Chine : vivre le droit ou comment le DIH suscite des vocations

22-12-2010 Éclairage

Découvrez les témoignages de cinq personnes rencontrées en Chine pour lesquelles le droit international humanitaire va bien au-delà des ouvrages de droit. De l’étudiante en droit déterminée à l’un des juges chinois les plus réputés sur la scène internationale, ces personnes nous racontent leur passion pour le DIH.

Introduction

Toutes cinq ont pris part au concours annuel de plaidoirie en DIH, dont la quatrième et dernière édition en date s’est tenue à Pékin du 3 au 5 décembre 2010. Organisé conjointement par le CICR, la faculté de droit de l’Université Renmin et la Croix-Rouge chinoise, l’événement a réuni le nombre record de 22 équipes d’étudiants issus d’universités situées aux quatre coins de la Chine.



Le juge Liu Daqun

 

    ©CICR / C. Lee      
   
    Le juge Liu Daqun discute avec des étudiants en droit chinois à l’issue d’un séminaire organisé à la faculté de droit de l’Université Renmin dans le cadre du concours 2010 de plaidoirie en DIH, tenu à Pékin.      
    Tandis qu’un séminaire de formation au DIH s’achève, un groupe de jeunes se constitue autour du juge Liu Daqun. Le magistrat prend visiblement plaisir à discuter avec ces étudiants en droit chinois, à l’évidence ravis d’avoir l’occasion de lui parler en personne. C’est que le juge n’est rien de moins qu’une des personnalités chinoises les plus éminentes dans le domaine du droit international.      
    Une rencontre avec le DIH      
   
    Cinq ans après sa nomination au TPIY en 2000, le juge Liu a obtenu une promotion et examine aujourd’hui également des recours dans des affaires du Tribunal pénal international pour le Rwanda. Il souligne l’importance des procès équitables, même en ce qui concerne le terrible génocide dont le pays a été le théâtre en 1994.

    « Des actes abominables ont été commis au Rwanda ; des choses horribles se sont produites. Toutefois, nous devons par principe nous en tenir aux normes relatives aux droits de l’homme établies au plan international. En d’autres termes, nous devrions privilégier les intérêts de la défense », explique-t-il.

    « En ma qualité de juge, je m’occupe presque tous les jours d’affaires ayant trait au DIH. Cette branche du droit tient une place considérable dans ma vie. »      
             

Liu Daqun a été juge au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) ces dix dernières années, il a également exercé au cours de sa brillante carrière la fonction d’ambassadeur et joué un rôle de premier plan au sein des délégations chinoises auprès d’instances internationales.

Pour la deuxième année consécutive, il a aménagé son emploi du temps très chargé afin de faire partie du jury lors de la phase finale du concours annuel de plaidoirie en DIH organisé à Pékin.

« C’est une expérience formidable. Les facultés de droit chinoises qui participent au concours sont plus nombreuses que l’an dernier, se réjouit-il. J’ai été impressionné par l’intérêt que lui portent les étudiants, par leur enthousiasme et par leur engagement dans ce genre d’événement. »

Le juge Liu conseille à tous ceux qui sont tentés par une carrière dans le DIH de se confronter à des situations pratiques impliquant le droit, une expérience dont les étudiants chinois manquent souvent.

« Les étudiants des facultés de droit étrangères passent beaucoup plus de temps sur le terrain. Ils travaillent comme volontaires pour des ONG ou des institutions spécialisées des Nations Unies dans des régions et des pays dangereux comme l’Afghanistan, le Pakistan ou le Darfour pour acquérir une expérience pratique », constate-t-il.

Il encourage les étudiants chinois à travailler comme stagiaires ou assistants juridiques à la Cour pénale internationale, au TPIY ou aux tribunaux pour le Rwanda, le Liban ou le Cambodge, « afin de se faire leur propre idée de la façon dont la justice internationale fonctionne ».

 
 

Song Tianying

 

    ©CICR / C. Lee      
   
    Stagiaire à la Cour pénale internationale de La Haye, Song Tianying, originaire de la province du Zhejiang, se dit privilégiée de rencontrer des personnes éminentes du DIH et d’apprendre à leurs côtés.      
    Difficile de croire que Song Tianying, qui pose devant la Cour pénale internationale (CPI) où elle est stagiaire, était il y a deux ans encore une débutante en matière de DIH.

En 2008, après s’être activement préparés pour le concours de plaidoirie en DIH organisé à Pékin, Tianying et ses deux coéquipiers de la faculté de droit et de sciences politiques de l’Université de Chine ont remporté la compétition. Marquée par cette expérience, Tianying a continué sur la voie du DIH.

« Participer à un concours de plaidoirie m’a ouvert des horizons nouveaux », confie-t-elle.    
    Une rencontre avec le DIH      
   
    À la CPI, je me suis rendu compte que mes collègues allemands et japonais sont motivés à travailler dans le domaine du droit pénal international, du fait de l’histoire de leurs pays respectifs durant la Seconde Guerre mondiale. Leur engagement me rend optimiste quant au rôle que le DIH peut jouer dans la prévention de futures atrocités.      
            Étudiante de troisième cycle en droit, Tianying effectue actuellement un stage à la CPI – la cour permanente internationale chargée de statuer sur les crimes les plus graves qui préoccupent la communauté internationale, y compris les crimes de guerre. Elle souligne qu’elle a accès à des « mises à jour en temps réel » s’agissant des faits nouveaux en matière de DIH ou des affaires en cours, du fait notamment que la Cour se trouve à la Haye, où se situent aussi le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et le Tribunal spécial pour le Liban.

« J’ai également le privilège de rencontrer un grand nombre de personnalités éminentes dans le domaine du DIH et de m’instruire auprès d’elles, indique-t-elle. C’est une expérience très enrichissante. »

Tianying est d’avis que les stages et autres expériences pratiques sont importants pour les étudiants intéressés par une carrière dans le DIH. « Il est indispensable d’adopter une approche internationale en la matière et de développer sa connaissance du droit lui-même. »



Suzannah Linton

 

    ©CICR / C. Lee      
   
    Professeur de droit à l’Université de Hong Kong, Suzannah Linton se dit animée par les principes du DIH, ce qui l’a amenée à effectuer d’importants travaux en Bosnie-Herzégovine, en Croatie, au Cambodge, au Timor-Leste et ailleurs.      
    L’incursion de Suzannah Linton dans l’histoire a commencé par un coup de fil reçu en septembre dernier. Deux semaines auparavant, ce professeur de droit à l’Université de Hong Kong avait lancé un appel dans la presse locale afin de retrouver des personnes intervenues dans les procès pour crimes de guerre aujourd’hui tombés dans l’oubli, qui se sont tenus à Hong Kong au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Le neveu d’un homme qui avait témoigné lors des procès lui a communiqué des informations, notamment sur les tortures dont son oncle avait été victime. Ce coup de fil a fourni au professeur Linton une piste intéressante pour son projet de recherche sur les procès pour crimes de guerre tenus à Hong Kong de 1946 à 1948. Une nuit, très tard, après avoir trouvé le dossier correspondant, elle a minutieusement passé en revue les documents un à un jusqu’à tomber sur la transcription du témoignage poignant qu’avait donné l’oncle, alors âgé d’une vingtaine d’années ; l’homme y parle de son arrestation et des tortures atroces que lui a infligées un membre de la Kempeitai (police militaire japonaise). Son témoignage a fait partie des éléments de preuve irréfutables qui ont finalement permis la condamnation du policier.

« Sur le moment, j’en ai eu la chair de poule, car je savais que j’avais découvert quelque chose d’important, quelque chose d’historique, se rappelle le professeur Linton. L’horrible expérience qu’a faite cet homme de la cruauté, sa participation à une procédure judiciaire historique tombée dans l’oubli. À cet instant, le passé a rejoint le présent ; le passé a resurgi à travers mon projet. Ça a été l’eurêka d’une avocate ! »

Par la suite, elle a communiqué la transcription à la famille de la victime. Elle a également recueilli un témoignage de l’oncle, un demi-siècle après les faits.    
    Quel conseil donnez-vous aux personnes intéressées par une carrière dans le domaine humanitaire ?      
   
    Il y a d’innombrables possibilités de mener de belles et utiles actions dans ce domaine, en temps de paix, lors d’un conflit armé ou dans une situation postconflictuelle. Il faut être ouvert à toutes les occasions qui peuvent se présenter.    

Toutefois, l’une des choses les plus importantes à retenir, c’est qu’avoir bon cœur et le désir d’aider les autres ne suffit pas. Il faut posséder certaines compétences ou connaissances, ce qui nécessite des études et une formation poussées.      
            « Il s’en souvenait parfaitement alors même qu’il avait près de 90 ans. Il m’a montré les cicatrices sur son corps, raconte-t-elle. Chose incroyable, il m’a dit qu’il comprenait que cela se soit produit à cause des circonstances de l’époque. En ce temps-là, il n’a pas éprouvé de haine et n’en éprouve pas aujourd’hui. Cet homme a de la compassion. »

Pour le professeur Linton, qui a récemment fait partie du jury lors de la phase finale du concours 2010 de plaidoirie en DIH organisé à Pékin, de telles expériences sont des rappels importants de ce que les conflits armés peuvent amener les gens à faire.

Compte t enu de sa solide expérience pratique des situations conflictuelles et postconflictuelles, elle a expérimenté le DIH dans nombre de contextes, dans les Balkans, au Cambodge ou au Timor-Leste.

Le visage du professeur Linton s’assombrit quand elle se remémore une autre expérience inoubliable. Elle parle des défis auxquels elle s’est retrouvée confrontée dans son travail à la fin des années 1990, lorsqu’elle aidait à reconstruire le système judiciaire et administratif en Bosnie-Herzégovine. Le conflit sanglant a eu des conséquences dramatiques pour le pays longtemps après la signature des accords de paix.

Travaillant là-bas pour l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), sa mission consistait notamment à vaincre les obstacles qui se dressaient dans une société divisée et à permettre aux réfugiés et aux personnes déplacées « de réintégrer leur foyer, de retrouver leur emploi et d’essayer de reconstruire leur vie ». Les institutions judiciaires et gouvernementales ne fonctionnaient alors pas encore correctement et elle devait, entre autres, veiller à ce qu’elles agissent de manière équitable et sans discrimination.

« J’ai des souvenirs très forts du processus pénible qu’a été celui de faire fonctionner les tribunaux, de rendre leur emploi à des gens, de voir des personnes retrouver des foyers dont elles avaient été violemment expulsées », dit-elle la mine soudain réjouie. « Il s’agissait d’inverser un ‘nettoyage ethnique’. C’est très gratifiant de mener une telle démarche, de savoir qu’en tant qu’être humain, on est venu en aide à un autre être humain. Il est également important dans ces situations difficiles d’avoir conscience que d’autres personnes animées du même esprit poursuivent le même but que vous. »

Ce genre de travail invisible, qui ne fait pas la une des journaux, et les survivants des conflits armés « vraiment courageux et déterminés », qui sont « suffisamment fort s pour lutter afin de reconstruire leur vie dans des endroits où des événements terribles se sont produits », sont de réelles sources d’inspiration pour le professeur Linton.

C’est pourquoi le DIH est devenu son principal centre d’intérêt à bien des égards.

« Dans les conflits armés, les gens sont extrêmement vulnérables, ce qui me touche profondément. Cela m’incite à œuvrer à leur prévention, à la condamnation des atrocités commises et à la reconstruction des sociétés au lendemain des conflits. »



Wang Qifan

 

    ©CICR / C. Lee      
   
    Étudiante en droit, Wang Qifan a encadré l’équipe de la faculté de droit et de sciences politiques de l’Université de Chine lors du concours 2010 de plaidoirie en DIH organisé à Pékin.      
    Alors que ses camarades de la faculté de droit aspirent à devenir membres de haut niveau des plus prestigieux cabinets d’avocats de Chine, Wang Qifan, âgée de 22 ans et originaire de Tianjin, est passionnée par le travail pour des organisations et des tribunaux internationaux appelés à s’occuper de questions relatives au DIH.

Qifan a remporté le concours 2009 de plaidoirie en DIH organisé à Pékin, puis a participé au concours de la région Asie-Pacifique à Hong Kong.

« La passion du DIH m’est venue lors de mon premier concours de plaidoirie. C’est tombé à point nommé, explique-t-elle. Je m’intéresse beaucoup aux questions militaires, à la guerre et aux armes, mais l’étude du DIH m’a permis de me pencher sur de vraies affaires. Je pense avoir trouvé dans quel sens orienter ma carrière. »

Bien que Qifan se considère toujours comme « débutante » en DIH, elle s’est vu offrir en 2010 une occasion unique pour un étudiant en droit : encadrer l’équipe qui représenterait son école, la faculté de droit et de sciences politiques de l’Université de Chine, au quatrième concours de plaidoirie en DIH à Pékin. Le professeur qui devait le faire ayant eu un empêchement, Qifan l’a remplacé ; avec succès, puisque son groupe est arrivé deuxième sur les 22 équipes des quatre coins de la Chine en compétition et s’est qualifié pour l’édition 2011 du concours de la régio n Asie-Pacifique, tout comme l’a fait Qifan l’an dernier.

« C’est un champ de bataille que je connais bien ; j’en garde de merveilleux souvenirs et de grands espoirs », dit-elle de ses concours de plaidoirie.

Lorsqu’on l’interroge à propos du DIH « dans le monde réel », le visage de Qifan s’anime et son enthousiasme transparaît dans sa voix. Elle se remémore ce qu’un ami lui a raconté de son stage au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

« C’était comme si… Je participais à un événement majeur qui était en train de changer le cours de l’histoire, quelque chose que l’on peut lire dans les journaux, confie-t-elle. Je veux faire ce genre de travail. »



Michael Y. Liu

 

    ©CICR / C. Lee      
   
    Aujourd’hui conseiller juridique au sein de la délégation régionale du CICR pour l’Asie de l’Est, Michael Liu a fait partie de l’équipe qui a remporté le premier concours de plaidoirie en DIH jamais organisé en Chine continentale.      
    Cette année s’est tenue la quatrième édition de l’événement. Quatre ans plus tard, Que sont devenus les gagnants du premier concours de plaidoirie en DIH organisé en Chine continentale ? « où en sont-ils ? » Alors que son coéquipier travaille pour l’un des principaux cabinets d’avocats chinois, Michael Liu est de tous les fronts en tant que conseiller juridique au sein de la délégation régionale du CICR pour l’Asie de l’Est. À l’en croire, cela n’aurait rien d’étonnant. « Le DIH est quelque chose d’inoubliable. Il te propulse au cœur même de l’humanité et des principes fondamentaux du droit. J’ai décidé de faire carrière dans le DIH juste après l’avoir étudié », explique Michael, titulaire d’une maîtrise universitaire en droit international et ayant déjà acquis deux ans et demi d’expérience en tant qu’avocat avant de rejoindre le CICR. Au sein de la délégation, il s’intéresse principalement à l’incorporation du DIH dans le système juridique chinois.    
    Conseils aux personnes intéressées par une carrière dans le DIH      
   
    Dans la plupart des cas, le DIH ne sera pas la branche de droit la plus importante dans notre vie quotidienne. Les candidats doivent avoir beaucoup à offrir pour décrocher un emploi dans ce domaine.    

    Ceux d’entre nous qui sont intéressés par une carrière dans le DIH doivent faire preuve d’un engagement à long terme et acquérir progressivement des compétences.    

    Selon un vieux proverbe chinois « L’occasion se présente à celui qui est préparé ». J’en ai fait l’expérience et je peux vous assurer que le jeu en vaut vraiment la peine.      
            Depuis la première fois qu’il a entendu parler du DIH, Michael a constaté de réelles avancées dans cette branche du droit en Chine. À l’époque, le CICR venait tout juste d’implanter une délégation régionale à Pékin et avait commencé à faire traduire ce qui est probablement devenu la seule publication relative au DIH alors disponible en chinois.

Depuis lors, un nombre croissant de facultés de droit ont introduit le DIH dans leurs programmes d’études. « Il a fait l’objet de discussions approfondies lors du symposium universitaire que le CICR a récemment organisé », relève Michael, ajoutant que la tendance était appelée à se poursuivre.

« La Chine étant toujours plus présente sur la scène internationale, un nombre toujours plus élevé de personnes auront besoin de connaître le droit international, dont le DIH fait partie, afin de comprendre des situations de portée mondiale complexes, constate-t-il. Nous devrons concentrer nos efforts non plus sur l’introduction au droit, mais sur la manière effective dont le DIH s’applique dans des cas particuliers. »