Conflit interne ou autres situations de violence : quelle différence pour les victimes ?

10-12-2012 Interview

À partir de quel moment une situation de violence est-elle qualifiée de conflit armé ? Quelle différence cela fait-il pour les acteurs ou les victimes de cette violence ? L'enjeu est important : la qualification de la situation va déterminer les règles de droit applicables.

En cas de conflit armé non international, ou conflit interne, c’est le droit international humanitaire qui s’applique. Celui-ci vise à limiter les méthodes et moyens qui peuvent être utilisés pour faire la guerre, et à protéger les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités. 

Lors d'une situation de violence collective survenant dans un pays, le CICR évalue s’il s’agit d’un conflit armé sur la base de critères juridiques bien établis. Si ces critères sont remplis, cela lui permet de rappeler aux parties au conflit les règles de droit applicables.

Les hostilités qui ont éclaté début 2012 dans le nord du Mali entre des groupes armés et les forces armées maliennes, de même que celles qui opposent, en Syrie, des groupes armés aux forces gouvernementales syriennes, sont des exemples récents de conflits armés non internationaux.   

  

"Ceux qui prennent part à un conflit armé doivent notamment respecter les règles suivantes : interdiction de mener des attaques directes contre les civils et des attaques sans discrimination , obligation de respecter le principe de proportionnalité dans l’attaque et obligation de prendre toutes les précautions pratiquement possibles en vue d’épargner les civils. "

Interview

Qu’est-ce qu’un conflit armé non international ?

 

Kathleen Lawand est la cheffe sortante de l’unité du CICR chargée de formuler des recommandations sur le droit applicable aux conflits armés et autres situations de violence dans le cadre desquels l’institution mène des activités humanitaires. Elle répond à quelques questions récurrentes concernant la qualification juridique des conflits armés non internationaux.

Quand une situation de violence devient-elle un conflit armé non international et en quoi cette qualification est-elle importante ?

Un conflit armé non international (ou conflit armé « interne ») désigne une situation de violence dans laquelle des affrontements éclatent de manière prolongée entre les forces gouvernementales et un ou plusieurs groupes armés organisés, ou entre de tels groupes, sur le territoire d’un État.

Contrairement à un conflit armé international, qui oppose les forces armées de plusieurs États, un conflit armé non international compte au moins un groupe armé non étatique parmi les deux camps qui s’affrontent.

L’existence d’un conflit armé non international entraîne l’application du droit international humanitaire (DIH), également appelé droit des conflits armés, qui fixe les limites que les parties doivent respecter dans la conduite des hostilités et octroie une protection à toutes les personnes touchées par le conflit. Le DIH impose des obligations égales aux deux parties au conflit, sans pour autant conférer un statut juridique aux groupes d’opposition armés impliqués.

Quels critères doivent être remplis pour pouvoir parler de conflit armé ?

Aux termes du DIH, deux critères doivent être remplis pour qu’il y ait conflit armé non international : les groupes armés impliqués doivent montrer un degré minimum d’organisation, et les confrontations armées doivent atteindre un certain niveau d’intensité. Une analyse au cas par cas doit être effectuée pour déterminer si ces critères sont remplis, sur la base de plusieurs indicateurs concrets.

Le niveau d’intensité de la violence est déterminé au regard d’indicateurs tels que la durée et la gravité des affrontements armés, le type de forces gouvernementales intervenant, le nombre de combattants et de troupes impliqués, les types d’armes utilisés, le nombre de victimes et l’étendue des dommages causés par les combats. Le degré d’organisation du groupe armé est évalué sur la base de facteurs comme l’existence d’une chaîne de commandement, la capacité de donner et de faire exécuter des ordres, la capacité de planifier et de lancer des opérations militaires coordonnées, et la capacité de recruter, former et équiper de nouveaux combattants. Je souligne que la motivation d’un groupe armé n’entre aucunement en ligne de compte.

Un conflit armé non international est à distinguer des formes moins graves de violence collective telles que troubles civils, émeutes, actes isolés de terrorisme ou autres actes sporadiques de violence.

Quelle est la différence entre un conflit armé non international et une « guerre civile » ?

Il n’y a pas véritablement de différence. Le terme de « guerre civile » en tant que tel n’a pas de signification juridique. Il est employé par certains pour désigner un conflit armé non international. L’article 3 commun aux Conventions de Genève – dit « commun » parce qu’il est identique dans les quatre Conventions – n’emploie pas ce terme de « guerre civile », renvoyant plutôt à la notion de « conflit armé ne présentant pas un caractère international ».

Le CICR évite généralement d’employer le terme de « guerre civile » lorsqu’il communique publiquement ou avec les parties à un conflit armé, et parle de conflits armés « non internationaux » ou « internes », car ces expressions reflètent les termes de l’article 3 commun.

Quels traités et quelles règles les parties à un conflit armé non international doivent-elles respecter ?

Les parties à un conflit armé non international doivent au minimum se conformer à l’article 3 commun aux Conventions de Genève et aux règles du DIH coutumier. Ces règles garantissent un traitement humain à toute personne qui tombe au pouvoir de l’ennemi, et disposent que les personnes blessées pendant les hostilités, y compris les combattants ennemis blessés, doivent être recueillies et soignées sans discrimination.

L’éclatement d’un conflit armé a d’importantes conséquences au niveau des obligations juridiques qui incombent aux parties, en particulier en ce qui concerne l’usage de la force. En effet, le DIH autorise le recours à une force de plus grande intensité dans les conflits armés que dans les autres situations de violence, ce bien sûr contre des cibles légitimes et dans des limites strictes destinées à protéger les civils.

Les parties à un conflit armé doivent notamment respecter les règles suivantes dans la conduite des hostilités : l’interdiction de mener des attaques directes contre les civils ; l’interdiction de mener des attaques sans discrimination ; l’obligation de respecter le principe de proportionnalité dans l’attaque ; et l’obligation de prendre toutes les précautions pratiquement possibles dans la planification et l’exécution des opérations militaires en vue d’épargner les civils.

Que se passe-t-il si les parties à un conflit armé non international ne respectent pas les obligations qui leur incombent au titre du DIH ?

Toute personne qui participe à un conflit armé doit respecter le DIH et veiller à ce qu’il soit respecté par toutes les personnes agissant sous ses instructions, ou sous ses directives ou sous son contrôle. Il faut souligner que toute partie doit respecter le DIH, même si la partie adverse ne le fait pas ; en d’autres termes, l’obligation de respecter le DIH ne repose pas sur la réciprocité.

S’agissant des graves violations du DIH se produisant dans des conflits armés non internationaux – appelées également crimes de guerre –, les États doivent engager des poursuites pénales à l’encontre des personnes soupçonnées d’avoir commis de tels actes. Sous certaines conditions, les criminels de guerre présumés peuvent également être traduits devant la Cour pénale internationale.

Je devrais souligner que le CICR, conformément au statut spécial que lui confère le droit international et en sa qualité d’institution humanitaire neutre et indépendante, n’intervient d’aucune façon dans les enquêtes et procédures pénales relatives aux crimes de guerre, qui relèvent de la seule responsabilité des États.

Dans un conflit armé non international, les combattants ennemis capturés sont-ils considérés comme des prisonniers de guerre ?

Non. Le terme de « prisonnier de guerre » renvoie à un statut spécial octroyé par la troisième Convention de Genève aux soldats (« combattants ») ennemis capturés dans des conflits armés internationaux uniquement. Les prisonniers de guerre ne peuvent pas être poursuivis pour des actes licites en vertu du DIH (comme avoir attaqué les forces ennemies). À l’inverse, dans un conflit armé non international, le DIH n’interdit pas de poursuivre les combattants rebelles capturés pour le simple fait d’avoir pris les armes, bien qu’il encourage les gouvernements à accorder l’amnistie la plus large possible au terme d’un conflit armé, sauf pour les personnes soupçonnées ou accusées de crimes de guerre, ou ayant été condamnées pour crimes de guerre.

Le fait que des groupes armés puissent être parties à un conflit armé ne leur donne-t-il pas à tort une forme de légitimité ?

Comme cela est rappelé dans l’article 3 commun aux Conventions de Genève, le simple fait qu’un groupe armé – qu’il soit dit « criminel », « de libération », « terroriste » ou autre – soit partie à un conflit armé ne lui confère aucun statut particulier au titre du DIH. Cela lui crée par contre des obligations juridiques, comme à toute partie à un conflit armé, plus particulièrement l’obligation de veiller à ce que ses membres respectent le DIH en tout temps.

L’application du DIH ne porte en aucun cas atteinte à la souveraineté d’un État ou au droit d’un gouvernement de réprimer une rébellion par la force armée et de poursuivre les insurgés selon la législation nationale.

Le droit international humanitaire a pour seul objectif de limiter le plus possible les souffrances causées par les conflits armés. Il réglemente uniquement la manière dont les hostilités sont conduites et non pas les motifs  pour lesquels elles ont lieu. Dans les conflits armés internes en particulier, le DIH impose des obligations à chaque partie belligérante, quel que soit son statut juridique – cette question est régie par d’autres branches du droit.

En vertu de quelle autorité le CICR détermine-t-il si une situation de violence constitue un conflit armé ?

Pour s’acquitter de son mandat humanitaire dans une situation de violence donnée, le CICR évalue s’il s’agit ou non d’un conflit armé, ce qui lui permet de rappeler les règles applicables dans le cadre du dialogue qu’il entretient avec les personnes participant à la violence.

Bien que la qualification juridique d’une situation de violence par le CICR ne soit pas contraignante pour les États, le mandat spécifique conféré à l’institution par les Conventions de Genève et le rôle historique joué par celle-ci dans l’élaboration du DIH donnent un poids tout particulier à ses qualifications, que les États doivent prendre en compte de bonne foi.

Comment le CICR détermine-t-il si une situation de violence constitue un conflit armé ?

Le CICR analyse très soigneusement les situations de violence concernées afin de déterminer le cadre juridique applicable. Il effectue sa propre évaluation indépendante, s’appuyant de préférence sur les informations de première main collectées par ses délégations sur le terrain ou, faute d’informations de ce type, sur des sources crédibles et fiables de seconde main.

Lorsqu’il détermine qu’il y a conflit armé, comment le CICR communique-t-il sa qualification ?

En principe, une fois qu’il a conclu qu’une situation de violence atteint le seuil du conflit armé, le CICR va en premier lieu et dès que possible communiquer son appréciation juridique aux parties au conflit, sur une base bilatérale et dans la stricte confidentialité. Ce faisant, il vise à initier le dialogue avec chacune des parties sur les mesures qu’elles prennent pour respecter le DIH. Dans un deuxième temps, l’institution communiquera publiquement sa qualification. Dans des cas exceptionnels, le CICR peut décider de ne pas communiquer immédiatement sa qualification aux parties ou au public, par exemple dans les situations d’urgence où les besoins humanitaires sont énormes et où la priorité est d’accéder à la population pour lui porter assistance.