Situation actuelle dans le domaine du désarmement et de la maîtrise des armements, Nations Unies, 2018

Assemblée générale des Nations Unies, 73e session, Première Commission. Déclaration du CICR

17 octobre 2018

Échange de vues avec la Haute-Représentante pour les affaires de désarmement et d'autres hauts fonctionnaires au sujet de la situation actuelle dans le domaine du désarmement et de la maîtrise des armements.

C’est un honneur de prendre aujourd’hui la parole devant la Première Commission pour partager avec vous la perspective du CICR, organisation humanitaire indépendante, neutre et impartiale. Nos opérations – actuellement en cours dans plus de 80 pays – visent à apporter protection et assistance aux victimes de conflits armés et autres situations de violence, ainsi qu’à promouvoir le respect du droit international humanitaire (DIH). Le thème principal que je souhaite aborder ici est le lien entre le « désarmement » et les principes humanitaires.

Permettez-moi avant tout de saluer à nouveau le Programme de désarmement du Secrétaire général des Nations Unies, intitulé « Assurer notre avenir commun » et tout à fait d’actualité. Nous partageons le point de vue du Secrétaire général selon lequel « l’urbanisation des conflits armés a eu des conséquences dévastatrices incontestables pour les civils ». Le CICR est prêt à collaborer avec la famille des Nations Unies pour parvenir à « un désarmement qui sauve des vies » en tentant de répondre aux préoccupations que suscitent la disponibilité généralisée des armes classiques et les souffrances humaines qui en résultent, la menace que les mines et les restes explosifs de guerre représentent pour les civils et, enfin,le coût humain élevé de l’emploi d’armes explosives en zones peuplées.

Désarmement, DIH et principes humanitaires

Les conflits armés sont en train de changer : ils sont plus longs, plus meurtriers, plus fragmentés et plus urbanisés qu’ils ne l’ont jamais été. S’il est une région où ces tendances prévalent plus que partout ailleurs dans les conflits en cours, c’est bien le Moyen-Orient, région dans laquelle j’ai supervisé les opérations du CICR au cours des six dernières années.

L’évolution de l’environnement mondial crée de profonds défis pour les civils, les belligérants et les humanitaires. Le respect du DIH est d’autant plus important. Ses règles – souvent ancrées dans le droit coutumier et inspirées par la conscience publique – fixent des limites au développement et à l’utilisation des moyens et méthodes de combat. Elles protègent les civils contre les effets indiscriminés et les combattants contre les souffrances inutiles.

En tant qu’acteurs humanitaires, nous devons nous aussi affronter les nouveaux défis, tout en restant fidèles aux principes fondamentaux du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge : humanité, neutralité, impartialité et indépendance.

Le CICR a constaté au cours de quelque 150 ans de pratique humanitaire le coût humain inacceptablement élevé de certaines armes. Cela nous a conduits à appeler à l’élaboration de nouvelles règles visant à interdire ou à restreindre l’emploi de ces armes.

Nous savons que le désarmement est fermement enraciné dans les règles et principes humanitaires et nous savons qu’il peut sauver des vies.

Je souhaite évoquer trois domaines de préoccupation : premièrement, l’emploi d’armes explosives lourdes dans des zones urbaines densément peuplées ; deuxièmement, le fléau que constituent les mines terrestres et les restes explosifs de guerre, ces armes qui continuent de blesser et de tuer longtemps après la fin des hostilités actives ; troisièmement, la disponibilité généralisée et mal contrôlée des armes classiques qui, alimentée par des transferts irresponsables d’armes, facilite la commission de graves violations du DIH et des droits de l’homme et attise les conflits et les violences.

La question des armes explosives en zones habitées

Depuis 2011, le CICR demande aux États et aux parties à un conflit armé d’éviter l’emploi d’armes explosives à large rayon d’impact dans les zones densément peuplées en raison de la forte probabilité d’effets indiscriminés dans de tels environnements. Ces armes – qui ont été conçues pour des champs de bataille ouverts – sont inappropriées aux combats en zones habitées, où elles peuvent avoir un impact dévastateur sur les populations civiles. Au cours de la dernière décennie, le CICR a observé dans différents contextes (Gaza, Irak, Syrie, Libye, Yémen, Ukraine, Sri Lanka et Afghanistan, notamment) des types récurrents de dommages civils, directs et indirects, liés à l’utilisation de ces armes.

Les armes explosives lourdes tuent ou mutilent les personnes qui se trouvent dans leur zone d’impact immédiat. Elles peuvent aussi avoir des effets indirects importants – souvent à long terme – qui finissent par toucher une partie bien plus grande de la population, surtout lorsqu’elles ont mis hors service les infrastructures civiles essentielles. Ainsi, par exemple, lorsqu’une centrale électrique est endommagée ou détruite de manière incidente, une panne de courant survient et provoque à son tour une cascade d’effets meurtriers sur les services essentiels à la survie de la population civile. Les pannes d’électricité affectent la capacité des hôpitaux à fournir des soins de santé primaires et d’urgence. Les patients meurent et la population souffre. Sans électricité, les systèmes de purification et de distribution d’eau cessent de fonctionner et une pénurie d’eau survient. Tôt ou tard, les maladies se propagent, provoquant d’autres décès. Si le conflit armé se prolonge, les services sont souvent irréparablement endommagés ; il devient alors impossible pour les civils de vivre dans la zone touchée, ce qui entraîne un déplacement de population.

Des milliers de civils – victimes des conflits urbains, au Moyen-Orient ou ailleurs – vivent au quotidien cette réalité meurtrière. Ce sont eux qui ont à supporter le coût tragique de l’emploi de moyens et méthodes de combat non adaptés aux zones à forte densité de population. L’utilisation d’armes explosives lourdes dans de tels environnements a des conséquences dévastatrices. Au Yémen, par exemple, des infrastructures critiques ont fait l’objet d’attaques répétées et ont été détruites, ce qui perturbe la prestation de services essentiels à la population. Le système de soins de santé s’effondre. Une épidémie de choléra sans précédent s’est déclarée. De tels effets sont prévisibles et évitables. De fait, en ce qui concerne le choix des armes utilisées dans les zones habitées, les belligérants doivent adapter leurs politiques et leurs pratiques en vue de minimiser les dommages infligés aux civils. À cette fin, le CICR poursuit le dialogue engagé avec les groupes armés étatiques et non étatiques.

La question des armes qui continuent de tuer

Mines terrestres, bombes à sous-munitions non explosées et autres restes explosifs de guerre tuent et blessent chaque année plusieurs milliers de civils, non seulement pendant les hostilités actives, mais aussi longtemps après le retour de la paix. Certes, depuis l’adoption de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel et de la Convention sur les armes à sous-munitions, des progrès importants ont été accomplis en ce qui concerne la limitation de l’emploi de ces armes aveugles, la destruction des stocks existants et la dépollution des terres contaminées. Il reste cependant des défis à relever. À travers le monde, de vastes superficies de terres restent contaminées par des mines antipersonnel et des munitions non explosées, qui constituent une menace quotidienne pour les civils, entravent l’agriculture, le commerce et le développement et font obstacle aux opérations humanitaires. Par exemple, dans l’est de l’Ukraine, notamment en zones rurales, la présence de mines rend difficiles les activités de la vie courante – se déplacer par la route, faire paître des animaux, travailler dans les champs, s’occuper des cultures et ramasser du bois de chauffage – ou franchir la ligne de contact aux points de contrôle.

Ce sont les restes explosifs de guerre (résultant notamment de l’emploi d’armes explosives en zones peuplées) qui font aujourd’hui peser les plus lourdes menaces sur la population civile, surtout dans le cas de conflits prolongés. Une roquette qui manque sa cible, n’explose pas et tombe devant une installation médicale empêche des centaines de civils d’accéder aux soins qui pourraient les sauver. Une roquette non explosée qui tombe devant une centrale électrique endommagée bloque l’accès du personnel technique qui aurait pu remettre les installations en état. Ces « débris de guerre » risquent aussi d’exploser bien après la fin des hostilités, tuant ou mutilant les enfants qui jouent dans le voisinage.

La contamination due à toutes ces armes se produit rapidement, mais les opérations d’enlèvement sont extrêmement coûteuses et progressent très lentement. Chaque année, le CICR, les Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et d’autres organisations sont appelés à dispenser des soins à des milliers de nouvelles victimes des mines, des armes à sous-munitions et autres restes explosifs de guerre. Selon l’Observatoire des mines, la grande majorité (plus de 75 %) de ces nouvelles victimes sont des civils, y compris des enfants et, comme en atteste l’Observatoire des armes à sous-munitions, le pourcentage de victimes civiles de ces armes atteint même 99 %. Le CICR entreprend des initiatives spécifiques – activités de sensibilisation, services de réadaptation physique et soutien à l’inclusion sociale et économique des survivants – dans le but de prévenir et juguler les effets des mines, armes à sous-munitions et autres restes explosifs de guerre. La Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel, la Convention sur les armes à sous-munitions et le Protocole relatif aux restes explosifs de guerre établissent explicitement la responsabilité collective des États de fournir une assistance aux victimes de ces « armes qui continuent de tuer ». Toutes les parties prenantes doivent faire davantage pour protéger les civils et leurs communautés contre les dommages indiscriminés causés par ces armes, dont la présence même constitue un obstacle majeur à la mise en œuvre des Objectifs de développement durable.

Dernier point, mais non le moindre : la disponibilité des armes et les transferts irresponsables

La violence et les conflits sont alimentés par un approvisionnement constant en armes et munitions, ce qui, le plus souvent, ne fait qu’empirer la situation. À la suite de transferts irresponsables, des armes – livrées directement ou par détournement – risquent de tomber entre de mauvaises mains.  Une réglementation insuffisante de la disponibilité des armes classiques a des conséquences humanitaires désastreuses. Souffrances humaines d’un niveau effrayant, perpétuation des conflits et insécurité aux niveaux local, régional et mondial en sont le résultat, comme nous en sommes témoins dans de nombreuses régions du monde.

Nous constatons par nous-mêmes ces conséquences dramatiques dans la plupart des pays et régions où le CICR travaille, que ce soit en République centrafricaine, au Yémen, en Syrie ou en Amérique latine.

Les fournisseurs d’armes sont tenus de prendre en compte le risque que les armes livrées soient utilisées pour commettre ou faciliter de graves violations des droits de l’homme et du DIH.  En fait, d’un bout à l’autre de la chaîne des transferts d’armes, tous les États ont un rôle vital à jouer – en respectant le DIH et en agissant de manière responsable à chaque étape – pour éviter que l’utilisation d’armes tombées entre de mauvaises mains ait des conséquences dévastatrices et irréparables. Cette obligation, stipulée à l’article premier commun aux Conventions de Genève, se trouve réaffirmée dans les principes du Traité sur le commerce des armes. Ce traité – dont l’objet même est de donner priorité aux intérêts humanitaires et, ainsi, de réduire les souffrances humaines – ne sera efficace que s’il est appliqué de bonne foi, de façon cohérente, sans préjugés ni discrimination, et ce à tous les niveaux, y compris au niveau le plus haut.

Les États qui soutiennent les parties à un conflit armé ont la responsabilité morale et juridique de s’assurer du respect du DIH : ils doivent user de leur position et de leur influence pour amener les belligérants à améliorer leur comportement et à respecter le DIH. Autrement dit: pas de soutien sans respect ! Les belligérants qui ne respectent pas les lois de la guerre ne devraient recevoir aucun soutien.

Cette simple condition sauvera des vies.

Permettez-moi de conclure en citant les propos du président du CICR, Peter Maurer, qui éclairent le lien entre désarmement et principes humanitaires : « Les chances de paix sont plus grandes lorsqu’il y a dans la guerre une part d’humanité et un respect du droit international humanitaire ».