De Solférino à la première Convention de Genève

22-04-2009 Article, de François Bugnion

Les antécédents de la plupart des institutions se perdent dans la pénombre de l'histoire.Les premières esquisses n'ont guère laissé de traces, ou alors elles n'ont qu'un rapport ténu avec l'institution qu'elles préfigurent. La Croix-Rouge est une exception.Ses origines sont relativement bien connues et le point de départ peut, en quelque sorte, être daté.Ces premiers pas méritent qu'on s'y arrête.En effet, ils éclairent toute l'histoire ultérieure de la Croix-Rouge, ainsi que la position particulière du Comité international.

24 juin 1859. Autour de la petite ville de Solférino, les armées franco-sardes livrent bataille aux Autrichiens. C'est l'épisode décisif de la lutte pour l'unité italienne, mais c'est aussi le plus vaste égorgement que l'Europe ait connu depuis Waterloo : dix heures de combat font plus de 6 000 morts, plus de 30 000 blessés.

Les services sanitaires des armées franco-sardes sont débordés ; l'incurie de l'Intendance éclate au grand jour : l'armée française compte moins de médecins que de vétérinaires ; les moyens de transport sont inexistants ; les caisses de pansements ont été abandonnées à l'arrière et seront renvoyées en France, encore plombées, en fin de campagne ; si l'on en croit le rapport du général Paris de la Bollardière, intendant en chef de l'armée française, il faudra six jours pour recueillir 10 212 blessés.

Soutenus par des camarades, s'appuyant sur des bâtons ou sur la crosse de leur fusil, les soldats blessés se traînent vers les villages avoisinants en quête d'un peu d'eau, de nourriture, de soins et d'un gîte. Plus de 9 000 blessés parviennent ainsi au bourg de Castiglione où l'on compte bientôt plus de gisants que de personnes valides. Des blessés, il y en a partout : dans les maisons, dans les granges, dans les églises, sur les places et dans les ruelles.

C'est vers ce même village de Castiglione qu'arrive, au soir du 24 juin, un banquier genevois, Henry Dunant. Il n'est pas médecin et ses affaires sont pressantes, mais il n'est pas homme à fermer son coeur à l'appel de la détresse humaine : jour et nuit, il est à la « Chiesa Maggiore » où sont entassés plus de 500 blessés ; il donne à boire aux malheureux qui meurent de soif, lave les plaies, refait des bandages; il envoie son cocher à Brescia pour y acheter du drap, de la charpie, des pipes, du tabac, des tisanes, des fruits ; il mobilise quelques dames charitables pour assister les blessés et les mourants ; il écrit à ses amis genevois pour se faire envoyer des secours. Bref, il donne l'exemple et cherche à organiser les bonnes volontés pour limiter au moins les conséquences du désastre dont il est le témoin.

Dunant rentre à Genève le 11 juillet, le jour même où prend fin la campagne d'Italie. Il est à nouveau happé par les difficultés financières de la Société qu'il dirige en Algérie.

Si son expérience au service des blessés s'arrêtait là, son nom serait tombé dans l'oubli comme ceux des autres personnes de bonne volonté qui ont fait preuve d'un égal dévouement à Castiglione, à Brescia, à Milan.

Mais Dunant ne peut oublier les blessés de Solférino. En 1861, il se retire à Genève ; durant une année, il étudie l'histoire de la campagne d'Italie et rédige un ouvrage qui fera date : Un Souvenir de Solférino .

Le livre se divise en deux parties : la première est une description de la bataille, récit épique digne de la plus brillante tradition de l'histoire militaire. Puis soudain, le ton change, c'est la face cachée de la guerre qui est mise à nu : c'est la « Chiesa Maggiore » où s'entassent blessés et mourants, les flaques de sang, l'odeur fétide, les nuages de mouches, les plaies béantes, les bouches difforme s, les cris, la douleur, l'abandon, l'épouvante, la mort.

Toutefois, Dunant ne se contente pas de peindre les horreurs de la guerre. Il conclut par deux questions, qui sont aussi deux appels :

« Mais pourquoi avoir raconté tant de scènes de douleur et de désolation, et avoir peut-être fait éprouver des émotions pénibles ? Pourquoi s'être étendu, comme avec complaisance, sur des tableaux lamentables, et les avoir retracés d'une manière qui peut paraître minutieuse et désespérante ?  

  A cette question toute naturelle, qu'il nous soit permis de répondre par une autre question : N'y aurait-il pas moyen, pendant une période de paix et de tranquillité, de constituer des Sociétés de secours dont le but serait de faire donner des soins aux blessés, en temps de guerre, par des volontaires zélés, dévoués et bien qualifiés pour une pareille oeuvre ? »

De cette première question est issue l'institution de la Croix-Rouge.

Mais il y a plus : pour que ces « volontaires zélés » puissent déployer une activité secourable à la suite des armées, il faut qu'ils soient reconnus et respectés; d'où le deuxième appel :

« Dans des occasions extraordinaires, comme celles qui réunissent, par exemple à Cologne ou à Châlons, des princes de l'art militaire, appartenant à des nationalités différentes, ne serait-il pas à souhaiter qu'ils profitent de cette espèce de congrès pour formuler quelque principe international, conventionnel et sacré, lequel une fois agréé et ratifié, servirait de base à des Sociétés de secours pour les blessés dans les divers pays de l'Europe ? »

Cette seconde interrogation est à l'origine de la Convention de Genève.

     
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Au soir d'une bataille

La fondation de la Croix-Rouge

De la fondation de la Croix-Rouge à la première Convention de Genève