Adapter les commentaires des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels au XXIe siècle

27-07-2012 Interview

Les commentaires du CICR sur les Conventions de Genève de 1949 remontent aux années 1950 et celles sur les Protocoles additionnels de 1977 ont été élaborées dans les années 1980. Depuis la publication des premiers commentaires, les Conventions et les Protocoles ont fait leurs preuves. La pratique relative à l’application et à l’interprétation de ces commentaires s'est considérablement développée. Afin d’appréhender cette évolution, un important projet du CICR visant à mettre à jour les commentaires, est aujourd'hui en bonne voie.

Jean-Marie Henckaerts, conseiller juridique et chef du projet, décrit la raison d'être de cette initiative et les résultats escomptés par le CICR.

Comment expliquez-vous l'objectif des commentaires du CICR ?

Les commentaires constituent une ressource excellente pour mieux comprendre chacune des dispositions des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels. Ils indiquent comment interpréter et appliquer chaque disposition afin d'assurer une meilleure protection aux victimes des conflits armés. Ils sont donc un outil précieux pour les praticiens du droit, les avocats, les juges et les milieux universitaires qui appliquent ou étudient le droit international humanitaire.

Afin d’interpréter et d’appliquer correctement un traité, il est essentiel de comprendre la signification exacte des mots utilisés et le rapport entre les différentes dispositions. La règle de base est qu'un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. La pratique ultérieure des États parties au sujet de l’interprétation et de l’application du traité doit être également prise en compte. L'analyse de cette pratique représente donc une partie importante de l'élaboration du projet. Le sens de certains termes peut néanmoins rester ambigu ou obscur, ce qui explique pourquoi il peut être fait appel à des moyens complémentaires d'interprétation, notamment à des travaux préparatoires à l'adoption du traité.

Pourquoi le CICR met-il à jour les commentaires ?

Les premiers commentaires des Conventions de Genève et des Protocoles se fondaient principalement sur l'histoire de la négociation de ces traités et sur la pratique antérieure et, à cet égard, ils restent dans une large mesure valables. Toutefois, avec le temps et le développement de cette pratique, leur mise à jour s’avère nécessaire.

La mise à jour reflètera l'expérience acquise dans l'application des Conventions et des Protocoles durant les dernières décennies, tout en préservant les éléments des commentaires qui sont toujours d'actualité. Le but est de les compléter de manière à ce que les commentaires traduisent la réalité et l'interprétation juridique qui prévaut aujourd’hui.

Pouvez-vous donner des exemples de domaines dans lesquels une mise à jour des commentaires est nécessaire ?

Aux termes de l’article premier commun aux Conventions de Genève, par exemple, les États parties à ces traités « s'engagent à respecter et à faire respecter » ces obligations « en toutes circonstances ». La compréhension que la communauté internationale a de l'obligation de « faire respecter » le droit humanitaire a considérablement évolué depuis les années 1950. La mise à jour des commentaires s'attache à appréhender et à présenter cette évolution.

Citons un autre exemple : les activités humanitaires. Les Conventions disposent que le CICR et « tout autre organisme humanitaire impartial » peuvent offrir leurs bons offices pour entreprendre de telles activités. Le contexte actuel, en termes de diversité des acteurs et de défis à l'action humanitaire, est très différent de celui qui prévalait lors de la rédaction des commentaires initiaux.

Dans un autre domaine, celui du droit d'occupation, la mise à jour permettra de préciser un certain nombre de questions, comme le début et la fin de l'occupation et les mesures de sécurité que peut prendre une puissance occupante dans un territoire occupé. Elle pourra tirer profit de la longue expérience du CICR dans ce domaine et des réunions d'experts organisées par le CICR sur la question.

Quelle est votre approche sur cette recherche ?

La recherche préparatoire est effectuée par thème, et non article par article. Cette approche est indispensable pour assurer la cohérence tout au long des commentaires, car de nombreux thèmes apparaissent dans au moins un ou plusieurs Conventions et Protocoles. On trouve par exemple des dispositions sur les blessés et les malades dans les Ie, IIe et IVe Conventions de Genève et dans les deux Protocoles additionnels. Les travaux préparatoires de mise à jour des commentaires relatifs à ces dispositions doivent être concomitants. Cette méthode permet une meilleure vue d'ensemble. D'autres questions transversales, portent, par exemple, sur la protection des enfants, les personnes disparues, le rétablissement des liens familiaux, l'aide humanitaire et l'utilisation des signes distinctifs.

Sur quelles sources vous fondez-vous pour mettre à jour les commentaires ?

Ce projet s'attachera à examiner diverses sources pertinentes pour l'application et l'interprétation des traités durant les dernières décennies, notamment des manuels militaires, la législation et la jurisprudence, ainsi que de commentaires d'universitaires et l'expérience du CICR sur le terrain. En outre, des consultations sont menées avec les praticiens. Le projet utilise aussi la base de données du CICR sur le droit coutumier, notamment pour accéder à la pratique des États concernant l'application et l'interprétation du droit humanitaire.

S'il y a lieu, la mise à jour tiendra aussi compte des développements dans des domaines connexes du droit international, comme le droit pénal international, et les législations internationales relatives aux droits de l'homme. Ces domaines voyaient tout juste le jour lors de l'adoption des Conventions de Genève et se sont considérablement développés ces dernières années.

Des experts extérieurs soutiennent-ils le projet ?

Oui. Le CICR publiera les commentaires mis à jour, mais des experts extérieurs participeront aux différents stades du processus menant à leur publication. Plusieurs intervenants extérieurs ont été invités à rédiger une partie des commentaires, parallèlement aux juristes qui rédigent les autres parties. En outre, le comité de rédaction qui supervise la rédaction des commentaires comprend des experts extérieurs reconnus, en plus des éminents juristes du CICR. Avant d'être finalisés, les projets de commentaires seront soumis à des « pairs », comprenant une sélection de chercheurs et praticiens spécialisés dans l'application du droit humanitaire.

Pouvez-vous expliquer le processus et le format de publication des commentaires mis à jour ?

Nous prévoyons de publier les volumes des commentaires au fur et à mesure qu'ils seront disponibles. Les commentaires sur la Ie Convention de Genève devraient être disponibles en 2015, les autres volumes dans les années qui suivront.

Les commentaires mis à jour seront présentés comme les versions initiales : un commentaire, article par article, sur chaque disposition des traités. La nouvelle édition comprendra de nombreuses références à la pratique et aux travaux universitaires pour permettre une recherche et lecture plus conviviales. De plus, grâce aux références croisées et détaillées, il sera possible de trouver facilement des informations sur des dispositions connexes dans les commentaires.

Les commentaires mis à jour doivent être accessibles et largement disponibles. En sus de la version papier, ils seront donc disponibles sous format électronique. La version électronique en facilitera la recherche et la navigation.

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Jean-Marie Henckaerts