Au Nigeria, après la peur et l’anxiété, un long voyage les ramène dans leur famille

13 mai 2016
Au Nigeria, après la peur et l’anxiété, un long voyage les ramène dans leur famille
Mohammadou, un vieil homme aveugle, commence son voyage de retour auprès des siens après 15 mois de séparation. CC BY-NC-ND / CICR

La peur et l'anxiété. Voilà les émotions partagées, au Nigeria, par un adolescent, un vieil homme aveugle et deux frères. Chassés par des flambées de violence, tous quatre avaient quitté leur foyer si précipitamment qu'ils avaient perdu tout contact avec leurs proches. Ils ont aujourd'hui autre chose en commun : le dénouement heureux de leur histoire.

Un jour de 2014, Abba, un garçon de 13 ans jouait avec ses amis quand une série de mitraillages a semé la panique dans la ville de Mubi. L'adolescent a couru se réfugier dans les montagnes proches. Séparé de sa famille, Abba a poursuivi seul son périple vers le Nord – près de 200 kilomètres, presque tous parcourus à pied – pour atteindre la ville de Maiduguri. Les mois ont passé et il s'est installé dans la routine de la vie dans un camp de déplacés. Puis, un jour, il a croisé le chemin d'une équipe du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), spécialisée dans le regroupement des familles séparées.

La famille d'Abba est enfin réunie dans sa ville d'origine, Mubi, d'où la violence l'avait chassée. CC BY-NC-ND / CICR

La paix est finalement revenue à Mubi, la ville d'où Abba était originaire. Ses proches, qui avaient eux aussi fui les violences, sont retournés dans leur maison. La famille ignorait tout du sort de l'adolescent et craignait qu'il soit mort. Lorsqu'une équipe du CICR est venue lui annoncer qu'Abba était toujours en vie, la famille a accueilli la nouvelle avec des cris de joie.

« J'ai été si heureux quand j'ai pu parler pour la première fois à mes parents par téléphone, depuis le camp », raconte Abba. « Ils m'ont tout de suite demandé si j'allais bientôt revenir à la maison, et j'ai dit que oui ».

C'est à deux reprises que Mohammed, 17 ans, et Sadiq, 15 ans, ont dû fuir à cause de la violence. Tout d'abord, la famille entière a été chassée de Gwoza, leur ville d'origine. Elle s'est réinstallée à Mubi, où des troubles ont éclaté peu après, jetant à nouveau la famille sur les routes. Les deux frères ont alors perdu tout contact avec leurs proches. Ils sont d'abord allés à Yola, puis à Maiduguri, où ils ont rencontré des employés du CICR.

Deux frères Sadiq et Mohammed prennent place avec leurs effets personnels dans un véhicule du CICR ; des amis et des membres du personnel du CICR sont venus leur souhaiter bon voyage. CC BY-NC-ND / CICR

« Je leur ai donné un numéro de téléphone dont je me souvenais, celui d'un membre de notre famille », a expliqué Mohammed. L'équipe du CICR a retrouvé ce proche et grâce à lui, elle a pu localiser le père des jeunes garçons. « J'attends avec impatience de revoir ma famille », a déclaré Sadiq, alors qu'il quittait le camp de déplacés pour aller rejoindre sa famille.

Le cas de Mohammadou est tout à fait particulier. Cet homme de 66 ans, aveugle, a été plusieurs fois contraint au déplacement. Son périple a été difficile. Un jour, les villageois avec qui il s'enfuyait l'ont abandonné, le laissant au bord d'une route. Des femmes l'ont ensuite aidé à se remettre en chemin. Après plusieurs jours de marche, il est arrivé à Maiduguri. À la fin de l'année dernière, la NEMA (l'Agence nationale de gestion des urgences au Nigeria) a demandé au CICR d'aider Mohammadou à retrouver sa famille. « Je ne souhaite rien d'autre que de pouvoir rentrer chez moi et retrouver les miens avant de mourir », a déclaré Mohammadou à l'équipe du CICR. Le calme n'était pas encore revenu dans la ville d'où Mohammadou était originaire, mais un neveu du vieil homme s'est dit prêt à l'accueillir chez lui, à Yola.

Ishaya (à g.) accueille son oncle Mohammadou à Yola. Le conflit faisant toujours rage dans la ville dont Mohammadou est originaire, Ishaya a proposé de l'accueillir chez lui. CC BY-NC-ND / CICR

Le conflit qui a pris naissance dans le nord-est du Nigeria a gagné toute la région du Lac Tchad, provoquant à la fois le déplacement de plus de deux millions de personnes et la dispersion d'un nombre incalculable de familles. L'une des tâches essentielles du CICR consiste à permettre le rétablissement des liens familiaux, c'est-à-dire retrouver les personnes dont les proches sont sans nouvelles et faciliter la reprise et le maintien du contact entre les membres des familles séparées.

C'est ainsi qu'à la mi-avril, après des mois de chagrin et de d'isolement, quatre compatriotes que rien ne rapprochait – un adolescent, un aveugle et deux frères – ont pris place à bord d'un avion du CICR pour commencer leur voyage de retour.

Des sourires et des rires ont éclaté quand Abba, 13 ans, a salué ses proches à Mubi. Son oncle Mustapha, qui a élevé Abba, ne pouvait contenir sa joie : « après être revenus à Mubi, nous l'avons cherché partout », a-t-il expliqué. « Des informations contradictoires nous parvenaient à son sujet. Avant que le CICR nous donne de ses nouvelles, nous ne savions ni où il se trouvait, ni s'il était encore en vie. Vous imaginez notre joie en apprenant que nous allions le revoir ! »

Le père de Mohammed et Sadiq s'est réjoui du retour de ses deux fils. Certes, la famille est encore déplacée à Mubi, mais elle espère pouvoir retourner bientôt, en toute sécurité, à Gwoza.

Après avoir accueilli ses fils, de retour auprès de leur famille, Aboubakar, le père de Mohammed et de Sadiq, signe le certificat de transfert établi par le CICR. CC BY-NC-ND / CICR

Mohammadou a été accueilli à l'aéroport de Yola par son neveu, Ishaya. « Nous avions perdu tout espoir de le retrouver en vie », a déclaré Ishaya. « Je remercie vraiment le CICR de le ramener parmi nous ». Arrivé chez son neveu, Mohammadou s'est assis à l'ombre d'un arbre et, d'une voix laissant clairement transparaître son soulagement, il a déclaré : « Je me sens comme un homme mort à qui l'on a rendu la vie ».