Déclaration

Présidente du CICR : « Il est possible de protéger les civils en temps de guerre »

Les remarques suivantes ont été prononcées par la présidente du CICR, Mirjana Spoljaric, lors du débat public du Conseil de sécurité des Nations Unies sur la protection des civils dans les conflits armés, le 22 mai 2025.
President Mirjana Spoljaric speaks in the UN Security Council.

Monsieur le Président, 

Je ne reviendrai pas sur les souffrances effroyables infligées aux civils dans le cadre de violations massives du droit international humanitaire (DIH). Le Conseil de sécurité de l’ONU est informé, semaine après semaine, des atrocités commises : des civils sont mutilés et tués, tandis que d’autres sont placés en détention, torturés, violés, affamés et déplacés. 

Nous devons néanmoins nous poser la question suivante : où est le courage politique de mettre un terme à ce massacre ? 

Nous faisons face aujourd’hui à une crise qui concerne non seulement le respect des règles de la guerre, mais aussi notre conscience collective. Le précédent créé en ce moment même sur les champs de bataille nous hantera longtemps.

Rien ne saurait justifier la pratique du « deux poids, deux mesures ». Chaque État a une responsabilité à cet égard. 

En septembre 2024, lors de ma dernière intervention devant le Conseil de sécurité, je vous ai demandé de traduire votre soutien rhétorique au DIH en actes. Plus précisément, je vous ai demandé ceci : si vos alliés violent les règles de la guerre, parlez-leur et exigez qu’ils mettent fin à leurs agissements. Le moment est venu de le faire : parlez à vos alliés !

Personne ne souhaite vivre dans un monde où les règles de la guerre ne s’appliquent qu’à l’adversaire, et non à soi-même et à ses alliés. Les civils souffriront moins lorsque toutes les parties s’engageront à respecter les principes fondamentaux de l’humanité en temps de guerre.

Ignorer ces règles, c’est se précipiter vers un abîme moral et s’engager sur la voie du chaos et du désespoir infini.

C’est précisément ainsi que se propagent les conflits. Les effets d’une logique de « victoire totale » ou de la poursuite de la guerre « parce que nous le pouvons » se font sentir bien au-delà des zones de guerre. L’exercice illimité de la violence aggrave les menaces pour la sécurité, qui sont susceptibles de surgir au moment et à l’endroit où l’on s’y attend le moins.

Votre État n’est peut-être pas en guerre aujourd’hui. Votre famille est peut-être loin des lignes de front. Mais aucun contexte n’est figé. De nouveaux conflits éclatent. Et si vous ne défendez pas les règles de la guerre aujourd’hui, cela signifie que vous acceptez un monde où les guerres sont menées avec toujours plus de barbarie et de mépris pour notre humanité commune.

Le CICR dénombre aujourd’hui quelque 130 conflits armés dans le monde, soit davantage que l’an dernier et plus de six fois plus qu’il y a 25 ans.

Nombre de ces conflits s’enlisent dans la durée. 

Dans de nombreuses régions, les forces armées ou les groupes armés non étatiques constituent la seule source de revenu viable. Comment, dès lors, nourrir un espoir de stabilité, ou même seulement un espoir d’une croissance économique durable ? 

Et surtout, le monde d’aujourd’hui est plus interconnecté que jamais. Dans les conflits actuels, il n’est pas nécessaire d’appuyer sur la gâchette pour se rendre complice de leurs impacts.

Monsieur le Président,

Les Conventions de Genève ont été créées sur les ruines encore fumantes de la guerre, à la suite de génocides et de souffrances massives, afin d’inscrire dans la conscience collective le principe essentiel selon lequel les guerres doivent avoir des limites. Les horreurs commises contre les civils pendant la Seconde Guerre mondiale ont incité le monde à élargir le DIH en vue de protéger les populations civiles en temps de conflit armé.  

C’est ce qui a conduit à l’élaboration et à l’adoption de la quatrième Convention de Genève, qui prévoit des protections claires et précises pour les civils en période de conflit armé – des obligations auxquelles tous les États sont liés.

Le DIH interdit la torture, les violences sexuelles et la prise d’otages. Il exige que les hôpitaux, les habitations et les écoles soient épargnés par les hostilités. Il exige aussi que toutes les personnes capturées ou détenues dans le cadre d’un conflit soient traitées avec humanité. Il dispose en outre que les blessés et les malades doivent être pris en charge et que les civils ont le droit de recevoir une aide humanitaire. 

Le DIH reconnaît également la vulnérabilité des civils qui vivent dans un territoire occupé : ces personnes doivent avoir accès à la nourriture, à l’eau et aux soins médicaux. Il interdit les déportations et les transferts forcés hors du territoire occupé. Il précise que si les conditions de vie deviennent intenables, en raison d’opérations militaires aveugles ou de l’impossibilité d’accéder à la nourriture, à l’eau, aux soins médicaux et à un niveau minimal de sécurité, tout déplacement de la population civile doit être considéré comme involontaire.  

Protéger les civils signifie faire respecter ces dispositions. La pérennité de ces règles vitales ne peut être tenue pour acquise. Elles doivent être défendues et érigées en priorité. 

J’appelle le Conseil de sécurité à empêcher tout acte ou comportement qui pourrait suggérer que le DIH peut être ignoré, que l’aide vitale peut être refusée ou que l’action humanitaire fondée sur des principes peut être remplacée. Cela crée un précédent dangereux, d’autant plus que les conflits sont la première cause des besoins qui sont ignorés au moment même où je vous parle.

Monsieur le Président,

Le Conseil de sécurité a été créé pour promouvoir la paix et la sécurité internationales. Sa mission, qui consiste à trouver des voies pour désamorcer les tensions, réconcilier les parties et bâtir un monde plus stable et plus prospère, sera d’autant plus difficile à accomplir si nous tolérons que les règles soient bafouées en toute impunité.

La manière dont les guerres sont menées a une incidence sur la manière dont elles prennent fin. Le chemin vers la paix commence dans les cellules de prison. La paix implique en premier lieu de traiter les détenus avec dignité – la même dignité que chacun d’entre nous exigerait pour soi-même. Elle implique aussi avant tout de soigner les blessés, de rétablir les liens entre les familles séparées, d’assurer la fourniture d’une aide vitale et d’épargner les populations et les infrastructures civiles.

Un mouvement de plus en plus important se met en place pour défendre des règles universelles qui sauvent des vies. En septembre dernier, six États ont pris position et lancé, conjointement avec le CICR, une initiative mondiale visant à revitaliser l’engagement politique en faveur du DIH. À ce jour, 75 États se sont joints à cette initiative, et nous appelons tous les États à faire de même. C’est dans les heures les plus sombres que notre engagement à protéger les civils est le plus mis à l’épreuve, mais aussi le plus nécessaire.

Il est possible de protéger les civils en temps de guerre. 

Je vous remercie.