Donetsk, Ukraine, hôpital 21. Un bloc opératoire qui n'a plus de fenêtre et qui a été recouvert par des sacs de sable. Capucine Granier-Deferre/CICR

La protection des hôpitaux en temps de conflit armé : ce que dit le droit

En vertu du droit international humanitaire (DIH), les établissements de santé et autres unités sanitaires, notamment les hôpitaux, ne doivent pas être l’objet d’attaques. Cette protection s’applique aussi aux blessés et aux malades, ainsi qu’aux personnels de santé et aux moyens de transport sanitaires. Cette règle comporte peu d’exceptions.
Article 06 novembre 2023

En quoi consiste la protection spécifique accordée aux blessés et aux malades en période de conflit armé ?

En période de conflit armé, entre dans la catégorie des blessés et des malades toute personne, quel que soit son statut – militaire ou civil –, qui a besoin de soins médicaux et qui ne participe pas, ou plus, aux hostilités.
En vertu du droit international humanitaire (DIH), toutes les personnes blessées ou malades – quel que soit le camp auquel elles appartiennent – doivent être :

• respectées (elles ne doivent être ni attaquées, ni tuées, ni soumises à de mauvais traitements) ;
• protégées (elles ont le droit d'être assistées et protégées contre des atteintes imputables à des tiers) ;
• recherchées et recueillies ;
• soignées sans aucune distinction et sur la seule base de considérations d'ordre médical.

Si l'obligation établie par le DIH de rechercher, recueillir et soigner les blessés et les malades est assortie de la mention « dans toute la mesure possible » – autrement dit, pour autant que les conditions de sécurité et les moyens disponibles le permettent –, le manque de moyens ne saurait justifier l'inaction. Même lorsqu'elles disposent de moyens limités, toutes les parties à un conflit – les États comme les groupes non étatiques – doivent tout mettre en œuvre pour faire en sorte que les malades et les blessés reçoivent les soins dont ils ont besoin. Pour le dire plus simplement, les parties sont tenues de fournir à ces derniers les meilleurs soins possibles dans les délais les plus brefs possibles. Cela suppose entre autres de permettre à des organisations humanitaires impartiales de dispenser des soins médicaux aux blessés et aux malades dont les besoins ne sont pas correctement pris en charge. Ces organisations ne doivent pas se voir refuser arbitrairement l'autorisation de faire leur travail.

La protection accordée aux blessés et aux malades n'aurait que peu de sens si le personnel médical, les établissements de santé et autres unités sanitaires (notamment les hôpitaux) et les moyens de transport sanitaires pouvaient être la cible d'attaques. C'est pourquoi le DIH leur octroie également une protection spécifique : les parties à un conflit doivent les traiter avec respect lorsqu'ils s'acquittent de leur mission exclusivement médicale, et ne doivent pas indûment entraver leurs activités afin qu'ils puissent soigner les blessés et les malades.

Dans quelles circonstances les établissements de santé et autres unités sanitaires peuvent-ils perdre la protection que leur accorde le DIH ?

La protection spécifique dont les établissements de santé et autres unités sanitaires (notamment les hôpitaux) bénéficient au titre du DIH reste la règle. Par conséquent, les hôpitaux ne peuvent perdre la protection spécifique qui leur est due que s'ils sont utilisés par une partie à un conflit pour commettre, en dehors de leur fonction humanitaire, des « actes nuisibles à l'ennemi ». En cas de doute, il convient de présumer que les établissements de santé ne sont pas utilisés pour commettre de tels actes.

Il n'existe pas de définition de l'expression « actes nuisibles à l'ennemi » dans le DIH. Y sont seulement mentionnés quelques faits présentés expressément comme n'étant pas des actes nuisibles à l'ennemi, notamment le fait de porter ou d'utiliser une arme légère individuelle en vue de se défendre ou de défendre les malades et les blessés ; le fait qu'une structure médicale soit gardée par des hommes en arme ; ou encore la présence, au sein d'une structure médicale, de combattants malades ou blessés qui ne participent plus aux hostilités.

Même en l'absence d'une définition universellement acceptée, la raison de la perte de cette protection est claire. Les établissements de santé et autres unités sanitaires bénéficient d'une protection spécifique du fait de leur fonction, qui est de dispenser des soins aux blessés et aux malades. Lorsqu'ils sont utilisés pour interférer directement ou indirectement dans les opérations militaires et, de ce fait, nuire à l'ennemi, la raison d'être de cette protection disparaît. C'est notamment le cas lorsqu'un hôpital est utilisé comme base de lancement d'une attaque, poste d'observation servant à transmettre des informations d'intérêt militaire, dépôt d'armes, centre de liaison avec des troupes armées, ou encore pour abriter des combattants valides.

Quelles peuvent être les conséquences d'un « acte nuisible à l'ennemi » ?

Un acte nuisible à l'ennemi peut avoir pour conséquence de faire d'un établissement de santé un objectif pouvant être attaqué ; de mettre en péril la vie des blessés et des malades qui y sont soignés ; ou encore, dans certains cas, d'engendrer de la défiance à l'égard du travail qu'accomplissent les établissements de santé et autres unités sanitaires et ainsi d'amoindrir la valeur protectrice du DIH d'une manière générale.

Par ailleurs, il est des circonstances où certains actes nuisibles à l'ennemi peuvent constituer une violation de l'obligation de prendre toutes les précautions possibles pour protéger les blessés et les malades ainsi que les personnels de santé et les biens sanitaires contre les effets d'une attaque, ou une violation de l'interdiction de recourir à des boucliers humains – par exemple, le fait d'installer un établissement de santé à proximité d'un objectif militaire dans l'intention de l'utiliser comme bouclier contre les opérations militaires du camp adverse.

Enfin, certains actes nuisibles à l'ennemi peuvent aussi constituer d'autres violations du DIH – voire des crimes de guerre. Par exemple, le fait d'utiliser des établissements de santé ou autres unités sanitaires arborant l'un ou l'autre des emblèmes distinctifs (croix rouge, croissant rouge ou cristal rouge) pour commettre de tels actes est un usage abusif des emblèmes – ou peut être qualifié d'acte de perfidie constitutif d'un crime de guerre lorsque l'objectif visé est de tuer ou de blesser un combattant ennemi.

Le lancement d'une attaque contre un établissement de santé utilisé pour commettre un acte nuisible à l'ennemi est-il soumis à d'autres conditions juridiques ?

Avant qu'une attaque puisse être lancée contre un établissement de santé ou une autre unité sanitaire qui ne bénéficie plus de la protection du DIH, une sommation doit être donnée, fixant, chaque fois qu'il y a lieu, un délai raisonnable. L'attaque ne pourra être autorisée que si cet avertissement reste sans effet. L'objectif de la sommation est de donner la possibilité aux auteurs d'un « acte nuisible à l'ennemi » de mettre un terme à leur conduite ou, s'ils persistent, de permettre l'évacuation en toute sécurité des blessés et des malades qui ne sont pas responsables de ce comportement et qui ne devraient donc pas en subir les conséquences.

Si l'avertissement donné par l'ennemi reste sans effet, celui-ci n'est plus tenu de veiller à ne pas entraver les activités de l'établissement de santé, ni de prendre des mesures positives pour l'aider à s'acquitter de sa mission. Néanmoins, même dans ces situations, les considérations humanitaires relatives au bien-être des blessés et des malades pris en charge dans la structure médicale doivent rester de mise. Blessés et malades doivent être épargnés et les mesures pratiquement possibles doivent être prises pour préserver leur sécurité.

Cet impératif découle de l'obligation de respecter et de protéger les blessés et les malades, ainsi que des règles générales qui régissent la conduite d'attaques contre des objectifs militaires. La partie attaquante doit notamment respecter le principe de proportionnalité. L'avantage militaire attendu de l'attaque d'un établissement de santé ou d'une autre unité sanitaire ayant perdu sa protection doit être soigneusement pesé en regard des conséquences humanitaires que risquent d'entraîner les dommages ou les destructions causées incidemment à cette structure : au-delà de ses effets immédiats et à court terme, une telle attaque peut avoir, à moyen et à long terme, de graves répercussions secondaires et tertiaires sur la fourniture de soins de santé.

La partie attaquante a également l'obligation de prendre des précautions lors de l'attaque, notamment de faire tout ce qui est pratiquement possible pour éviter ou au moins réduire au minimum les pertes et dommages subis par des patients et des personnels de santé qui n'ont probablement rien à voir avec les actes nuisibles commis et pour lesquels les conséquences humanitaires seront dramatiques. Les mesures énoncées ci-après doivent être prises chaque fois que possible, et pour autant que les opérations s'y prêtent, pour limiter au minimum les effets directs et indirects d'une telle attaque sur la fourniture de soins de santé :

• élaborer un plan d'urgence pour pallier les perturbations attendues des services de santé et pour rétablir leur pleine capacité opérationnelle dans les plus brefs délais ;
• prévoir des dispositions pour l'évacuation des patients et des personnels de santé et pour leur prise en charge appropriée ;
• suspendre l'attaque contre la structure médicale dès lors que celle-ci ne remplit plus les critères qui lui avaient fait perdre sa protection (p. ex. si les combattants qui s'y trouvaient ont fui) ;
• après l'attaque, faciliter ou mettre en œuvre des mesures permettant le rétablissement rapide des services de santé (p. ex. fourniture, par les forces armées, d'un soutien médical à la structure de santé civile).