Les Conventions de Genève sont plus que jamais nécessaires face aux atrocités commises dans les conflits

07 avril 2016
Les Conventions de Genève sont plus que jamais nécessaires face aux atrocités commises dans les conflits

Par Helen Durham, directrice du Département du droit international et des politiques humanitaires au CICR.

Loin d'être dépassé, le droit de la guerre n'a jamais été aussi bien connu du grand public, et les violations de ce droit n'ont jamais suscité autant d'indignation.

Lors du Sommet humanitaire mondial, qui réunira tous les dirigeants de la planète le mois prochain en Turquie, l'une des questions essentielles à l'ordre du jour sera de savoir comment renforcer le respect du droit de la guerre.

Un respect dont le monde a cruellement besoin par les temps qui courent.

Face aux images qui défilent en boucle sur nos smartphones et nos écrans de télévision et qui montrent des hôpitaux bombardés, des populations assiégées et des millions de personnes chassées de chez elles, beaucoup s'interrogent – sans surprise – sur l'efficacité des règles qui régissent les conflits armés.

Je partage la frustration qui est à l'origine de ces interrogations. Comment ne pas être saisi d'un sentiment d'indignation quand on est témoin des horreurs sans fin que les populations endurent en Syrie, au Soudan du Sud ou en Afghanistan ? Il n'y a ensuite qu'un pas à franchir pour céder au cynisme quant à la force des valeurs humaines fondamentales consacrées par les Conventions de Genève et à leur aptitude à garantir la protection qu'elles sont censées offrir. La complexité des conflits modernes, qui transcendent les frontières et donnent lieu à des poussées d'extrémisme, vient brouiller encore davantage les repères.
Il suffit toutefois de creuser un peu pour se rendre compte que le droit de la guerre n'a rien perdu de sa pertinence.

Comme toute autre branche du droit, il ne peut pas mettre fin à toutes les souffrances – ce qui peut paraître paradoxal. Le droit de la guerre n'a cependant jamais été aussi solide et aussi bien connu du grand public, et l'indignation exprimée quand il est bafoué n'a jamais été aussi forte. Partant, même si l'argument peut être tentant, il serait erroné de prétendre que les Conventions de Genève (qui sont au cœur du droit de la guerre) ne sont plus d'aucune utilité.

Voici cinq raisons qui expliquent pourquoi il est vital de ne pas les reléguer aux oubliettes :


1.-  Elles contribuent chaque jour à sauver des vies. Même si les violations sont monnaie courante, les Conventions de Genève sauvent des vies. Dans le contexte du confit en Syrie, elles jouent un rôle crucial en nous permettant de franchir les lignes de front pour fournir des soins, de l'eau potable et d'autres secours à des millions de personnes. Il ne s'agit pas uniquement de rappeler les règles de la guerre aux parties au conflit, mais aussi de les aider à mettre en œuvre le droit.

Au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), nous expliquons aux parties en guerre comment réduire concrètement le nombre de victimes civiles – en Afghanistan par exemple, nous incitons les combattants à ne pas lancer d'attaques contre des objectifs militaires le matin, pendant que les femmes font le marché. Parfois, le droit de la guerre permet d'obtenir des choses qui devraient être tenues pour acquises mais qui ne le sont pas, comme éviter qu'un hôpital ne soit pris pour cible au Mali ou permettre à une ambulance de franchir un poste de contrôle en Cisjordanie.

2.-  L'existence même des Conventions offre un cadre indispensable. En leur absence, il n'y aurait aucune manière de déterminer clairement ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas dans un conflit armé. En décembre dernier, les États se sont engagés à explorer des moyens de renforcer le respect du droit de la guerre et ont convenu de travailler à la mise en place d'un nouveau forum à cet effet. Ces engagements doivent à présent se traduire en actions concrètes.

Pour que le droit reste en phase avec l'évolution des conflits armés, le CICR vient de publier une mise à jour du Commentaire de la Première Convention. Ces dernières années, il a par ailleurs soutenu l'enseignement du droit de la guerre dans plus de 400 universités et contribué à former quelque 45 000 militaires, policiers et agents de sécurité. Si le rôle que nous jouons dans les régions en proie à un conflit est unique, il ne représente qu'une facette des nombreux efforts déployés à l'échelon mondial dans ce domaine.

3.- Les traités sur les armes contribuent à réduire considérablement les souffrances humaines. Depuis l'entrée en vigueur en 1999 du traité d'Ottawa interdisant les mines antipersonnel, on estime que le nombre de personnes tuées ou blessées chaque année par ces engins est passé de 20 000 à environ 3 500. La production de ces armes a pratiquement cessé et 48 groupes armés non étatiques se sont engagés à ne plus les utiliser (et respectent pour la plupart leur engagement). L'interdiction des armes chimiques a par ailleurs permis de bannir leur utilisation et de détruire une grande partie des stocks.

4.-  Il ne faut pas laisser s'installer un cercle vicieux. Il existe certes un fossé entre les attentes des gens envers le droit de la guerre et la réalité des conflits, mais il faut éviter de créer un cercle vicieux dans lequel le non-respect du droit serait la normalité. Il n'est que trop facile pour les États et les groupes armés de faire fond sur les désillusions du public face au comportement des parties aux conflits pour affirmer que le droit est inefficace. Cela leur permet ensuite d'essayer de justifier leurs propres violations en arguant qu'elles sont inévitables dans la réalité des conflits armés. Souvent, les organes de presse et les organismes humanitaires n'attirent l'attention du public que sur les violations du droit, et non sur les nombreuses situations où celui-ci est respecté et appliqué – chaque fois qu'un enfant est vacciné dans une zone de conflit, qu'une armée renonce à une attaque qui risquerait de faire des victimes civiles ou qu'un détenu échappe à la torture.

5.-  Soutenir les Conventions de Genève est un devoir moral. En fin de compte, nous n'avons pas d'autre choix sur le plan éthique que de nous attacher à faire respecter le droit de la guerre. Certains principes, tels que la protection de la dignité humaine, sont essentiels pour l'humanité, et leur utilité ne peut pas être mesurée à l'aune de simples résultats, et encore moins de résultats à court terme.
Tout cela doit nous inciter à réaffirmer, lors du prochain Sommet humanitaire mondial, la place centrale du droit de la guerre et la protection qu'il peut apporter, et apporte effectivement, aux victimes des conflits.
Même si les violations de ce droit sont fréquentes, cela ne remet pas en question sa pertinence. Il continue de jouer un rôle fondamental. L'autre possibilité – la guerre sans limites – est tout simplement inacceptable.

 

La version originale de cet article, en anglais, a été publiée par The Guardian