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Protection de l'environnement naturel en période de conflit armé

20-06-1992 Déclaration

Contribution du CICR en vue de la Conférence de Rio, juin 1992

  1.   Historique  

Dès son origine, le droit international humanitaire (DIH) a imposé des limites au droit des belligérants à provoquer souffrances et blessures aux personnes et à détruire les biens y compris l'environnement naturel.

Cette notion figure dans la Déclaration de St-Pétersbourg de 1868 dans les termes suivants :

  "Le seul but légitime que les Etats doivent se proposer   durant la guerre est l'affaiblissement des forces militaires de   l'ennemi... ".  

L'Article 35 (1) du Protocole I (cf. point 3 ci-après) fait référence à cette règle fondamentale dans les termes suivants :

  "Dans tout conflit armé, le droit des Parties au conflit de   choisir des méthodes ou moyens de guerre n'est pas   illimité".  

Le concept de proportionnalité impose également des limites à la guerre : seuls, les actes de guerre proportionnels à l'objectif légitime défini lors d'une opération militaire, et considérés comme réellement nécessaires pour atteindre cet objectif, sont autorisés.

Ces règles fondamentales font désormais partie intégrante du droit international coutumier auquel doit se soumettre l'ensemble de la communauté des nations. Elles sont également applicables à la protection de l'environnement contre les actes de guerre.

Les règles du DIH ont été élaborées pour traiter des problèmes spécifiques causés par la guerre et elles sont, à ce titre, applicables dès le début d'un conflit armé.

Outre les règles du droit de la guerre, il est possible de continuer d'appliquer les dispositions générales (applicables en temps de paix) relatives à la protection de l'environnement. Ceci est particulièrement valable pour les relations entre un Etat belligérant et des pays tiers.

Les paragraphes suivants examinent les principales règles se rapportant à la protection de l'environnement en temps de conflit armé.

  2. Convention de La Haye du 18 octobre 1907, Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949 : la protection des biens  

Tout comme le droit international en général, le DIH a mis du temps à reconnaître que l'environnement doit êtr e protégé par une série de règles légales spécifiques. Ainsi, le terme " environnement " ne figure ni dans les Conventions de La Haye, ni dans les Conventions de Genève de 1949, et ces traités n'abordent pas les questions spécifiques à l'environnement. Toutefois, l'Article 23 (g) du Règlement de   La Haye prévoit qu'il est interdit de

     

  "détruire ou de saisir des propriétés ennemies, sauf dans les   cas où ces destructions ou ces saisies seraient   impérieusement commandées par les nécessités de la   guerre".  

Dans le cas d'une occupation par les forces armées d'un pays belligérant, l'Article 55 du Règlement de La Haye et l'Article 53 de la IVème Convention de Genève limitent les pouvoirs discrétionnaires de la Puissance occupante. Cette dernière règle mérite d'être citée :

  "Il est interdit à la Puissance occupante de détruire des biens   mobiliers ou immobiliers, appartenant individuellement ou   collectivement à des organisations sociales ou coopératives,   sauf dans les cas où ces destructions seraient rendues   absolument nécessaires par les opérations militaires".  

Ainsi, par exemple, la destruction par une Puissance occ upante de complexes industriels situés dans un territoire occupe, causant, de ce fait, des dommages à l'environnement, constitue en soi une violation de la IVème Convention, dans la mesure où les considérations d'ordre militaire ne rendent pas cette destruction "absolument" nécessaire. Si cette destruction est exécutée sur une "grande   échelle", elle devient un acte constituant une infraction grave à cette Convention (Article 147), à savoir, un crime de guerre.

Les limites auxquelles il est fait référence dans ce paragraphe n'ont pas trait directement aux questions relatives à l'environnement en tant que tel mais elles contribuent néanmoins à la protection de l'environnement en interdisant toute destruction des biens.

  3. Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la Protection des Victimes des Conflits Armés Internationaux (Protocole I) : La protection de l'environnement en tant que tel  

Le Protocole I contient deux dispositions traitant directement des dangers que représente la guerre moderne pour l'environnement. Ces dispositions prévoient de protéger l'environnement en tant que tel, mais toujours par rapport aux êtres humains auxquels se consacre essentiellement le droit international humanitaire (DIH)

Ces règles sont énoncées aux Articles 35 (3) et 55.

  Article 35 - Règles fondamentales  

  3. Il est interdit d'utiliser des méthodes ou des moyens de   guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre   qu'ils causeront, des dommages étendus, durables et graves   à l'environnement naturel.  

     

  Article 55 - Protection de l'environnement naturel  

  1. La guerre sera conduite en veillant a protéger   l'environnement naturel contre des dommages étendus,   durables et graves. Cette protection inclut l'interdiction   d'utiliser des méthodes ou moyens de guerre conçus pour   causer ou dont on peut attendre qu'ils causent de tels   dommages à l'environnement naturel, compromettant, de ce   fait, la santé ou la survie de la population.  

  2. Les attaques contre l'environnement naturel à titre de représailles sont interdites.  

L'Article 35 énonce la règle générale applicable à tous les actes de guerre, tandis que l'Article 55 a pour but de protéger la population civile des effets de la guerre sur l'environnement.

Dans les deux cas, il est interdit :

(a) d'attaquer l'environnement naturel en tant que tel; et

(b) d'utiliser l'environnement comme instrument de guerre.

Les Articles 35 (3) et 55 n'interdisent ces dommages à l'environnement que s'ils sont "étendus, durables et graves", ce qui signifie clairement que tous les dommages à l'environnement ne sont pas considérés comme illégaux. En fait, lors d'une guerre, impossible d'éviter de provoquer des dommages à l'environnement. Le point de controverse est, par conséquent, de décider où fixer le seuil à ne pas dépasser?

La question de savoir ce qui constitue un dommage "étendu,   durable et grave" et quel type de dommage à l'environnement est acceptable est sujet à interprétation. Une telle interprétation doit tenir compte du contexte global et variera en fonction des changements d'attitudes à l'égard du besoin général de protéger l'environnement. Il faut également tenir compte, le cas échéant, des travaux préparatoires.

Outre les Articles 35(3) et 55, il existe d'autres dispositions dans le Protocole I qui abordent accessoirement la question de la protection de l'environnement lors de conflits armés. L'Article 56 traite notamment du danger de dommage à l'environnement résultant de la destruction de barrages, de digues ou de centrales nucléaires de production d'énergie électrique. Sous le titre "Protection des biens indispensables à la survie de la population civile ", l'Article 54 prévoit l'interdiction, dans certaines circonstances, de détruire, entre autres, des zones agricoles et des ouvrages d'irrigation.

Enfin, l'Article 36 oblige les Parties contractantes au Protocole I à déterminer si, l'emploi, la mise au point ou l'acquisition d'une nouvelle arme serait compatible avec le droit international. Les règles sur la protection de l'environnement devant naturellement également être prises en considération lors de cet examen.

  En conclusion, les dispositions du Protocole I, et notamment les Articles 35(3) et 55, constituent un dispositif juridique appréciable contre la destruction de l'environnement en temps de conflit armé.  

109 Etats sont désormais liés par le Protocole I. Ses dispositions, en matière de protection de l'environnement, ont donc force de loi pour une large majorité d'Etats, mais pas encore pour tous.

  4. Autres traités internationaux  

Plusieurs autres textes juridiques traitent de la protection de l'environnement en temps de guerre. Sans vouloir entrer dans les détails, il est toutefois important de mentionner les traités suivants :

  Le Protocole concernant la prohibition d'emploi, à la guerre,   de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens   bactériologiques du 17 juin 1925.

  La Convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques   (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, du 10 avril 1972.

  La Convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de   modifications de l'environnement à des fins militaires ou   toutes autres fins hostiles, du 10 octobre 1976 (Convention ENMOD).

Conclue sous l'égide des Nations Unies, cette Convention a pour but d'interdire l'utilisation à des fins militaires ou à toute autres fins hostiles de " techniques de modification de l'environnement ayant des effets étendus, durables ou graves, en tant que moyen de causer des destructions, des dommages ou des préjudices à tout autre Etat partie " (art.1).

Les atteintes à l'environnement interdites par la Convention sont celles résultant de l'utilisation de " toute technique ayant pour objet de modifier - grâce à une manipulation délibérée de processus naturels - la dynamique, la composition, ou la structure de la Terre (... ) " (art. 2).

  La Convention sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi   de certaines armes classiques qui peuvent être considérées   comme produisant des effets traumatiques excessifs ou   comme frappant sans discrimination, du 10 octobre 1980.

De surcroît, toutes les règles internationales limitant l'étude, la fabrication, l'essai ou l'emploi d'armes de destruction massive contribuent de façon importante au même objectif. Par ailleurs, les négociations qui ont lieu actuellement en vue de renforcer l'interdiction des armes chimiques méritent également d'être mentionnées.

    5. Le cas particulier des conflits armés non internationaux  

Les règles qui protègent les victimes des conflits armés non internationaux sont moins développées que celles régissant les conflits armés à caractère international.

  L'Article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 ne dit rien sur la protection de l'environnement lors d'une guerre civile. Il n'aborde que les questions humanitaires dans le sens le plus strict.

  Le Protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II) ne comporte pas de dispositions ayant trait directement à l'environnement. Cependant, son Article 14, relatif à la protection des biens indispensables à la survie de la population civile, a un impact direct sur la guerre et l'environnement, en interdisant la destruction des zones agricoles, des ouvrages d'irrigation, etc.

  6. La question de la mise en oeuvre  

Tout comme pour toute autre règle du droit, il est obligatoire de se conformer aux dispositions légales internationales relatives à la protection de l'environnement en temps de guerre. Si tel n'est pas le cas, une action doit être conduite aux fins d'établir les faits, de réparer l'atteinte et d'empêcher que de telles violations ne se reproduisent.

Parmi les diverses procédures prévues par le droit international humanitaire (DIH) pour garantir la mise en oeuvre de ces règles, trois d'entre elles peuvent être mentionnées dans ce contexte.

  6.1. Commission internationale d'établissement des faits (Protocole I, Article 90)  

Cette Commission a pour mandat, dans le cas d'une prétendue violation du DIH au cours d'un conflit armé international :

* d'établir les faits, et

* de prêter ses bons offices aux parties concernées afin de prévenir de nouvelles violations.

Il est évident que la Commission pourrait rendre des services inestimables en cas de dommage causés à l'environnement en temps de conflit armé.

La compétence de la Commission dépend d'une déclaration d'acceptation spéciale (Article 90.2). A ce jour 27 Etats ont accepté la compétence de cette Commission, qui a été constituée en juin 1991.

  6.2. Responsabilité pénale individuelle  

Les Etats Parties aux Conventions de Genève et aux Protocoles sont tenus de prendre toutes les mesures possibles pour remplir convenablement leurs obligations en temps de guerre. Parmi ces mesures, l'une des plus importantes est l'adoption à l'échelon national de règles   appropriées relatives aux sanctions pénales.  

Bien que le fait de causer des dommages étendus, durables et graves à l'environnement, ne constitue pas en soi une infraction grave au Protocole I, de tels actes peuvent être constitutifs d'une infraction grave à d'autres dispositions.

  6.3. Devoirs de l'ensemble des Etats Parties aux traités humanitaires  

L'Article 1 commun aux quatre Conventions de Genève et au Protocole I stipule que les Etats contractants s'engagent à "faire respecter lesdits traités".  Ceci souligne la responsabilité partagée par toutes les Parties contractantes à ces Conventions et au Protocole I, afin de s'assurer que chaque Etat assume ses obligations humanitaires.  Le devoir   de respecter l'environnement en temps de conflit armé   constitue l'une de ces obligations.  

     

  7. Travaux en cours  

Les questions liées à la protection de l'environnement en période de conflits armés ont regagné une grande actualité en 1991. Elles on fait l'objet de plusieurs réunions scientifiques de haut niveau, qui ont permis d'identifier les principaux problèmes se posant en la matière.

Ces questions ont été également abordées lors de la 46e Assemblée Générale des Nations-Unies, en particulier lors de l'examen du point 140 de l'ordre du jour : " Utilisation de l'environnement comme instrument de guerre en période de conflit armé et adoption de mesures pratiques visant à éviter pareille utilisation " .

La communauté internationale l'ayant investi de la tâche de " travailler à la compréhension et à la diffusion du droit international humanitaire applicable dans les conflits armés et d'en préparer les développements éventuels " (Art. 5, al. 2.g des Statuts du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge), le CICR a activement pris part à ces travaux et s'est déclaré prêt à réunir des experts et à examiner toute mesure permettant d'assurer la protection de l'environnement en période de conflit armé.

La 46e Assemblée générale a pris bonne note de la disponibilité du CICR en cette matière : elle a prié le Secrétaire général des Nations Unies de rendre compte à la 47e Assemblée générale des activités menées à cet égard par le CICR (Décision A/46/417 du 9 décembre 1991).

Répondant à cette demande, le CICR a mis sur pied une réunion d'experts destinée à étudier le contenu et les limites des règles juridiques relatives à la protection de l'environnement en période de conflit, ainsi qu'à identifier les éventuelles lacunes du droit en vigueur.

Plus de 30 experts (militaires, scientifiques, académiques et représentants de gouvernements ou d'organisations gouvernementales et non gouvernementales) ont répondu à l'invitation du CICR et se sont réunis à Genève du 27 au 29 avril 1992.

La réunion a permis de dresser une liste des principales questions méritant étude et discussion. Parmi celles-ci, on mentionnera en particulier le rôle et la portée précise des règles coutumières protégeant l'environnement; l'interprétation des règles conventionnelles applicables (en particulier les Articles 35.e et 55 du Protocole I et celles de la Convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de modification de l'environnement); l'applicabilité en temps de conflit armé des dispositions du droit international de l'environnement ainsi que la problématique de la mise en oeuvre et du respect des règles existantes applicables.

Toutes ces questions n'ont pu être examinées en détail mais les débats très nourris et l'atmosphère positive ont conduit à certains éléments de conclusion. On notera en particulier que peu d'experts se sont prononcés en faveur d'une nouvelle codification, la plupart insistant sur la nécessité de mesures conduisant à un meilleur respect du droit existant ainsi qu'à certaines clarifications de ce droit.

Ces débats, qui feront l'objet d'un rapport détaillé qui sera soumis à la 47e Assemblée générale des Nations Unies, en automne 1992, ont montré l'ampleur des problèmes et la nécessité de travaux plus approfondis.

  8. Conclusions et perspectives  

Le droit international humanitaire en vigueur aborde directement les menaces contre l'environnement qui sont spécifiques aux conflits armés. Les Protocoles   additionnels aux Conventions de Genève de 1977 ont notamment contribué, pour une large part, au renforcement des règles internationales visant à protéger l'environnement en temps de conflit armé. Les deux Protocoles de 1977 méritent donc d'être ratifiés par tous les Etats qui ne l'ont pas encore fait.

La véritable importance de la nouvelle codification en matière de protection de l'environnement en temps de guerre n'est pas encore bien comprise. Il est nécessaire d'entreprendre, tant au plan national qu'international, de nouvelles études qui devront tenir compte non seulement des expériences récentes relatives aux dommages causés à l'environnement mais aussi de l'intérêt croissant, à l'échelon international, pour la protection de l'environnement. Il est nécessaire de prévoir des mesures pratiques afin que   les parties à un conflit armé se soumettent à la   nouvelle réglementation.  La rédaction d'un Manuel rappelant aux commandants militaires leurs obligations en la matière pourrait constituer un premier pas vers un respect total de la réglementation sur la protection de l'environnement.

  L'interprétation et le développement du droit   international humanitaire ont de tout temps constitué l'un des principaux domaines d'activité du CICR.  La protection   de l'environnement en période de conflit armé soulève aujourd'hui d'importantes questions auxquelles des réponses efficaces et réalistes devront être trouvées. A cette fin, le CICR est prêt à poursuivre ses recherches et travaux dans ce domaine et a déjà fait part de son intention de réunir à nouveau des experts dans un avenir proche.

Réf. DP (1992)18