Mirjana Spoljaric, présidente du CICR : « Les dévastations et le désespoir ne doivent pas nous faire oublier que les guerres ont des règles »
Alors que des violations flagrantes du droit international humanitaire sont régulièrement commises, Mirjana Spoljaric réaffirme la pertinence des Conventions de Genève, qui fixent des limites claires aux violences en temps de guerre. Elle demande instamment aux États de faire de cette branche du droit leur priorité politique, de respecter l’action humanitaire fondée sur des principes ainsi que les personnels qui mènent cette action, et de préserver la paix.
Discours prononcé par la présidente du Comité international de la Croix-Rouge, Mirjana Spoljaric, à la 55e session du Conseil des droits de l'homme tenue à Genève
Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs,
Les personnes touchées par des conflits armés endurent des souffrances indescriptibles.
Elles survivent à grand-peine dans des villes en ruine ou des camps surpeuplés.
Elles agonisent dans des hôpitaux quotidiennement pris pour cible.
Des femmes meurent en couches faute de médicaments et de services de santé de base.
Des enfants grandissent en ne connaissant rien d'autre que la faim et la peur.
Des personnes handicapées sont dans l'impossibilité de fuir car elles ne peuvent pas entendre les sirènes, accéder aux abris ou être évacuées.
Des familles entières vivent plongées dans l'angoisse en attendant des nouvelles de leurs proches disparus, détenus ou retenus en otage.
Les dévastations et le désespoir ne doivent pas nous faire oublier que les guerres ont des règles. Le droit international des droits de l'homme et le droit international humanitaire (DIH) poursuivent le même objectif : protéger la vie et la dignité de tous les êtres humains.
Il y a 75 ans, les États ont délibérément accepté de se soumettre à ces règles, qui n'ont rien perdu de leur pertinence et de leur clarté.
Il y a 75 ans, les États se sont rassemblés autour d'un impératif humanitaire – contrôler la conduite des belligérants – et d'un intérêt commun – imposer des limites aux violences dans la guerre.
Aujourd'hui, les Conventions de Genève ont été ratifiées par tous les États. Elles font l'objet du consensus international le plus large qui soit.
On ne saurait toutefois ignorer les obstacles bien réels qui mettent à mal la pertinence et l'efficacité du DIH :
- Des violations de ce droit sont fréquemment perpétrées, au vu et au su de la communauté internationale.
- Des exceptions à son application sont introduites.
- Des arguments fondés sur la réciprocité, confinant presque au marchandage, sont avancés pour justifier le non-respect des lois de la guerre et des valeurs fondamentales d'humanité.
Les souffrances humaines persistantes dans les conflits armés ne sont pas un indicateur de l'inefficacité du DIH, mais du non-respect de ses dispositions par les parties belligérantes et les États qui les soutiennent.
La Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui se tiendra en octobre prochain, sera l'occasion de nous réunir pour réaffirmer ce consensus ainsi que notre attachement commun au respect du DIH.
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Au-delà de la lettre de la loi, je me dois de rappeler les valeurs fondamentales sur lesquelles le droit international humanitaire a été fondé.
Avant toute chose, l'humanité.
Les Conventions de Genève ont été créées pour préserver un minimum d'humanité même dans les situations les plus sombres, pour éviter la déshumanisation de l'autre et pour aider à maintenir ouverte une voie vers le retour à la paix.
Deuxièmement, et c'est une valeur tout aussi importante, l'égalité.
Notion fondamentale de l'humanité, l'égalité est omniprésente dans le droit international moderne. L'humanité et l'égalité sont consacrées par la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l'homme et les Conventions de Genève. Chacun de ces instruments se réfère à la dignité, à la valeur et à l'égalité de droits de tous les êtres humains.
Quel que soit le côté de la ligne de front où se trouve un civil ou un combattant capturé, sa vie et sa dignité ont la même valeur.
Tant le Comité international de la Croix-Rouge que le Conseil des droits de l'homme œuvrent à faire en sorte que les États respectent ces valeurs fondamentales.
En ma qualité de présidente du CICR, je saisirai toutes les occasions qui se présenteront pour vous inciter :
Premièrement, à faire du respect du droit international humanitaire votre priorité politique.
Vous avez la responsabilité collective de prévenir et de réduire le coût humain de la guerre en mettant en œuvre le DIH et en veillant à ce qu'il soit respecté dans le monde entier. La protection de notre humanité commune passe par le respect non seulement de la lettre des Conventions de Genève, mais aussi de leur esprit.
Deuxièmement, à protéger et préserver l'action humanitaire neutre, impartiale et indépendante ainsi que les personnels qui la mènent à bien.
Nous vous demandons de respecter notre neutralité et de reconnaître notre indépendance, car elles sont nos meilleurs outils pour accéder aux populations qui ont besoin d'aide et pour influencer les comportements de ceux qui détiennent le pouvoir et les armes.
Le DIH seul ne suffira cependant jamais à assurer la sécurité et la dignité des personnes, de même que l'action humanitaire fondée sur des principes ne suffira jamais à alléger toutes les souffrances.
Ils ne peuvent pas changer l'essence même de la guerre, qui reste une atteinte portée à notre humanité commune.
C'est pourquoi je vous demande instamment, en troisième lieu, de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour préserver la paix, éviter l'escalade de la violence et ne pas laisser les conflits devenir la norme.
Je vous remercie de votre attention.