Source: Juan Duque / CICR Colombie

Une population civile en proie à la peur et au désespoir

En Colombie, les conflits armés et la violence continuent d’avoir des conséquences tragiques sur la population civile: personnes blessées, décédées ou disparues, familles dispersées, communautés confinées et déplacées, enfants et adolescents associés aux porteurs d’armes, souffrances psychologiques, peur, angoisse et incertitude permanente.
Article 22 mars 2023 Colombie

Dans différentes régions du pays, la population est en proie à une souffrance indescriptible, encore intensifiée lorsque les acteurs armés violent les règles de DIH et les principes humanitaires.

En 2022, nos équipes sur le terrain ont recensé 400 violations présumées du DIH et d'autres règles humanitaires*, dont plus de la moitié étaient liées aux comportements suivants: homicides, menaces, violences sexuelles, utilisation d'engins explosifs entraînant des effets indiscriminés, recrutement d'enfants et d'adolescents et participation de ceux-ci aux hostilités, privations de liberté arbitraires, et traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Des faits liés à la conduite des hostilités nous ont en outre été signalés, notamment le non-respect par les parties au conflit de leur obligation de prendre des précautions pour protéger la population et les biens de caractère civil contre les effets des hostilités.

La présence d'acteurs armés à proximité des villages et l'utilisation de biens de caractère civil à des fins militaires ont accentué la pression sur les habitants, qui craignent de se retrouver pris dans des tirs croisés ou que leurs espaces communautaires deviennent des objectifs militaires.

D'autres difficultés sont venues s'ajouter à cette situation complexe. L'année dernière, nous avons en effet recensé 515 victimes d'engins explosifs. Ce chiffre, le plus élevé depuis six ans, confirme la tendance observée depuis 2018: la problématique s'aggrave année après année, et avec elle l'ampleur de la tragédie humanitaire.

En 2022, nous avons documenté 348 cas de disparitions en lien avec les conflits armés et la violence qui se sont produits après la signature de l'accord de paix, dont 209 ont eu lieu l'année dernière. Ces données ne rendent pas compte du nombre total de cas enregistrés dans l'ensemble du pays, mais elles démontrent clairement qu'en Colombie, ce phénomène n'appartient pas au passé. 

Par ailleurs, selon les chiffres officiels, au moins 123 000 personnes ont été touchées par des déplacements individuels et 58 000 personnes par des déplacements massifs en 2022. Toutes ont dû fuir le ur foyer pour rester en vie.

En outre, 39 000 personnes ont été confinées en raison de l'intensification des affrontements armés et de la présence d'engins explosifs sur leur territoire. Parmi ces personnes, 64 % étaient des autochtones et 27 % étaient d'ascendance africaine.

Source: Suivi des événements présumés de déplacement massif et de confinement. Sous-direction de la prévention et de la prise en charge des urgences – UARIV

L'analyse de ces informations d'un point de vue territorial montre que la dynamique du confinement et du déplacement est demeurée stable dans certaines zones, tandis qu'elle a considérablement changé dans d'autres zones. Dans le premier cas de figure, on peut citer le Nariño et le Chocó, les deux départements les plus touchés, respectivement, par les déplacements massifs et les confinements ces quatre dernières années.

Un exemple de région ayant connu des changements considérables est le département d'Arauca. En effet, dans ce département, le nombre de confinements a décuplé par rapport à 2021 et le nombre de personnes touchées par un déplacement individuel est passé de 763 en 2021 à plus de 19 000 en 2022.

Les attaques contre les services de santé se sont également poursuivies l'année dernière ; les assassinats de personnels de santé et de patients, menaces, violences sexuelles, extorsions, blocages d'ambulances, ont été particulièrement graves dans les zones les plus touchées par les conflits armés et la violence. Certaines de ces attaques n'ont même pas été signalées officiellement, par peur de représailles.

Le phénomène du recrutement d'enfants et d'adolescents et de leur participation aux hostilités doit également être signalé. Nous sommes préoccupés par le fait que les acteurs armés étatiques et non étatiques continuent de faire participer les mineurs aux conflits armés, car les conséquences sur ces enfants et ces adolescents sont désastreuses : ils sont séparés de leur famille, renoncent à leurs projets de vie, souffrent de troubles psychologiques, sont victimes de violences sexuelles, sont blessés, mutilés ou tués.

L'absence d'environnement sûr, d'opportunités, d'accès à l'éducation, ainsi que le renforcement du contrôle social et de la présence de porteurs d'armes à proximité des lieux habités rendent les mineurs plus vulnérables à ce type de risques.

Par ailleurs, nous sommes préoccupées par la violence sexuelle qui demeure malheureusement présente dans le contexte des conflits armés. Ces actes de violence sont souvent utilisés par les porteurs d'armes comme une forme de représailles, pour provoquer la peur ou pour affermir leur pouvoir et détruire le tissu social des communautés. La violence sexuelle revêt différentes formes, comme le viol, le harcèlement sexuel ou la nudité forcée, et a des conséquences dévastatrices sur les victimes, leur famille et leur communauté.

Cependant, la majorité des victimes de violences sexuelles ne signalent pas les abus qu'elles ont subis, parce qu'elles ont peur d'une nouvelle agression ou ressentent de la culpabilité ou de la honte. Ces obstacles les empêchent de s'adresser au système étatique de prise en charge dans le délai prévu de 72 heures après leur agression, même si leur vie est en danger et qu'il s'agit d'une urgence médicale.

Tous ces éléments illustrent la complexité du contexte actuel, où la dynamique des conflits armés peut varier considérablement d'une région à une autre, de même que le comportement des porteurs d'armes et l'ampleur des conséquences humanitaires.

 En 2022, les conflits territoriaux se sont intensifiés dans plusieurs régions du pays, aggravant les problèmes existants et augmentant les risques pour la population civile. En effet, les communautés ont dû faire face non seulement aux conséquences directes des affrontements (confinement, déplacements massifs, présence d'engins explosifs, destruction de biens de caractère civil, entre autres), mais également à la pression de la part des acteurs armés qui, dans de nombreux cas, ont accusé les habitants d'appartenir ou d'apporter un soutien à une partie ou à une autre au seul motif qu'ils habitaient à cet endroit et se trouvaient au milieu des affrontements armés.

D'autres régions ont en revanche connu une baisse des affrontements entre l'État colombien et les groupes armés pendant quelques mois en fin d'année, ce qui a atténué les conséquences directes des hostilités et relâché la pression sur la population. La situation y est cependant restée compliquée pour les communautés, puisque les porteurs d'armes ont parfois maintenu leur contrôle social et que les conséquences humanitaires qui peuvent en résulter, telles que menaces, violations et autres types d'abus, ont perduré.

Selon notre classification juridique actuelle, fondée sur les critères fixés par le DIH, il existe en Colombie sept conflits armés non internationaux. Trois d'entre eux opposent l'État colombien et les groupes armés suivants: l'Armée de libération nationale (ELN), le group d'Autodéfense Gaïtanistes de la Colombie (AGC) et les anciennes structures des FARC-EP qui ont rejeté l'accord de paix.

Les quatre autres conflits se déroulent entre groupes armés: l'un entre l'ELN et les AGC, les trois restants entre les anciennes structures des FARC-EP qui ont rejeté l'accord de paix et le groupe Segunda Marquetalia, le groupe Comandos de la Frontera-EB et l'ELN, respectivement. Ce dernier conflit a été classé récemment comme tel après une analyse, menée durant ces deux dernières années, des hostilités entre les deux groupes et de leurs conséquences humanitaires.

Les dynamiques changeantes du point de vue territorial, la reconfiguration des groupes armés non étatiques, la détérioration de la situation humanitaire et la faible présence des institutions étatiques (historiquement surtout dans les zones les plus touchées par les conflits armés) mettent en évidence de nombreux défis sur le plan humanitaire et créent un cadre difficile en termes de conditions de vie et de sécurité pour la population civile.

Il est cependant important de préciser que les chiffres et l'analyse que nous livrons dans ce rapport reflètent la situation observée en 2022. Étant donné la dynamique actuelle en Colombie, ce tableau est susceptible de changer.

Classification des conflits armés

Pourquoi le CICR classifie-t-il les conflits armés ?

Le CICR classifie les conflits armés dans le seul but de mener à bien sa mission humanitaire. Il doit notamment s'acquitter de ses tâches conformément aux Convention de Genève, à leurs Protocoles additionnels et aux Statuts du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, encourager les parties à un conflit armé à respecter le DIH et apporter protection et assistance aux victimes de tels conflits.

Sur quels critères se fonde le CICR pour classifier un conflit armé non international ?

Le CICR se fonde sur le DIH, qui fixe deux critères pour qu'une situation de violence puisse être qualifiée de conflit armé non international : que les groupes armés montrent un niveau d'organisation suffisant, et que les hostilités entre les parties atteignent un niveau minimal d'intensité. Le CICR détermine si ces deux critères sont remplis sur la base d'une analyse technique et objective fondée sur des informations récoltées directement sur le terrain.

Le DIH tient-il compte de la motivation d'un groupe armé pour le qualifier de partie à un conflit armé non international ?

La motivation d'un groupe armé – qu'elle soit politique, économique, religieuse, ethnique ou autre - n'entre pas en ligne de compte pour déterminer si ce groupe est partie à un conflit non international, ni pour que le DIH s'applique. De plus, le fait que le DIH s'applique en raison de l'existence d'un conflit armé non international ne confère aucun statut spécial aux groupes armés ni à leurs membres. Dans ce sens, le DIH n'a pas vocation à permettre ni à interdire à un État de négocier avec des groupes armés.