Première Convention de Genève : le nouveau Commentaire disponible en français
Ghislaine Doucet
Initiés en anglais il y a 5 ans sous la direction de Jean-Marie Henckaerts, chef de l'unité pour la mise à jour des Commentaires à la division juridique du CICR, les commentaires des quatre Conventions de Genève, travail titanesque, commencent à être publiés. L'exégèse de la Première Convention est désormais disponible en français (sur la boutique en ligne et sur la base de données du CICR). Ghislaine Doucet, conseiller juridique principal de la délégation régionale du CICR à Paris et responsable l'édition française revient sur l'importance d'une telle parution.
Les quatre conventions de Genève du 12 août 1949, universellement ratifiées, demeurent le pilier, obligatoire et contraignant, du droit international humanitaire (DIH). Mais pour qu’elles soient mieux respectées, encore faut-il qu’elles soient connues de tous et bien interprétées.
Jean Pictet, le pionnier
Dans les années ayant suivi leur adoption, ces quatre Conventions ont été commentées sous la direction de Jean Pictet. Cette analyse visait essentiellement à relater l’historique de leur négociation et à montrer leur apport aux Conventions de Genève de 1929, tout en étant fondée sur des faits observés lors des guerres précédentes. Ce commentaire original garde toute sa valeur.
Il était cependant indispensable de proposer une actualisation de ces Commentaires qui tiennent compte à la fois des caractéristiques nouvelles des conflits armés contemporains, de l'évolution des pratiques et doctrines des États, de la jurisprudence des juridictions pénales, nationales et internationales, d'avis ou décisions d'autres instances (telles la C.I.J. ou les comités et cours des droits de l'homme), des positions du monde académique, etc., afin d'avoir la vision la plus précise et la plus actuelle de la lecture, de l'état de la mise en œuvre des dispositions des Conventions et de la compréhension contemporaine de leurs dispositions.
Une nécessaire mise à jour
Ainsi, les nouveaux commentaires que le CICR a mis à jour avec le concours d'experts externes et internes, constituent une référence inestimable pour tous ceux, acteurs militaires ou politiques, diplomates ou universitaires, personnels humanitaires institutionnels ou non gouvernementaux, qui souhaitent connaître la pratique et les interprétations contemporaines des règles du DIH.
Pour l’instant, les Commentaires des Première, Deuxième et Troisième Conventions de 1949 sont terminés et ont été publiés, d’abord en anglais, entre 2016 et 2020.
Les commentaires aussi dans la langue de Voltaire
Le CICR a souhaité que ces Commentaires soient également disponibles en français. Après tout, quoi de plus normal puisque les commentaires originaux de Pictet ont d’abord été proposés en français et qu’aux termes de l’un des articles communs des 4 Conventions, « La présente Convention est établie en français et en anglais. Les deux textes sont également authentiques. » (art. 55 CG I).
En outre, nombreux sont les conflits armés ou autres situations de violence qui se déroulent dans des pays de langue française (300 millions de locuteurs français dans le monde) : aussi, si l’on souhaite que le DIH soit respecté, donc bien connu et bien interprété, il est indispensable que le commentaire de ses dispositions soit accessible au plus grand nombre de personnes ayant à le comprendre, à s’y référer, à l’appliquer et à le mettre en œuvre.
Des droits et... des obligations...
En effet, dans les guerres d'aujourd'hui comme dans celles d'hier, les belligérants, membres de forces armées gouvernementales ou membres de groupes armés non étatiques, n'ont pas une entière liberté : le DIH leur pose un certain nombre d'interdictions, au premier rang desquelles celle de ne pas s'attaquer aux personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités. On l'oublie parfois, cette interdiction ne concerne pas uniquement les civils. Le DIH impose aussi et originellement d'épargner les combattants désarmés, malades, blessés, capturés, et de les secourir. Il leur octroie également des droits.
En outre, dans le but de poser des limites aux violences dans les guerres et d’y immiscer une étincelle d’humanité, le DIH fixe des obligations comme celle, à la racine du DIH laïc et normatif inspiré par Henry Dunant, de respecter et protéger les personnels de secours, les véhicules et les équipements sanitaires.
Le blessé sur le champ de bataille : racine du droit international humanitaire
La Première Convention de Genève de 1949 est relative à l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne. Ce texte est indissociable de l’origine même du CICR et de la toute première Convention de 1864 et, au vu des dilemmes et questionnements qui semblent ressusciter dans ces 20 premières années du XXIe siècle, il est capital de rappeler que ce texte a consacré deux principes fondamentaux : - les membres des forces armées mis hors de combat parce qu’ils sont blessés ou malades et qui sont sans moyens de défense, doivent être protégés et soignés indépendamment de leur nationalité ; - dans l’intérêt exclusif des blessés, les ambulances et les hôpitaux militaires, ainsi que le personnel sanitaire, doivent être protégés contre tout acte d’hostilité. L’emblème distinctif d’une croix rouge sur fond blanc a été choisi comme le signe visible de cette protection.
Dans les conflits armés contemporains et particulièrement dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, le respect de l'ennemi hors de combat comme le renforcement de la protection du personnel sanitaire et des moyens de santé, lesquels facilitent l'exécution des tâches médicales et garantissent l'assistance et la protection des victimes de conflits armés, restent un enjeu majeur.
Article 3, la « mini convention de Genève »
De nombreux articles de cette Première Convention sont communs aux quatre Conventions. Il en va ainsi, notamment, de leur article 3 qui traite des conflits armés non internationaux, conflits qui sont majoritaires à notre époque.
Si l’article 3 commun, qui a été qualifié de « convention en miniature », est succinct et formulé en des termes généraux, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de la seule disposition contraignante qui régit tous les conflits armés non internationaux. Cet article est fondamental et il a été reconnu comme un « minimum » contraignant et comme exprimant des « considérations élémentaires d’humanité ». Voilà un des exemples les plus illustratifs de situations où la pratique, le droit, la jurisprudence se sont nécessairement développées.
C’est ainsi pas moins de 907 paragraphes renvoyant à près de 1000 références qui sont consacrés au commentaire de l’article 3 et qui /devraient inspirer tous ceux qui souhaitent se conformer au DIH.
En français dans le texte !
La Délégation régionale de Paris est heureuse d’avoir pu apporter sa contribution à cette publication en français ; elle espère qu’elle sera largement lue et utilisée comme référence dans la pratique.
Puisse cette version du commentaire actualisé proposé dans la « langue des lumières », éclairer puissamment tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, ont à respecter et mettre fidèlement en œuvre le DIH et, à l’instar des philosophes du 18e siècle qui croyaient au pouvoir de l’humanité et à la capacité des hommes à se déterminer par la raison, contribuer à « combattre les ténèbres de l'ignorance par la diffusion du savoir ».
Retrouvez le Commentaire mis à jour de la Première Convention de Genève sur la base de données du CICR Traités, États, Parties article par article, ou sur le site web de sa boutique en ligne.