Konstantin Obradovic (1939 - 2000)

30-09-2000 Article, Revue internationale de la Croix-Rouge, 839, de Yves Sandoz

Le professeur Konstantin Obradovic est décédé en mars de cette année. La nouvelle a frappé tous ses nombreux amis, qui voyaient en lui un éternel jeune homme, toujours prêt à s’enthousiasmer pour de bonnes causes, à se révolter contre l’injustice et la violence.

Konstantin Obradovic était un professeur reconnu et unanimement apprécié, qui a enseigné dans plusieurs universités en République fédérale de Yougoslavie, mais aussi dans de nombreuses universités étrangères. Ce qui frappait chez lui, c’était le souci de toujours aller au fond des choses, de ne pas se contenter de raisonnements juridiques de surface, satisfaisants pour l’esprit mais éloignés de la réalité. Cette attitude fut la sienne pour l’ensemble des problèmes internationaux, et tout particulièrement pour ceux relevant du droit international humanitaire, matière dont il était un des experts les plus connus et à laquelle il portait un attachement privilégié.

Konstantin Obradovic avait en effet participé à la Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du droit international humanitaire qui, à travers quatre sessions organisées de 1974 à 1977, avait élaboré et adopté les deux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève. Ces textes constituent des développements de première importance du droit international humanitaire, notamment en ce qui concerne les règles fixant des limites humanitaires à la conduite des hostilités et celles applicables lors des conflits internes.

Or, ce résultat remarquable paraissait inespéré à l’époque où il a été obtenu, tandis que se déroulaient encore des guerres de libération coloniale et que l’on était en pleine guerre froide. Si cela a néanmoins été possible, c’est bien grâce à l’esprit constructif, voire amical, qui s’était instauré entre les experts et les diplomates qui suivaient ces travaux. En effet, au travers des longues sessions annuelles s’est créée une communauté politique et académique qui s’est soudée au-delà des idéologies, et dont les membres ont progressivement cherché à mieux comprendre la source des divergences, à rechercher des compromis. Plusieurs de ces diplomates ou experts se sont par ailleurs retrouvés entre les sessions de la Conférence diplomatique à l’Institut international de droit humanitaire de San Remo (Italie). Fraîchement créé, cet organe a pu jouer alors un rôle de premier ordre en offrant un cadre sympathique et informel à tous ceux qui donnaient beaucoup d’eux-mêmes pour faire aboutir un projet auquel ils s’attachaient chaque jour davantage.

Konstantin Obradovic était l’une des personnalités les plus marquantes de cette communauté et, jusqu’à sa mort, il avait gardé avec beaucoup des membres de celle-ci des liens d’amitié. Comme plusieurs autres experts, il avait continué de longues années à défendre les textes adoptés et leur cause, en travaillant à leur ratification, en contribuant à leur diffusion, ou en collaborant à leur insertion dans les législations nationales.

On ne saurait par ailleurs rappeler ces liens d’amitié sans mentionner la relation affectueuse que Konstantin Obradovic avait nouée depuis la Conférence diplomatique avec un grand nombre de collaborateurs du CICR. Ce fut par exemple le cas lors de séminaires où il se retrouvait presque “ en famille ” ou, ces dernières années, avec les délégués du CICR en poste à Belgrade. Il a également contribué à la Revue, qui publie d’ailleurs son dernier article dans le présent numéro.

Dans le cœur de ses innombrables amis, Kosta avait une place particulière. Kosta, dis-je, car le professeur Konstantin Obradovic devenait très rapidement Kosta pour ceux qui l’approchaient, cet ami ouvert, direct, “ râleur ”, Kosta au grand cœur qui défendait ses idées avec force et conviction. Que d’heures n’a-t-on pas passées à discuter, à chercher des solutions aux problèmes écrasants qui se sont abattus sur son pays, ou même à refaire le monde.

Très actif dans son pays, Konstantin Obradovic avait contribué avec ardeur à la promotion du droit humanitaire et à la formation dans ce domaine. Il a participé à d’innombrables séminaires et publié de nombreux livres et articles, avec le souci constant de faire comprendre au plus grand nombre comme aux spécialistes les enjeux des droits de l’homme et du droit international humanitaire.

Le démantèlement désordonné de la Yougoslavie, puis l’engrenage de la méfiance, de la haine et de la violence qui s’est installé dans les Balkans, le mépris affiché par beaucoup à l’égard de valeurs pourlesquelles il s’était tant battu, tout cela avait profondément affecté Konstantin Obradovic. L’amertume le gagnait souvent, mais son esprit combatif le poussait à continuer de s’engager pour sortir de ce cercle vicieux, pour défendre les principes essentiels des droits de l’homme et du droit international humanitaire. À cet égard, il avait, pour une courte période, été ministre fédéral adjoint pour les droits de l’homme et pour les minorités, ce qui représentait pour lui un gage d’espoir.

En Yougoslavie, mais aussi à Genève, à San Remo — il était membre de l’Institut de droit humanitaire et un fidèle participant à ses tables rondes — et dans bien d’autres endroits, la voie rocailleuse de Kosta va cruellement manquer, comme dans le cœur de toute law“ famille des humanitaires ”.

Que sa femme et sa famille veuillent bien accepter notre profonde sympathie et nos plus sincères condoléances.

Salut, Kost a !

  Yves Sandoz  

CICR



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