Soudan du Sud : l’appel téléphonique qui a rétabli le contact entre 2 500 personnes séparées par le conflit

07 février 2018
Soudan du Sud : l’appel téléphonique qui a rétabli le contact entre 2 500 personnes séparées par le conflit
Il y a cinq ans, les combats qui ont éclaté à la frontière entre le Soudan et le Soudan du Sud ont divisé une communauté en deux. Un simple appel téléphonique organisé par le CICR a permis à des centaines de familles qui avaient fui les violences et s’étaient perdues de vue de se retrouver. CC BY-NC-ND / CICR / Matthieu Desselas

Il y a cinq ans, les combats qui ont éclaté à la frontière entre le Soudan et le Soudan du Sud ont divisé une communauté en deux. Des centaines de familles ont été séparées alors qu'elles fuyaient les violences et se sont ainsi complètement perdues de vue. Grâce au bouche à oreille, le CICR a pu rétablir le contact entre ces familles : un simple appel téléphonique a permis à 2 500 personnes d'échanger des nouvelles avec leurs proches.

Dans un monde où les téléphones portables et les médias sociaux maintiennent les gens constamment en contact, il est difficile d'imaginer que des proches séparés par un conflit ne parviennent pas à se retrouver pendant des années, parfois même des décennies. Et pourtant, c'est exactement ce qui est arrivé à une communauté rurale établie à la frontière entre le Soudan et le Soudan du Sud.


Le clan Werni, qui appartient à la tribu des Noubas, vivait depuis des générations dans des villages du Kordofan Sud dans l'extrême sud du Soudan. À sa tête se trouvaient deux chefs et beaux-frères, Bashir Anil et Gibril Nadir. Mais en 2013, de violents combats ont éclaté aux alentours de leurs villages et toute la communauté a été contrainte de fuir.


Un groupe de près de 500 personnes a été pris dans les tirs croisés et a dû se diriger vers le sud avec Bashir Anil. Après avoir passé la frontière et rejoint le Soudan du Sud voisin, elles ont été sur la route pendant plusieurs semaines et se sont finalement installées dans la ville de Kodok, dans l'État du Haut-Nil.


Ces réfugiés ont pu reconstruire leur vie dans cette ville qui leur a offert un toit. Mais ils ont perdu tout contact avec le reste de la tribu, c'est-à-dire avec plus de 2000 personnes. Ils n'avaient pas les numéros de téléphone de leurs proches et Kodok n'a de toute façon pas de réseau téléphonique. Sans moyen de connaître ce qui était advenu à leur famille, ils ont tout simplement plongé dans le désespoir.


Quatre ans plus tard, en avril 2017, la guerre civile qui déchirait le Soudan du Sud a atteint Kodok. La ville s'est brusquement retrouvée au cœur du conflit qui opposait le gouvernement et les forces de l'opposition. Les familles ont pris la fuite avec le reste de la population dans l'arrière-pays, en direction d'Aburoc où se trouvait un petit camp pour personnes déplacées. L'équipe du CICR à Kodok a également été forcée de quitter les lieux et a installé un nouveau bureau à Aburoc. C'est là que Céline, une collaboratrice du CICR, a rencontré les familles de la tribu des Noubas ainsi que Sheikh Bashir Anil. Les réfugiés lui ont raconté leur histoire ; ils avaient entendu dire que le reste de la communauté avait rejoint un autre camp de déplacés au Soudan du Sud, le camp de Yida.


Ce camp étant éloigné d'Aburoc, le CICR a chargé un autre collaborateur basé dans la région, Nassim, de rechercher les familles disparues. Nassim a entrepris de vastes recherches, mais il a rapidement constaté qu'aucun membre de la communauté ne se trouvait dans le camp de Yida. Il avait toutefois appris qu'un groupe de personnes déplacées appartenant à la tribu des Noubas se trouvait à une dizaine de kilomètres de là, à Ajuong Thok.


Ainsi, après un voyage de quelques heures sur des routes poussiéreuses, Nassim a retrouvé les familles. « Nous ignorions où étaient nos proches depuis le moment où nous avions été séparés au Soudan », a affirmé Sheikh Gibril Nadir, qui était très heureux d'avoir des nouvelles de l'autre moitié de la communauté.


Sur cette bonne nouvelle, Nassim et un autre collaborateur du CICR ont organisé une communication par téléphone satellite entre les deux groupes séparés. Les familles étaient si nombreuses à vouloir s'enquérir de leurs proches qu'il n'était pas possible que chacune d'entre elles parle au téléphone. Aussi, des personnes ont été désignées en tant que porte parole des différents ménages.


Au début de la communication, les interlocuteurs n'étaient pas convaincus que le CICR avait vraiment retrouvé l'autre moitié de la communauté et qu'ils parlaient réellement avec leurs proches. Mais après s'être posé quelques questions, ils ont vite réalisé que c'était bien le cas, et leurs visages ont soudainement exprimé de la surprise et de la joie.


L'appel a duré près de deux heures, tant les familles avaient de choses à se dire. Depuis cette première reprise de contact, le CICR organise chaque mois des communications téléphoniques permettant à la tribu des Noubas d'échanger des nouvelles.

« Les conditions [de sécurité] sont bonnes maintenant », estime Sheikh Bashir Anil à Aburoc. « Nous sommes prêts à regagner les monts Nouba. Le moment du départ est arrivé. »

Maintenant qu'ils sont à nouveau en contact, les deux beaux-frères pourront coordonner le voyage de la communauté afin que les familles ne se perdent pas de vue et se retrouvent une fois rentrées chez elles.