « des mères et des sœurs de soldats iraniens portés disparus s'étaient rassemblées dans la ville frontière de Ghazre Shirin, tenant des portraits de leurs proches et nourrissant le triste espoir que l'un de ces corps soit le leur. »

Hussein raconte l'histoire de ses parents, qui ne cessèrent d'attendre leur fils Ahmed, soldat irakien, jusqu'au dernier jour de leur vie. « Ma mère attendait dans la rue chaque convoi qui transportait des rapatriés d'Iran. Une fois, elle m'a demandé de lui faire un grand écriteau en carton portant le nom de mon frère, pour qu'Ahmed la voie tout de suite depuis l'intérieur de l'autocar. Quand elle comprenait qu'Ahmed n'était pas dans le convoi, elle allait voir tous les rapatriés qu'elle pouvait pour leur demander s'ils l'avaient vu. Mon frère n'est jamais revenu. Mon père est mort de chagrin, et ma mère a gardé l'écriteau à côté de son lit jusqu'à la fin. »

  Une tâche compliquée  

Depuis la fin de la guerre, le CICR aide les deux gouvernements dans leurs ef forts pour établir ce qu'il est advenu de toutes les personnes encore portées disparues.

« Aujourd'hui, le problème des personnes disparues du côté irakien s'avère extrêmement compliqué », explique Jamila Hammami, déléguée du CICR chargée du dossier des personnes disparues pour l'Irak. « Il y a plusieurs difficultés, dont le nombre élevé de disparus et les conditions de sécurité dangereuses, qui ne nous permettent pas d'assurer le suivi nécessaire sur le terrain. »

     

En Irak, le ministère des Droits de l'homme est chargé de suivre tous les cas de personnes disparues lors des conflits des dernières décennies. Selon des sources publiques de ce pays, le nombre de personnes portées disparues depuis la guerre Irak-Iran se situerait entre 375 000 et 1 million.

Grâce aux efforts du ministère et du CICR, plus de 200 PG irakiens ont pu être localisés depuis 2003. Certains sont retournés en Irak et ont demandé au CICR ou au ministère les certificats de détention qui leur faciliteraient l'obtention d'indemnités et de pensions.

En juin 2008, le CICR a signé un protocole d'accord avec le gouvernement irakien afin d'intensifier les efforts visant à élucider le sort de personnes qui avaient été enregistrées à l'époque par le CICR en tant que PG irakiens et iraniens et dont on n'a toujours pas retrouvé la trace.

Un document analogue avait été signé avec le gouvernement iranien en février 2004, posant les bases d'une approche commune face à ce problème.

En Iran, plusieurs organisations travaillent en parallèle à différents aspects de la question. Leurs efforts sont coordonnés par la Commission des prisonniers de guerre et des personnes portées dispar ues de l'état-major interarmées. Le Croissant-Rouge iranien a surtout pour tâche de recueillir les demandes des familles, la Fondation pour les martyrs et les vétérans fournit services et assistance, et la Commission de recherche des personnes disparues, conjointement avec d'autres organisations, identifie les restes humains.

  Un regain d'espoir  

De nombreuses familles préféreraient avoir confirmation de la mort d'un proche disparu plutôt que de continuer à ignorer son sort. « Je crois que c'est plus facile si vous voyez le corps d'une personne que vous recherchez. Cependant, nous avons cherché partout et je ne sais pas ce que nous pouvons faire d'autre qu'attendre », dit Ashwak, une Irakienne qui a perdu son frère.

Près de trois décennies se sont écoulées, mais la souffrance des familles des disparus, tant en Irak qu'en Iran, n'a pas diminué. « Il est parti il y a vingt-trois ans », confie Oum Bassam, dont le fils est porté disparu depuis 1985. « Je n'ai jamais cessé de l'attendre, et je continuerai. Pour moi, il a toujours 19 ans. »

Le document signé le 16 octobre entre l'Irak, l'Iran et le CICR devrait redonner aux familles l'espoir de voir élucider rapidement le sort de leurs proches.

« Nous ne cesserons pas de suivre cette question jusqu'à ce que chaque famille ait une réponse », précise Béatrice Mégevand-Roggo, chef des opérations du CICR pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. « Des deux côtés, la plupart des familles attendent depuis des années, et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que leur droit de connaître le sort de leurs proches soit respecté. »

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