Débat général sur tous les points de l'ordre du jour relatifs au désarmement et à la sécurité internationale. Assemblée générale des Nations Unies, 70e session, 1ère Commission, déclaration du CICR, New York, le 15 octobre 2014.
La célébration, cette année, du soixante-dixième anniversaire des Nations Unies est l'occasion de faire le point sur les progrès réalisés dans le sens du « désarmement et [de] la réglementation des armements » voulus par la Charte des Nations Unies. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) apporte son éclairage sur ces questions en sa qualité d'organisation humanitaire chargée de fournir assistance et protection aux victimes de conflits armés et de prévenir la souffrance humaine par la promotion et le renforcement du droit international humanitaire, également connu sous le nom de droit des conflits armés ou droit de la guerre.
L'une des caractéristiques des conflits armés de ces soixante-dix – et même cent – dernières années est l'utilisation de systèmes d'armes de longue portée, à haute puissance explosive et ayant un large rayon d'impact. Les bombes et missiles de gros calibre, les systèmes d'armes à tir indirect comme les mortiers et autres équipements d'artillerie, et les lance-roquettes multitubes ont prouvé leur efficacité sur les champs de bataille ouverts. En revanche, lorsqu'ils sont employés pour détruire des objectifs militaires situés dans des zones habitées, ils sont susceptibles de causer des dommages indiscriminés aux conséquences dévastatrices pour les civils, comme nous pouvons le constater dans les conflits armés actuels. Les engins explosifs improvisés utilisés dans des zones habitées par des groupes armés non étatiques sont également à l'origine de souffrances considérables. Outre les pertes en vies humaines, les blessures et les destructions immédiates qu'elle entraîne, l'utilisation d'armes explosives dans des zones habitées a d'importants effets « indirects » sur les civils, que le prolongement des hostilités ne fait qu'aggraver. Les dommages collatéraux causés à des infrastructures civiles de base telles que les réseaux d'approvisionnement en eau et en électricité perturbent gravement le fonctionnement des services essentiels à la survie de la population civile, notamment la fourniture des soins de santé. Cette situation ajoute aux menaces qui pèsent déjà sur la vie et la santé des civils, et peut conduire à des déplacements de populations.
Il apparaît donc clairement que les armes explosives à large champ d'action ne devraient pas être employées dans des zones densément peuplées compte tenu des effets indiscriminés qu'elles sont fortement susceptibles d'entraîner. Cette question concerne tous les États, et pas seulement ceux qui sont actuellement engagés dans un conflit armé, car ces types d'armes font partie de l'arsenal des forces armées de la plupart des pays. Au vu de l'ampleur des dommages causés à la population civile dans les conflits actuels, il est important que les États indiquent les dispositions qu'ils prennent pour faire en sorte que leurs forces armées choisissent des armes conformes au droit international humanitaire pour leurs opérations en milieu habité. Le CICR les invite à faire connaître leurs politiques et pratiques en la matière, notamment toute restriction appliquée à l'emploi, dans les zones habitées, de certaines armes explosives en raison de leur imprécision intrinsèque ou d'autres effets potentiellement indiscriminés. Ces informations contribueraient à faire avancer la discussion sur ce problème humanitaire majeur et aideraient les parties aux conflits sincèrement désireuses de respecter le droit, ce qui permettrait, à terme, de renforcer la protection des civils vivant dans des zones densément peuplées.
Dans sa toute première résolution, adoptée il y a près de soixante-dix ans, l'Assemblée générale des Nations Unies aspirait à voir « éliminer des armements nationaux les armes atomiques et toutes autres armes importantes permettant des destructions massives ». Pourtant, soixante-dix ans plus tard, les armes nucléaires sont les seules armes de ce type qui ne sont toujours pas soumises à une interdiction totale, à l'inverse des armes chimiques et biologiques, dont l'emploi a été catégoriquement prohibé. Ce statu quo est d'autant plus inacceptable que l'on n'a jamais eu une conscience aussi aiguë des conséquences humanitaires désastreuses qu'engendrerait l'emploi, sous quelque forme que ce soit, d'armes nucléaires, comme l'ont expressément reconnu en 2010 les États parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. À l'occasion des trois conférences internationales sur l'impact humanitaire des armes nucléaires qui se sont tenues respectivement à Oslo, Nayarit et Vienne en 2013 et 2014, des preuves ont été fournies des souffrances incommensurables qu'entraînerait l'emploi de ces armes en raison des effets à court et à long terme qui en résulteraient pour les personnes, les sociétés, les systèmes de santé et l'environnement. Enfin, tout récemment, le CICR et la Société nationale de la Croix-Rouge du Japon ont à leur tour publié une information inquiétante, à savoir que soixante-dix ans après les bombardements de Hiroshima et de Nagasaki, les hôpitaux de la Croix-Rouge continuent de soigner des milliers de rescapés qui souffrent des effets résiduels des rayonnements.
Au vu des preuves irréfutables du coût humain disproportionné engendré par les armes nucléaires, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge est arrivé à la conclusion que l'emploi de ces armes pouvait difficilement être jugé compatible avec les règles du droit international humanitaire. Partant de ce constat, le Mouvement a demandé aux États d'ouvrir des négociations en vue de la conclusion d'un accord international juridiquement contraignant qui interdirait l'usage des armes nucléaires et viserait à les éliminer totalement, conformément aux obligations et engagements internationaux existants.
Lorsque le contexte international est en proie à l'instabilité, certains États pourraient être tentés de voir dans les armes nucléaires un moyen d'assurer leur sécurité. On ne saurait pourtant sérieusement considérer des armes porteuses de conséquences aussi désastreuses et irréversibles sur le plan humanitaire comme un moyen de protéger les civils et moins encore l'humanité tout entière. Une large majorité d'États s'accordent aujourd'hui à dire qu'il est temps de regarder en face l'impact humanitaire des armes nucléaires et d'en faire le pilier de toutes les initiatives visant à faire avancer le désarmement nucléaire. Cette année, le président du CICR, Peter Maurer, a demandé à tous les États d'arrêter un calendrier de négociation en vue de la conclusion d'un accord juridiquement contraignant interdisant les armes nucléaires et prévoyant leur élimination, et de réfléchir à la forme que cet accord pourrait prendre. Il a parallèlement demandé aux États détenteurs d'armes nucléaires de réduire le rôle de ces dernières dans leur doctrine militaire ainsi que leur arsenal nucléaire en état d'alerte avancée, conformément aux engagements existants, de manière à limiter le risque qu'une de ces armes soit intentionnellement ou accidentellement déclenchée. Nous réitérons ces appels devant vous aujourd'hui.
La menace que constituent les armes nucléaires suscite d'autres préoccupations liées à la militarisation de l'espace extra-atmosphérique. Si le Traité sur l'espace extra-atmosphérique interdit formellement la mise sur orbite d'armes de destruction massive, il n'étend pas expressément cette interdiction à d'autres types d'armes, bien que tous les États ou presque déclarent vouloir éviter que l'espace devienne le théâtre d'une nouvelle course aux armements. Ce qui est certain, c'est que toute utilisation de l'espace à des fins hostiles dans le cadre d'un conflit armé – c'est-à-dire tout emploi de moyens et de méthodes de guerre dans l'espace, depuis l'espace, en direction de l'espace ou à travers l'espace – doit respecter le droit international humanitaire, en particulier les principes de distinction, de proportionnalité et de précaution dans l'attaque. Il est important de souligner ici que par cette déclaration, le CICR n'entend en aucun cas encourager le déploiement d'armements dans l'espace, à la prévention duquel l'Assemblée générale a consacré plusieurs résolutions. Il tient seulement à rappeler qu'une guerre dans l'espace ne s'inscrirait pas dans un vide juridique.
L'application du droit international humanitaire à une éventuelle guerre dans l'espace n'irait néanmoins pas sans difficultés, car la plupart des satellites et autres systèmes spatiaux utilisés à des fins militaires ont également des fonctions civiles. Si une attaque, d'origine cybernétique ou autre, prenait pour cible ces systèmes « à usage mixte » hautement intégrés, cela aurait sur Terre des répercussions humanitaires considérables pour des millions de civils, en causant par exemple des dysfonctionnements au niveau des structures de santé et d'autres services essentiels tributaires des systèmes de communication par satellite. En outre, il est probable que les cyberattaques dirigées contre des objets spatiaux engendreraient une myriade de débris qui pourraient rester en orbite dans l'espace durant des décennies et menacer les activités pacifiques qui y sont déployées. Les États doivent évaluer avec précision les multiples conséquences qu'aurait une guerre dans l'espace pour les populations civiles et en tenir compte pour déterminer les limites qu'il convient d'appliquer à la militarisation de l'espace.
Là encore, le CICR, en déclarant que la cyberguerre doit respecter le droit international humanitaire, n'encourage nullement l'utilisation du cyberespace à des fins hostiles dans le cadre d'un conflit armé. Il insiste simplement sur le fait que l'emploi, le cas échéant, de moyens cybernétiques, doit être conforme aux règles du DIH. À cet égard, le CICR se félicite de ce que le Groupe d'experts gouvernementaux de l'ONU chargé d'examiner les progrès de la téléinformatique dans le contexte de la sécurité internationale, mentionne dans son rapport 2015 « les principes établis du droit international, notamment, lorsqu'ils sont applicables, les principes d'humanité, de nécessité, de proportionnalité et de distinction ». Comme dans le cas des systèmes spatiaux, l'omniprésence des technologies fondées sur les réseaux cybernétiques dans la vie quotidienne des populations civiles fait que toute attaque dirigée contre ces réseaux pourrait avoir de graves conséquences sur le plan humanitaire.
La mise au point de systèmes d'armes capables de repérer et d'attaquer des cibles sans intervention humaine constitue une autre source de préoccupation. Il existe une grande variété d'armes de ce type, réunies sous le terme générique de « systèmes d'armes autonomes », ou parfois d'« armes létales autonomes ». Les discussions menées dans le cadre de la Convention sur certaines armes classiques entre experts gouvernementaux et indépendants au sujet des questions juridiques, militaires et éthiques que soulève l'emploi de ce type d'armes montrent qu'il existe un large consensus quant à la nécessité de maintenir sous contrôle humain les fonctions essentielles des systèmes d'armes. Compte tenu de la rapidité des progrès réalisés dans le domaine de la robotique militaire, il est urgent que les États réfléchissent à ce que signifie l'exercice d'un contrôle humain réel, approprié ou effectif sur l'usage de la force. Le CICR encourage les États à se concentrer à présent sur la fixation de limites à l'autonomie des systèmes d'armes s'agissant de leurs fonctions essentielles, de manière à garantir qu'il en soit fait un usage conforme au droit international humanitaire et acceptable au regard des exigences de la conscience publique.
Il est du devoir de chaque État de veiller à ce que ses programmes de mise au point et d'utilisation de nouvelles armes et ses décisions relatives aux transferts d'armes soient conformes au droit international humanitaire. Les États s'y sont expressément engagés dans le Traité sur le commerce des armes, qui établit un cadre normatif global pour une gestion responsable des transferts d'armes. En exigeant des États qu'ils subordonnent leurs transferts d'armes au respect du droit international humanitaire et du droit des droits de l'homme et qu'ils prennent des mesures pour en prévenir le détournement, ce traité vise à empêcher que des armes tombent entre les mains d'acteurs qui les utiliseraient pour commettre des crimes de guerre, des violations graves des droits de l'homme ou tout autre crime grave. Ces dispositions devant aboutir à un renforcement de la protection des civils dans les conflits armés, le CICR demande instamment à tous les États qui ne l'ont pas encore fait d'adhérer au Traité sur le commerce des armes et d'en respecter scrupuleusement les dispositions. Alors que les armes continuent de circuler, par le biais de transferts légaux ou illégaux ou de détournements, alimentant quelques-uns des conflits armés les plus violents de la planète, notamment dans certaines régions du Moyen-Orient et d'Afrique, il est urgent de combler le fossé qui sépare la pratique de la lettre du droit – et, partant, de donner corps à la promesse d'une « réglementation des armements » formulée dans la Charte des Nations Unies il y a soixante-dix ans.