L’absence de contrôle sur le commerce et l’utilisation des armes revient à brader la vie des civils

11 septembre 2017

Troisième Conférence des États parties au Traité sur le commerce des armes. Déclaration du président du CICR, Peter Maurer.

Notre époque est marquée par des guerres sanglantes qui font rage dans de nombreux pays du monde : je pense par exemple à la Syrie, au Yémen, à l’Irak, au Soudan du Sud et à la Somalie. Tandis que la violence urbaine explose en Amérique latine, de nouveaux conflits ont éclaté ces dernières années dans d’autres pays, comme l’Ukraine.

Nous constatons que les attaques aveugles causent toujours plus de pertes civiles ; que les services essentiels d’approvisionnement en eau et en électricité sont réduits à néant ; que les hôpitaux et les personnels de santé sont pris pour cible et que d’innombrables personnes sont forcées de quitter leur foyer. Il s’ensuit que les blessures, la famine et les épidémies sont plus meurtrières que jamais. Dans certains contextes, les conséquences indirectes des violences, qui perturbent ou interrompent les services publics de base, font désormais plus de victimes que les attaques elles-mêmes.

Les répercussions économiques sont elles aussi énormes – on estime le coût des conflits à 13,6 billions de dollars par an, soit 13 % du PIB mondial.

La violence et les conflits armés sont entretenus par la disponibilité constante des armes et des munitions. Les transferts d’armes n’avaient plus atteint des niveaux aussi élevés depuis la fin de la Guerre froide. Des armes continuent d’être fournies – ouvertement et clandestinement – à des belligérants et des extrémistes violents dans différentes régions du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Asie, tandis qu’elles alimentent le crime organisé dans les Amériques.

Le tableau que je viens de dresser n’incite guère à l’optimisme. Trois ans après l’adoption du Traité sur le commerce des armes, il est urgent de transformer les paroles en actes et d’empêcher les dommages immenses et irréparables que les armes ne manquent pas de provoquer lorsqu’elles tombent entre de mauvaises mains.

Comme en témoigne le nombre déjà élevé d’États parties au Traité (92), il est largement admis que les armes et les munitions ne sont pas des marchandises comme les autres. Nous demandons aux États qui ne l’ont pas encore fait d’adhérer au Traité, pour démontrer leur volonté d’être des acteurs responsables du commerce des armes et rendre cet instrument juridique réellement universel.

Lors de mes visites sur les théâtres d’opération du CICR, je constate hélas trop souvent qu’il y a un gouffre entre les promesses et les réalisations, entre la lettre et la pratique du droit, et je suis bouleversé par les souffrances qui en découlent.

Récemment, au Yémen, j’ai vu comment la guerre bouleverse presque tous les aspects de la vie des personnes touchées. Les armes prolifèrent dans le pays et continuent de circuler malgré les violations répétées du droit international humanitaire. Les infrastructures civiles ont été bombardées, le système de santé est à bout de souffle, et une épidémie de choléra d’une ampleur inédite s’est déclarée. J’ai rencontré des mères forcées de faire un choix impossible entre nourrir leur famille et acheter des médicaments coûteux, mais indispensables.

Et bien sûr, de telles scènes ne se déroulent pas qu’au Yémen. Dans de nombreux pays où le CICR mène des activités, nous voyons ce qui se produit quand les guerres sont livrées comme si elles n’avaient aucune limite.

Le mois dernier, au Soudan du Sud, j’ai été choqué d’apprendre que quatre millions de personnes, soit un tiers de la population du pays, ont été chassées de chez elles par le cycle sans fin de la violence. Les combats semblent calibrés pour causer le plus de souffrances possible, et l’absence de contrôle sur le commerce et la prolifération des armes légères y contribue dans une large mesure. J’ai vu des garçons qui ne devaient pas avoir plus de dix ans porter des armes – des enfants qui devraient être à l’école, et pas en train de faire la guerre.

Il est urgent que tous les États portent un regard lucide sur les conséquences de leurs actes, mais aussi de leur immobilisme.

L’absence de contrôle efficace de la chaîne d’approvisionnement et de la manière dont les armes sont utilisées revient à brader la vie des civils. C’est inadmissible.

Tous ceux qui prennent part au commerce des armes ont un rôle particulier à jouer pour veiller à ce que les destinataires des armes respectent le droit international humanitaire. Leur responsabilité est énorme car ce sont eux qui fournissent aux parties aux conflits les moyens de combattre, et c’est donc par leur entremise que des violations peuvent être commises. Les États exportateurs d’armes ont à la fois le devoir et le pouvoir de faire en sorte que celles-ci ne seront pas utilisées pour commettre ou faciliter des violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme.

Avant d’autoriser un transfert d’armes, ils doivent impérativement prendre un certain nombre de mesures préventives, notamment veiller à ce que les stocks d’armes soient gérés de manière responsable, que les destinataires reçoivent une formation sur le droit international humanitaire et le droit des droits de l’homme, et, de manière générale, qu’ils soient en mesure de s’acquitter de leurs obligations au regard de ces deux corpus de droit.

Et lorsqu’il ne fait aucun doute que les parties au conflit ne respectent pas les règles, ou qu’il existe un risque sérieux que les armes soient utilisées à mauvais escient, le transfert d’armes ne doit en aucune façon être autorisé.

Il est grand temps que les États parties au Traité s’emploient activement à mettre en œuvre ses dispositions et s’attaquent ouvertement aux questions les plus complexes. Ils doivent se fixer des objectifs ambitieux afin de garantir la crédibilité du Traité en tant que cadre de référence pour un commerce des armes responsable.

Le Traité sur le commerce des armes est une feuille de route qui doit guider l’action, tant individuelle que collective, de tous les États. Je vous encourage, au cours de vos échanges tout au long de la semaine, à redoubler d’efforts pour faire face aux réalités d’aujourd’hui. C’est un défi de taille, mais nous devons le relever si nous voulons donner corps à la lettre du Traité et protéger les populations civiles des brutalités de la guerre.