Somalie : les pluies suscitent un peu d’espoir pour la prochaine récolte

30-11-2011 Interview

La situation reste tendue en Somalie. L’arrivée des précipitations dans les régions méridionale et centrale a fait naître un peu d’espoir pour la prochaine récolte. Dans l’intervalle, les populations devront poursuivre leur combat quotidien pour accéder à la nourriture. Hilary Floate, nutritionniste du CICR en Somalie, explique les difficultés qui entravent l’action menée pour améliorer l’état nutritionnel de milliers d’enfants.

Pouvez-vous décrire la situation actuelle en Somalie ?

Mettant fin à la longue période de sécheresse qui durait depuis la fin de l’année dernière, la pluie est enfin tombée dans le centre et le sud de la Somalie. Les agriculteurs ont pu planter des céréales et des légumes, et ils espèrent pouvoir récolter en janvier. Pour le moment, cependant, l’accès à la nourriture reste extrêmement difficile. Les prix sont encore élevés et beaucoup de familles n’ont pas suffisamment de moyens pour acheter les denrées proposées sur certains marchés locaux.

Le bétail dispose maintenant de plus vastes zones de pâturage, mais beaucoup de bêtes sont déjà mortes à cause de la sécheresse et, pour la plupart, celles qui restent sont très amaigries. La pluie a apporté un peu d’espoir et permis d’entrevoir un avenir meilleur. Pourtant, aussi bonne que soit la prochaine récolte, l’agriculture somalienne ne peut pas produire assez de nourriture pour couvrir les besoins de la population. Dans le meilleur des cas, la moitié seulement des besoins seront couverts. De plus, il faudra des années pour reconstituer le cheptel perdu, et la population restera tributaire de l’aide pendant un certain temps encore.

Que peuvent faire les nutritionnistes ?

Les nutritionnistes analysent l’accès à la nourriture d’une population donnée. Ils évaluent les interruptions de la chaîne d’approvisionnement alimentaire (lors d’une mauvaise récolte, par exemple) et l’impact éventuel de ces problèmes sur l’état nutritionnel de la population. L’une des conséquences peut être – comme cela se passe en Somalie – une forte prévalence des cas de malnutrition aiguë chez les enfants de moins de cinq ans.

Chaque fois qu’il ya rupture de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, les nutritionnistes aident à déterminer l’intervention la plus appropriée pour accroître la production alimentaire et créer des possibilités de subsistance. Ce peuvent être, par exemple, des distributions de semences et d’outils, des services agricoles tels que les labours, ou encore un programme d’élevage. Le traitement de la malnutrition aiguë, par exemple, par le biais de programmes d’alimentation complémentaire, fait également partie de la responsabilité des nutritionnistes.

Quelle action menez-vous pour lutter contre l’insécurité alimentaire en Somalie ?

Le CICR soutient 27 centres ambulatoires fixes d’alimentation thérapeutique et 13 équipes mobiles de santé. Administrées par le Croissant-Rouge de Somalie dans le sud et le centre du pays, ces structures dispensent des soins aux enfants de moins de cinq ans atteints de malnutrition aiguë sévère. Au total, plus de 13 000 enfants bénéficient actuellement d’un traitement dans les centres ambulatoires de nutrition thérapeutique. Par ailleurs, quelque 6 000 femmes enceintes ou qui allaitent reçoivent des aliments thérapeutiques, ce qui contribue à accroître le poids de leurs bébés.

Conjointement avec le Croissant-Rouge de Somalie, le CICR a également mis en place 11 sites de nutrition supplémentaire : des rations de gruau cuit, spécifiquement destinées aux enfants atteints de malnutrition modérée (et à un soignant par enfant), sont fournies deux fois par jour. Chacun des sites dispense des soins de santé et mène des activités de promotion de l’hygiène. Plus de 25 000 enfants ont ainsi bénéficié de ce programme en octobre.

Les familles des enfants en traitement dans les centres d’alimentation bénéficient également des distributions générales de vivres, actuellement en cours dans le sud de la Somalie. Les distributions de nourriture empêchent les familles de se partager la nourriture thérapeutique. Le but est qu’elles en gardent l’intégralité pour les enfants atteints de malnutrition aiguë sévère.

En quoi consiste exactement la « malnutrition aiguë » ?

Il ya deux principaux types de malnutrition aiguë : le premier type est appelé marasme (amaigrissement), le second kwashiorkor (œdème). L’enfant atteint de marasme présente une perte de poids sévère (et, souvent, un abdomen distendu et ballonné) ; l’enfant souffrant de kwashiorkor développe des œdèmes (en raison d’un excès de liquide) et se présente souvent avec un abdomen distendu. Alors que le marasme peut être une malnutrition modérée ou sévère (en fonction des indicateurs anthropométriques de l’enfant - taille et proportions du corps), le kwashiorkor est toujours considéré comme une malnutrition sévère. Les enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère nécessitent à la fois un soutien médical et une réhabilitation nutritionnelle pour recouvrer un poids normal.

Quelles sont les chances de survie de ces enfants ?

Tout enfant atteint de malnutrition aiguë sévère qui est admis dans l’un de nos programmes d’alimentation thérapeutique a plus de 90 pour cent de chances de se rétablir. Il faut, en moyenne, de 40 à 50 jours pour guérir un enfant sévèrement malnutri.

Les infections sont le plus grand risque pour les enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère. Elles peuvent prolonger le processus de récupération et entraîner des complications médicales. Il est essentiel d’identifier ces cas et de les transférer tout d’abord en milieu hospitalier, où ils seront étroitement surveillés pendant au moins une semaine. Nous veillons à ce que nos centres d’alimentation thérapeutique soient stratégiquement situés, à proximité de tels établissements spécialisés et nous assurons le transport. Pour le moment, nous transférons dans ces établissements quelque huit pour cent des enfants nouvellement admis dans les programmes de nutrition d’alimentation thérapeutique. Habituellement, le nombre de transferts diminue deux ou trois mois après l’ouverture d’un nouveau centre, car il est en général possible de traiter les enfants sévèrement malnutris avant la survenue de complications.

Pensez-vous que la situation puisse s’améliorer dans les prochains mois ?

Il est malheureusement improbable que les taux de malnutrition élevés actuellement observés diminuent grâce à la prochaine récolte. D’autres facteurs subsistent qui provoquent également la malnutrition – insuffisance des soins de santé, problèmes d’eau et d’assainissement, mauvaises pratiques en matière de soins maternels et infantiles. Une bonne récolte ne suffira pas pour résoudre le problème.

Si je suis néanmoins optimiste, c’est en raison du dévouement dont fait preuve le personnel chargé des soins médicaux et de l’alimentation thérapeutique, dans toutes les régions où nous mettons en œuvre des programmes de nutrition. Ces personnes, j’e les ai rencontrées lors de sessions de formation à Mogadiscio. Elles travaillent très dur, 24 heures sur 24. Beaucoup sacrifient leur vie personnelle pour soulager les souffrances de leur population. Nombre d’entre elles pourraient avoir une vie meilleure à l’étranger mais ont décidé de rester dans leur pays. L’attitude et la motivation de ces personnes, bien décidées à changer les choses, est certainement une raison d’espérer en un avenir meilleur en dépit de toutes les difficultés qui accablent aujourd’hui la population.

Photos

Hilary Floate, nutritionniste du CICR pour la Somalie (à droite). Programme ambulatoire d’alimentation thérapeutique à Abudwaq, région du Galgaduud, août 2011 

Hilary Floate, nutritionniste du CICR pour la Somalie (à droite). Programme ambulatoire d’alimentation thérapeutique à Abudwaq, région du Galgaduud, août 2011
© CICR / Halani

Jilib, Moyen-Juba, Somalie. novembre 2011. Un aide infirmier vérifie le poids d’un jeune garçon pour déterminer s’il a besoin de bénéficier du programme d’alimentation liquide. 

Jilib, Moyen-Juba, Somalie, novembre 2011. Un aide infirmier vérifie le poids d’un jeune garçon pour déterminer s’il a besoin de bénéficier du programme d’alimentation liquide.
© CICR / A. Hersi / SO-E-00611

Somalie. Abudwaq, région du Galgaduud. Hilary Floate, nutritionniste du CICR pour la Somalie, fait le test de la pression de la peau pour savoir si un enfant souffre d’œdème. 

Somalie. Abudwaq, région du Galgaduud. Hilary Floate, nutritionniste du CICR pour la Somalie, fait le test de la pression de la peau pour savoir si un enfant souffre d’œdème.
© CICR / Halani / SO-E-00612