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Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe

18-11-1999 Déclaration

Contribution écrite du Comité international de la Croix-Rouge - Sommet d’Istanbul, 18 et 19 novembre 1999

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est reconnaissant à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe de l’associer régulièrement à ses travaux et, en l’occurrence, de lui permettre d’apporter au Sommet d’Istanbul la présente contribution écrite.

Chacun est attentif à des dates symboliques tel le début prochain d’un nouveau siècle et d’un nouveau millénaire. Pour sa part, le CICR voit deux événements phares pour cette année 1999. D’abord le 50e anniversaire des Conventions de Genève de 1949 pour la protection des victimes de la guerre, célébré avec une solennité particulière le 12 août dernier; ensuite la XXVIIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui vient de se tenir à Genève et à laquelle étaient invités les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, leur Fédération, le CICR et les États parties aux Conventions de Genève - au nombre desquels tous les États participants de l’OSCE.

Le CICR ne traitera pas ici en détail de ses relations avec l’OSCE, sur lesquelles il a pu s’exprimer à de nombreuses reprises ces dernières années , tant en Réunion ministérielle qu’en Conseil permanent et en Réunion sur la dimension humaine. Le CICR se félicite de la poursuite et de l’approfondissement progressif de ses relations avec l’OSCE, que ce soit sur le terrain ou dans diverses enceintes, tout particulièrement dans le domaine de la dimension humaine: ces contacts se fondent sur la compréhension mutuelle de mandats et de méthodes de travail différents, sur un esprit de complémentarité.

     

Le CICR juge plus urgent de reprendre ci-après, à l’attention de l’OSCE, l’essentiel du bilan qu’il vient de dresser, pour la XXVIIe Conférence internationale susmentionnée, de la situation du droit international humanitaire au seuil du troisième millénaire - y compris quelques réflexions sur l’action humanitaire: cela comprend en premier lieu un aperçu des dernières années, en particulier depuis le Sommet de l’OSCE à Lisbonne en 1996, et en second lieu une esquisse des perspectives et des actions requises pour garantir l’application fidèle de ce droit dont le CICR est le gardien.

L'adoption des Conventions de Genève du 12 août 1949 représentait un progrès remarquable sur le plan humanitaire, notamment par l'approbation d'une Convention nouvelle protégeant les civils en temps de guerre. C'était aussi un succès politique de premier plan: dans un monde qui paraissait plus divisé que jamais, les États parvenaient, en confirmant la valeur de l’emblème de la croix rouge ou du croissant rouge et de l’action humanitaire, à adopter un nouveau régime protégeant les victimes de la guerre.

Si les Conventions de Genève ont sauvé des millions de vies, la division du monde en deux blocs antagonistes a trop souvent fait obstacle au respect du droit humanitaire lors des conflits qui résultaient de la guerre froide. Les choses n’étaient pas plus faciles autrefois: les obstacles étaient différents, mais pas moins réels que ceux d’aujourd’hui.

La guerre froide a pris fin il y a dix ans avec l'effondrement du mur de Berlin, mais cela n'a pas apporté l'apaisement généralisé que les peuples espéraient. Si des solutions politiques ont mis un terme à plusieurs conflits importants en Amérique centrale, en Asie du sud-est et en Afrique australe, d'autres conflits ont perduré, des facteurs endogènes prenant le relais de l'ancienne confrontation idéologique. Surtout, la fin de la guerre froide a libéré des tensions et des haines qui ont débouché sur des conflits d'une rare violence, notamment dans les Balkans, au Caucase et en Asie centrale.

Alors que le monde a surmonté ses anciennes divisions et qu’il est   enserré dans un réseau d'échanges de plus en plus dense, nous assistons à la montée des revendications identitaires et des particularismes, conduisant trop souvent à l'intolérance, au rejet de l'autre, à l'exclusion et à la guerre, et débouchant parfois sur cette forme extrême de l'intolérance qu’est le génocide.

La communauté internationale et les organisations humanitaires sont de plus en plus souvent confrontées à des situations caractérisées par la prolifération des acteurs de la violence, par l'effondrement de toute structure étatique, et par une interpénétration croissante entre l'action politique et la criminalité de droit commun.

Alors que les besoins des victimes sont peut-être plus grands que jamais, l'action des institutions humanitaires est trop souvent paralysée par l'insécurité. Le CICR, comme d'autres institutions, a versé ces dernières années un lourd tribut pour prix de sa volonté de venir en aide aux victimes des conflits en dépit d'un environnement de plus en plus chaotique. Qu'il soit permis d'évoquer ici la mémoire de ses délégués, de ses collaborateurs nationaux et des secouristes des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge qui ont payé de leur vie leur engagement humanitaire. Qu'il soit aussi permis de témoigner de la solidarité du CICR à toutes les autres organisations humanitaires qui ont été victimes d'agressions.

Enlèvements, agressions, assassinats, ces événements tragiques sont malheureusement le reflet d'un mépris croissant pour le droit international humanitaire, pour l'emblème de la croix rouge ou du croissant rouge et pour la personne humaine. Le CICR est en effet confronté jour après jour à des violations graves et répétées du droit humanitaire.

Plutôt que d’énumérer toutes les situations dans lesquelles le CICR est à l'oeuvre aujourd'hui, disons simplement que ses délégués sont présents dans plus de cinquante pays affectés par des guerres, des guerres civiles ou d'autres formes de violence, en Afrique, au Proche-Orient, en Asie, en Amérique latine et en Europe (dont près de 10 États participants de l’OSCE). Ces chiffres témoignent à eux seuls du nombre des conflits qui déchirent l'humanité et de l'ampleur des besoins des blessés, des prisonniers et des populations civiles victimes de ces affrontements.

Cinq préoccupations principales surgissent au vu des traits communs de ces conflits:

- Le sort des populations civiles : trop souvent, les civils sont eux-mêmes délibérément pris pour cibles; on s'en prend à eux soit pour les obliger à fuir, soit pour les éliminer. Les événements récents de Croatie, de Bosnie-Herzégovine (mais aussi du Rwanda, du Kosovo et du Timor oriental) sont dans toutes les mémoires. Cette évolution sape les fondements du droit humanitaire et même les fondements de toute cohabitation dans les cas de purification ethnique ou de génocide. La communauté internationale a réagi avec des fortunes diverses, mélangeant trop souvent le politique et l'humanitaire.

- Les mines antipersonnel : le CICR doit encore s’élever contre ces armes qui frappent sans discrimination, qui mutilent sans espoir de guérison et qui continuent à faire des victimes bien après la fin des hostilités. L'adoption de la Convention d'Ottawa a représenté une victoire mais il faut encore qu'elle soit universellement ratifiée - à ce jour, seuls 89 États sont liés par ce traité (dont 29 États partic ipants de l’OSCE) - et que ses clauses soient respectées.

- Le commerce des armes légères, qui causent d'indicibles souffrances et déstabilisent les pays destinataires de flux d'armes incontrôlés:   les États et les entreprises qui exportent des armes partagent avec les combattants la responsabilité de l'usage qui en est fait.   Le CICR est heureux de l’intérêt de l’OSCE pour cette question et se félicite d’avoir pu lui faire part de son étude y relative.

- Les enfants pris dans la tourmente de la guerre: les enfants soldats, tous ces enfants enrôlés, parfois de force, souvent engagés dans les missions les plus périlleuses, car ils n'en mesurent pas le danger. Beaucoup sont tués ou mutilés; tous sont privés de leur enfance. Il faut aussi dénoncer toutes les agressions contre les enfants: meurtres, viols, violences qu'aucune argumentation ne saurait justifier. Le CICR se félicite également de l'intérêt manifesté pour cette question au sein de l’OSCE ces dernières semaines et participera volontiers à tout effort visant à progresser dans ce domaine.

- Les femmes: le CICR s’est solennellement engagé à porter dans l’ensemble de ses activités une attention toute particulière au sort des femmes victimes des conflits armés (qu’il s’agisse de ses programmes de diffusion, de ses activités de protection ou de ses programmes de secours).

L’avenir proche ne semble pas devoir être porteur d’un nouvel ordre international mais plutôt continuer l’actuelle période de transition et d'instabilité, générant de nouveaux conflits et provoquant des victimes plus nombreuses encore que par le passé - ne serait-ce qu'en raison de la croissance démographique et de la vulnérabilité croissante des populations (conséquence du développement de l'urbanisation et de la dégradation de l'environnement naturel, et surtout en raison de la prolifération des armes de toute nature). Les conflits internes devraient être bien plus nombreux que les conflits entre États, avec une multiplication des acteurs de la violence conduisant dans certains cas à l'effondrement de toute structure étatique.

Quelles que soient les perspectives, refusant de se laisser gagner par le pessimisme et la résignation, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a proposé à la XXVIIe Conférence internationale un plan d'action destiné, en particulier, à renforcer la protection des victimes de la guerre par un plus grand respect du droit humanitaire. La Conférence - et donc les États présents - a adopté par acclamations ce plan fondé sur la conviction qu’il faut s’efforcer de prévenir le déchaînement de la violence plutôt que de réagir face au déferlement d'une violence sans frein.

Les mesures proposées passent par l'universalité des traités de droit humanitaire, la réception de ces traités dans la législation nationale des États, les diverses mesures qu'il convient d'adopter pour que tous ceux qui sont appelés à respecter le droit humanitaire en connaissent les dispositions, la nécessité enfin de prévenir et de réprimer les violations du droit. Voici quelques indications spécialement importantes:

- Le CICR a mis sur pied des Services consultatifs en droit international humanitaire pour fournir aux États des conseils spécialisés sur la mise en oeuvre de ce droit. Par plusieurs paragraphes du Code de conduite relatif aux aspects politico-militaires de la sécurité, les États participants de l’OSCE se sont engagés à faire connaître ce droit et à assurer sa mise en oeuvre.

- Complétant les dispositions des Conventions de Genève qui exigent de tout État partie qu’il poursuive toute infraction grave définie par ces Conventions (ou remettent le prévenu à un autre État pour la poursuite), la communauté internationale s'est récemment dotée de moyens d'assurer sur le plan international la répression des crimes commis en période de conflit armé: création des Tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, et adoption du Statut de la Cour pénale internationale, qui marque une étape décisive dans ce domaine.

- En adhérant aux Conventions de Genève, les États se sont engagés non seulement à respecter ces Conventions mais aussi à les faire respecter en toutes circonstances. Ainsi, chacun des membres de la communauté internationale s'est engagé à veiller à ce que ces traités soient universellement respectés, et à user à cet effet des moyens qui sont les siens: pressions diplomatiques, pressions dans le cadre des organisations internationales, pressions économiques aussi, pour autant que les dispositions prévoyant des dérogations en faveur des populations les plus vulnérables soient respectées. Cette obligation peut-elle aller jusqu'à autoriser l'usage de la force? Le droit international humanitaire ne le prévoit pas mais ne l'exclut pas non plus; en vérité, c'est à la lumière des dispositions de la Charte des Nations Unies que cette question doit être résolue.

La consultation de plus de 20 000 victimes de la guerre à laquelle le CICR a procédé au cours des derniers mois l'a démontré: toutes sont conscientes de la nécessité de règles limitant la violence dans la guerre, même si les idées divergent quant au contenu de ces règles.

Ce que les victimes et les organisations humanitaires attendent des gouvernements, ce n'est pas tellement   qu'ils se substituent aux organismes humanitaires en mettant sur pied leurs propres actions de secours, mais surtout   qu'ils veillent au respect des règles auxquelles ils ont sous crit. Il appartient aux États de faire en sorte que les traités auxquels ils ont adhéré soient universellement respectés et c'est par ce biais qu'ils peuvent apporter une contribution - décisive - à la protection des victimes de la guerre.

La XXVIIe Conférence internationale a lancé un message clair en vue de restaurer le respect du droit humanitaire; il faut replacer la personne humaine et le respect de sa dignité au coeur de la réflexion politique et au coeur de la décision politique.

Réf. LG 1999-182-FRE