Déclaration

Mirjana Spoljaric, présidente du CICR : « Le droit international humanitaire n’est efficace que dans la mesure où les dirigeants ont la volonté de l’appliquer »

The ICRC president in the 11th HRH Princess Maha Chakri Sirindhorn Lecture on IHL.

Discours prononcé par Mirjana Spoljaric, présidente du Comité international de la Croix‑Rouge, le 18 août 2025 à Bangkok (Thaïlande), à l’occasion de la 11e conférence sur le droit international humanitaire organisé par Son Altesse Royale la princesse Maha Chakri Sirindhorn. 

Votre Altesse Royale,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
C’est pour moi un grand honneur d’être présente parmi vous aujourd’hui. Je tiens tout d’abord à exprimer ma sincère gratitude à son Altesse Royale la princesse Sirindhorn pour son aimable invitation à prendre la parole à l’occasion de cet événement.
En temps de crise, les efforts entrepris par la Croix Rouge thaïlandaise pour fournir une assistance humanitaire sont admirables et je souhaite saluer votre engagement. Nous collaborons et travaillons ensemble depuis des années afin de répondre aux urgences et améliorer la protection des civils dans des situations de conflit armé. 
Je remercie également son Altesse Royale ainsi que le ministère des Affaires étrangères et la Croix Rouge thaïlandaise d’avoir mis en place et de soutenir une des structures les plus anciennes de sensibilisation aux règles de la guerre. 
En effet, depuis plus de 20 ans, cette série de conférences n’a eu de cesse de promouvoir le DIH, d’encourager le dialogue entre les experts internationaux et la société thaïlandaise, et de défendre les valeurs humanitaires inscrites dans les Conventions de Genève.

Le droit international humanitaire se renforce au fur et à mesure que le public se rend compte de son importance et selon le poids politique qu’un gouvernement lui prête. 

Les séries de conférences comme celle-ci jouent un rôle important en conservant la valeur protectrice des règles de guerre ancrée dans notre conscience collective. Il est essentiel de se concentrer sur les Conventions de Genève à une époque où les guerres sont plus présentes, et où le droit international et les traités multilatéraux sont mis à rude épreuve.

Nous ne pouvons continuer d’ignorer cette réalité : nous vivons une période définie par la guerre. 

Le CICR recense actuellement 130 conflits armés environ, soit davantage que ce que nous avions enregistré l’année dernière, et bien plus que pendant les décennies précédentes. 

Bien que le nombre de pays en proie à un conflit armé reste relativement stable, on assiste à une hausse des conflits simultanés ou des conflits qui se sont récemment intensifiés au sein de ces pays. Beaucoup se prolongent et durent souvent plusieurs générations. 

Les guerres actuelles se caractérisent également par des alliances militaires, une fragmentation des groupes armés et des millions de civils vivant sous le contrôle de groupes armés non étatiques.

On assiste surtout à une augmentation du nombre de conflits entre États, à des bouleversements politiques, des alliances qui se brouillent et des avancées technologiques rapides qui, ensemble, augmentent le risque de conflit aux conséquences humanitaires catastrophiques. 

À l’heure où les guerres se multiplient et les divisions géopolitiques se creusent, le respect du DIH est en crise et, avec lui, l’humanité tout entière. Les conflits armés représentent désormais la première source de besoins en assistance humanitaire. Pourtant, une grande partie de ces souffrances aurait pu être évitée si les règles de la guerre avaient été davantage respectées. 

Le CICR est présent sur les lignes de front du monde entier. Nous connaissons bien la guerre et sommes chaque jour témoins des traces qu’elle laisse sur les personnes, les familles et les communautés. 

Au Myanmar, la situation humanitaire reste critique après plusieurs décennies de combats, aggravés par un tremblement de terre dévastateur en mars de cette année. Les hostilités se poursuivent et, à certains endroits, se sont intensifiées, alors que les restrictions à la circulation des biens et des personnes continuent de limiter l’accès de nombreuses communautés, comme celles de Rakhine, aux services essentiels.

À Gaza, aucun lieu n’est sûr. Ce que nous y voyons dépasse tout principe juridique ou moral acceptable. Des civils sont tués ou blessés dans leur maison, dans les lits d’hôpitaux, ou alors qu’ils cherchent de l’eau et de la nourriture. Des enfants meurent car il n’y a plus assez de nourriture. La totalité du territoire est devenue un champ de ruines. Des opérations militaires menées sans discernement et des restrictions extrêmes imposées à l’aide humanitaire ont rendu la situation invivable et dénuée de toute dignité humaine. D’autre part, des otages restent en captivité alors que le droit international humanitaire interdit clairement les prises d’otages. 

Dans le cadre du conflit armé international entre la Russie et l’Ukraine, des attaques de drones et de missiles à large échelle tuent et blessent des civils loin des lignes de front. Des infrastructures essentielles sont détruites. À la fin du mois de juillet, plus de 146 000 cas de disparition – qu’il s’agisse de militaires ou de civils – avaient été déclarés auprès du CICR, un chiffre alarmant qui montre bien les conséquences psychologiques et affectives de cette guerre. 

Au Soudan, les civils vivent un cauchemar où se mêlent sans fin mort, destruction et déplacement. La violence sexuelle est omniprésente et entraîne des traumatismes qui dureront plusieurs générations. Des attaques directes contre des infrastructures essentielles comme les hôpitaux, les stations hydrauliques et les centrales électriques aggravent encore les effets dévastateurs de ce conflit sur les civils. Les déplacements sont en forte hausse, à l’intérieur du pays comme dans les pays frontaliers, augmentant ainsi le risque de déstabiliser la région tout entière.

Après presque quarante ans de guerre en Afghanistan, des civils continuent d’être victimes de mines, de munitions non explosées et d’engins explosifs improvisés abandonnés. Ces armes représentent une menace mortelle pour les communautés, alors même que des centaines de milliers de personnes rentrent chez elles après avoir fui les violences. Les enfants marchent dessus sans le savoir, ou les ramassent. L’année dernière, plus de 400 enfants ont été blessés ou tués par ces armes. Le CICR a aidé près de 7 000 survivants de mines terrestres – un travail qui met en relief les conséquences désastreuses de ces mines qui bouleversent le cours de l’existence.

La situation en Syrie illustre bien l’un des effets les plus douloureux et durables d’un conflit prolongé : les disparitions. Dans ce pays, le CICR a enregistré plus de 36 000 disparus, un chiffre qui représente sûrement une infime partie du nombre réel de disparitions. Si le CICR avait pu avoir accès à tous les lieux de détention pendant le conflit, de nombreux cas auraient été résolus ou même évités. Par ailleurs, encore aujourd’hui, l’approvisionnement en eau et en électricité est au bord de l’effondrement. Les violences récentes qui ont eu lieu le long de la côte et dans le sud du pays montrent que la voie vers la paix reste fragile – et que des affrontements peuvent rapidement éclater.

L'ampleur des souffrances humaines – à Gaza, au Myanmar, en Ukraine, au Soudan, en Afghanistan, en Syrie et dans des dizaines d’autres pays du monde – ne doit jamais être considérée comme inévitable. Il ne s’agit pas là d’effets secondaires regrettables de la guerre mais de conséquences liées au non-respect flagrant du droit international humanitaire.  

Lorsque les guerres sont menées dans un esprit de « victoire totale » ou « parce qu’on peut le faire », un laxisme dangereux s’installe et le droit est alors déformé pour justifier les massacres plutôt que les prévenir. Les Conventions de Genève ont justement été créées pour éviter les souffrances et les morts absurdes.
 

Lorsque des hostilités sont menées de façon indiscriminée et que la violence n’est pas contrôlée, les conséquences sont catastrophiques. La mort et la destruction deviennent alors la norme, et non l’exception.

Dans un monde fortement interconnecté, la violence gratuite reste rarement confinée au seul champ de bataille. Elle se propage. Quand le monde tolère qu’une agression sans retenue ait lieu, il donne à d’autres acteurs – des militaires, des groupes armés non étatiques et leurs alliés – l’indication qu’un tel comportement est acceptable ailleurs.

Alors qu’on assiste à une escalade des conflits, l’arsenalisation de l’information prend elle aussi de l’ampleur. Aujourd’hui, les guerres se mènent non seulement sur le terrain mais également dans la sphère numérique, où des discours toxiques et des propos incendiaires exacerbent les tensions et justifient des actes violents. 

Tout au long de l’histoire, des événements horribles se sont produits sur la base d’un élément commun : la déshumanisation. Dénier l’humanité de l’autre permet toujours de créer un environnement où la torture, les violences et les exécutions sont normalisées. 

Un animal humain, ça n’existe pas. Aucune personne ni aucun territoire ne devrait jamais être rayé de la surface de la Terre. 

Dans un monde de plus en plus influencé par les algorithmes, la vitesse à laquelle ces discours toxiques se propagent est sans précédent, avec des conséquences dangereuses dans le monde réel. 

Nous sommes témoins de la façon dont des paroles génocidaires se transforment sur le terrain en actes effroyables. 

La haine virulente contenue dans ce type de langage fait disparaître toute notion d’empathie, offrant ainsi un terreau fertile à la perpétration d’atrocités. Elle rend la brutalité acceptable ou, pire encore, inévitable en apparence. 

Mesdames et Messieurs,

Nous vivons une époque où le monde n’est pas seulement en guerre mais se prépare aussi à plus de guerres. Les dépenses militaires mondiales n’ont jamais été aussi élevées. Dans toutes les régions, les États investissent dans les armes, modernisent leurs forces armées et se réarment avec un sentiment de fatalité. 

En ma qualité de présidente d’une organisation dont le mandat est de faire face aux conséquences effroyables d’un conflit armé, ma première responsabilité est d’encourager les États à apaiser les tensions et à ne pas conduire le monde vers une guerre sans limite. 

Je me dois également de rappeler aux États qu’une préparation responsable aux conflits ne se mesure pas uniquement à la puissance de feu mais exige d’investir durablement dans le droit international humanitaire en temps de paix pour garantir son respect en temps de guerre.

La récente escalade de la violence entre la Thaïlande et le Cambodge montre que ce type de préparation est très important et que les hostilités peuvent très rapidement avoir des conséquences humanitaires sur la population civile. 

Il s’agit notamment de former le personnel militaire aux principes clés du DIH liés à la protection des civils dans la conduite des hostilités, ou au traitement des détenus, entre autres. Il s’agit également de procéder à une planification détaillée des opérations et d’adopter des règles d’engagement concernant certaines obligations énoncées dans les Conventions de Genève – en particulier en cas de conflit international entre des États.

Les obligations en vertu du DIH en temps de guerre sont strictes. Les États doivent non seulement les comprendre mais également préparer les systèmes et l’infrastructure nécessaires à leur mise en pratique rapide si une guerre venait à éclater.

Par exemple, dans des conflits internationaux armés, les prisonniers de guerre et les internés civils bénéficient d’une protection spéciale en vertu des troisième et quatrième Conventions de Genève. Les États doivent adopter un plan concernant la mise en place de camps d’internement – et non d’établissements pénitentiaires ou de centres de détention – qui remplissent les conditions minimums en matière d’hébergement, d’hygiène, de nourriture, d’eau et de soins médicaux. 

Il s’agit notamment de prévoir des installations séparées pour les hommes et les femmes, et pour les mineurs et les adultes, sauf s’il s’agit de membres d’une même famille. En vertu du DIH, toutes les personnes détenues ou internées dans le cadre d’un conflit armé international doivent être autorisées à recevoir la visite du CICR afin d’observer leurs conditions de vie et le traitement qui leur est réservé, et de les aider à rester en contact avec leurs proches. 

Les personnes protégées qui sont tombées aux mains de l’ennemi doivent pouvoir rester en contact avec leurs familles. Elles ne sont internées que jusqu’à la fin des hostilités actives, après quoi elles doivent pouvoir rentrer chez elles. C’est là qu’une exigence essentielle du DIH entre en jeu : la création de bureaux nationaux

Dans le cadre des conflits armés internationaux, les Conventions de Genève demandent explicitement aux États d’établir des bureaux nationaux de renseignements afin de suivre et de transmettre des informations sur les personnes protégées. 

Les bureaux doivent partager des informations sur les personnes internées, détenues, malades, décédées ou disparues avec l’Agence centrale de recherche (ACR), permettant ainsi au CICR de transmettre ces renseignements « au camp adverse », puis aux familles. Pour les prisonniers de guerre et les internés civils, la puissance détentrice doit préparer des cartes de capture et les transmettre à l’ACR et aux familles. 

Il ne s’agit pas là de systèmes pouvant être improvisés une fois que la guerre a commencé. Des cartes de capture aux activités de suivi des blessés, des malades et des morts, les bureaux nationaux de renseignement couvrent des fonctions complexes de gestion des informations qui doivent être planifiées en temps de paix. Tout retard dans leur mise en place risque non seulement d’aboutir au non-respect du DIH mais également d’avoir de réelles conséquences humaines, à savoir des personnes disparues et qui restent introuvables.

Ces bureaux sont également essentiels pour lever les obstacles à la paix et la réconciliation, rechercher les disparus et fournir des informations pouvant être utilisées pour organiser le rapatriement des prisonniers de guerre et des militaires morts au combat. 

La préparation aux conflits armés internationaux et non‑internationaux doit également comporter des mesures permettant d’atténuer les préjudices subis par les civils au vu des risques que posent les hostilités de grande ampleur et à haute intensité. Par exemple, les installations militaires devraient se trouver le plus loin possible de toute infrastructure civile afin de respecter le principe de distinction entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires, et réduire les risques de causer incidemment des dommages civils.

Dans le cas de guerres à l’intérieur d’un État, les systèmes nationaux de santé doivent être prêts à accueillir un grand nombre de blessés de guerre et à traiter des blessures liées au conflit tout en continuant à assurer les soins de santé courants. 

Les capacités médicolégales et celles des morgues doivent être renforcées afin de s’assurer que les dépouilles sont identifiées et traitées avec dignité, et d’éviter ainsi les disparitions. 

Nous savons que les forces armées se préparent aux opérations militaires mais les États doivent également se préparer aux conséquences humanitaires des conflits. Cela commence en investissant davantage dans l’application du DIH – non pas une fois que les combats auront commencé, mais maintenant. 

Le droit international humanitaire n’est pas un concept abstrait que les juristes exposent dans le détail lors de conférences. C’est un droit qui se rapporte directement à la paix et la sécurité nationales comme internationales.

Si vous investissez dans la défense, vous devez également prévoir un budget pour le droit international humanitaire. 

Mesdames, Messieurs,

Nous sommes en train d’assister à un bouleversement dans la façon dont les guerres sont menées. Alors que les États s’affrontent dans une course aux armements du 21e siècle, il est essentiel de poser la question suivante : comment le DIH s’applique-t-il à ces nouvelles technologies et de quoi les États doivent-ils tenir compte alors qu’ils investissent dans de nouveaux systèmes d’armes ? 

Bon marchés et évolutifs, les drones sont en passe de devenir l’une des armes les plus caractéristiques des guerres actuelles. Leur utilisation généralisée transforme les lignes de front et révolutionne les champs de bataille, de l’Ukraine et de la Russie à Gaza, au Soudan, au Myanmar et au Yémen. 

Ces drones ont causé de nombreuses pertes civiles dans le cadre de plusieurs conflits, et instillent une peur constante au sein des communautés. Alors qu’ils relevaient autrefois exclusivement des grandes puissances militaires, les drones de combat sont désormais produits en masse à un coût très inférieur à celui des forces aériennes traditionnelles, les rendant ainsi plus accessibles. 

Le DIH n’interdit pas les drones mais, comme toute autre arme, ceux‑ci doivent être utilisés dans le strict respect des règles de la guerre. Les systèmes analogues à faible résolution et le manque de formation des pilotes – surtout lorsqu’il s’agit de drones peu coûteux à vue subjective – soulèvent de vives inquiétudes quant à la capacité d’opérer une distinction entre cibles militaires et installations civiles.

La distance n’efface pas les responsabilités. Les pilotes de drone et leurs commandants restent juridiquement responsables des conséquences de leurs actions, au même titre que tout autre combattant. 

Sans réglementation plus stricte ni obligation de rendre des comptes, la course aux armements de drones va s’intensifier. De plus en plus d’acteurs vont utiliser davantage de drones, avec moins de garanties, et les conséquences humanitaires vont se multiplier. 

Alors que les drones deviennent de plus en plus autonomes, ils rejoignent une autre catégorie d’armes tout aussi inquiétante : les systèmes d’armes autonomes

Ces armes sont capables de sélectionner des cibles et d’utiliser la force sans aucune intervention humaine une fois activées, soulevant d’importantes questions d’ordre humanitaire, juridique, éthique et sécuritaire.

Les décisions de vie ou de mort ne doivent jamais être déléguées à des senseurs et des algorithmes. Il est essentiel de garder un contrôle humain sur l’utilisation de la force si l’on veut conserver le principe de responsabilisation dans la guerre. Les machines ayant le pouvoir de tuer sans implication humaine devraient être interdites en vertu du droit international. 

Les systèmes d’armes autonomes dont le fonctionnement peut entraîner des effets imprévisibles devraient également être interdites. Par exemple, autoriser des armes autonomes contrôlées par des algorithmes d’apprentissage automatique (le logiciel se programme tout seul, sans surveillance humaine) est une proposition dangereuse qui est inacceptable. Il est également nécessaire d’appliquer des restrictions claires à tout autre type d’armes autonomes afin d’assurer le respect du droit international. 

Il est essentiel d’élaborer un nouvel instrument juridiquement contraignant qui met en place des interdictions et des restrictions claires. Sans cela, nous risquons de condamner les nouvelles générations à vivre dans un monde où les machines décident de la vie ou de la mort, et où l’obligation de rendre des comptes et sérieusement réduite. 

Nous vivons également une époque où le champ de bataille n’est pas seulement physique mais également numérique. Des cyberopérations sont déjà menées pour dérégler le réseau électrique, l’approvisionnement en eau, le fonctionnement des hôpitaux et d’autres infrastructures civiles – souvent loin des lignes de front. Même si ces attaques ne laissent pas derrière elles des champs de ruines ou des blessures visibles, elles peuvent priver les civils des services essentiels nécessaires à leur survie et compromettre l’assistance à ceux qui en ont besoin. Elles peuvent également empêcher des civils d’accéder à des informations primordiales pour leur protection et leur sécurité. 

Le DIH s’applique aux cyberopérations autant qu’aux autres moyens et méthodes de guerre conventionnels. Les principes de distinction, de proportionnalité et de précaution sont contraignants, que ce soit dans le cyberespace ou sur terre, en mer ou dans les airs. 

La protection des civils doit être intégrée dans la cyberguerre. Cela signifie que les belligérants doivent garantir le contrôle humain de ces opérations, s’abstenir de mener de cyberattaques à l’encontre d’infrastructures civiles et réduire au minimum les dommages prévisibles infligés aux civils et aux systèmes civils. 

Le droit international humanitaire s’applique également à toute opération militaire dans l’espace liée à un conflit armé. 

Neutraliser ou détruire des satellites peut avoir de graves conséquences humanitaires. Les satellites qui fournissent des systèmes de navigation ou de télédétection et les satellites de télécommunication sont devenus indispensables au bon fonctionnement de la vie quotidienne. 

Les organisations humanitaires dépendent également de ces services satellitaires pour atteindre les personnes dans le besoin pendant un conflit armé ou une catastrophe naturelle. Sans ces services, il devient encore plus difficile de fournir une assistance vitale et d’aider les communautés à se rétablir.

De même que les États doivent s’assurer que les nouvelles technologies d’armement sont conformes au droit international humanitaire, ils ne doivent pas se soustraire à leurs responsabilités s’agissant des armes classiques

La mise en œuvre du DIH et la protection des civils ne s’appliquent pas uniquement aux zones de conflit actif. Elles entrent également en ligne de compte lorsque les États choisissent le type d’armes qu’ils produisent, stockent ou interdisent. 

Aujourd’hui, l’engagement pris par la communauté internationale pour interdire les mines antipersonnel commence à se fissurer, plusieurs pays qui plaidaient auparavant en faveur du désarmement prenant désormais des mesures visant à se retirer de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel. Ce retrait n’est pas uniquement un acte juridique sur papier : il risque aussi de mettre des vies en danger et d’annuler des décennies de progrès humanitaires obtenus de haute lutte.

La plupart des membres de l’ASEAN sont parties au traité sur l’interdiction des mines. Lorsque la Thaïlande a adhéré à ce traité à la fin des années 1990, le gouvernement thaïlandais a créé la Commission nationale de lutte contre les mines terrestres, qui a permis au pays de détruire en un an plus de 10 000 mines antipersonnel. Des équipes de démineurs ont été également mobilisées pour nettoyer les terres contaminées, réduisant fortement le coût humain des mines, qui est passé de 350 victimes entre 1999 et 2001 à juste 24 en 2011. 

On commémore ce mois-ci le 80e anniversaire des bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki – une catastrophe qui, aujourd’hui encore, continue d’infliger des souffrances morales et physiques aux survivants. 

Il est terrifiant de savoir que les armes nucléaires actuelles sont beaucoup plus puissantes que celles qui ont rasé les villes d’Hiroshima et de Nagasaki en quelques secondes il y a 80 ans. Celle qui a détruit Hiroshima serait aujourd’hui considérée comme une arme nucléaire de petit calibre. 

Pourtant, il n’existe pas d’arme nucléaire de petit calibre. Tout recours aux armes nucléaires serait un échec catastrophique de l’humanité et imposerait un niveau de souffrance et de destruction qu’aucune assistance humanitaire ne pourrait soulager. Il est extrêmement improbable que leur emploi puisse un jour être conforme au DIH.

Pourtant, les arsenaux nucléaires continuent de s’agrandir, de même que les menaces fréquentes et désinvoltes d’en faire usage. Heureusement, le nombre d’États parties au Traité d’interdiction des armes nucléaires ne cesse d’augmenter : on compte aujourd’hui 73 États parties au traité et 25 signataires, parmi eux des États membres de l’ASEAN, dont la Thaïlande.

Mesdames et Messieurs,

Je vous pose la question : que se passera-t-il dans nos sociétés – et dans le monde entier – si nous nous laissons aveugler par la croyance que seule la force fait loi ? Si nous ignorons les principes de droit et cherchons la victoire à tout prix ?

Le DIH n’a pas été créé pour éviter la guerre, mais pour éviter la barbarie de la guerre. 

C’est une distinction importante car le DIH reconnaît la réalité du conflit armé tout en insistant sur le fait que, même en temps de guerre, l’humanité doit prévaloir – dans la façon dont les blessés sont soignés, les civils sont protégés et les prisonniers sont traités. 

Protéger les hôpitaux en les considérant comme un refuge pour les blessés n’est pas un signe de faiblesse.

Mettre les populations civiles à l’abri du conflit n’est pas un signe de faiblesse. 

Permettre à l’aide vitale d’atteindre ceux qui en ont besoin n’est pas un signe de faiblesse.

Traité les détenus avec dignité n’est pas un signe de faiblesse. 

C’est une force. 

Car il faut de la force pour faire preuve de retenue dans le chaos de la guerre. Pour résister à la pulsion de vengeance et ne pas agir en représailles. Pour préserver notre humanité à tous lorsque le conflit menace de la détruire. 

Le respect du DIH, c’est le pouvoir de convaincre en action.

Il ne faut pas sous-estimer son influence. 

Lorsqu’un État respecte le DIH, il renforce sa réputation au niveau international. Les États qui défendent avec vigueur les règles de la guerre élargissent souvent leur influence diplomatique du fait de leur autorité morale. 

Les parties à un conflit qui ne tiennent pas compte du droit international humanitaire le font au détriment de leur légitimité. Les traces de leurs exactions subsistent longtemps après que les armes se sont tues. Cela complique le relèvement après un conflit, la reconstruction économique et la coopération internationale – et offre un terreau propice au retour de la violence et aux menaces sécuritaires. 

Il est possible de protéger les civils pendant la guerre.

Lorsque les combattants respectent les règles de la guerre – lors qu’ils épargnent des civils, protègent des infrastructures essentielles et prennent soin des blessés – ils réduisent les coûts à long terme du conflit. Ils rendent possible le relèvement après-conflit. Ils préservent le tissu social nécessaire au retour de la paix.

En ma qualité de présidente du CICR, je suis témoin du pire de l’humanité mais également des actes de compassion, qui peuvent se produire même dans les circonstances les plus sombres. 

  • À Gaza, depuis octobre 2023, le CICR a facilité la libération de 148 otages et de plus de 1 700 détenus qui ont pu retrouver leurs proches en Israël, dans le territoire palestinien occupé et au-delà. Parmi eux, cinq otages thaïlandais ont été libérés en janvier. Ces opérations, qui ont eu lieu dans le cadre d’accords entre le Hamas et Israël, ont été extrêmement complexes et ont demandé une planification méticuleuse afin de pouvoir les mener en toute sécurité.
  • Au Myanmar, les délégués du CICR visitent des lieux de détention afin d’observer les conditions de vie et le traitement des détenus, et les aider à rester en contact avec leur famille. Des milliers de détenus ont déjà reçu la visite du CICR cette année.
  • Le CICR a aidé plus de 2000 prisonniers détenus en relation avec le conflit au Yémen à être libérés et à retourner chez eux. Ce travail a demandé des préparations logistiques importantes et l’organisation de dizaines de vols vers plusieurs régions du Yémen et d’Arabie saoudite.
  • Le CICR a aidé la Russie et l’Ukraine à rapatrier les dépouilles de soldats morts au combat plus de 50 fois – et plus récemment, en juin dernier, en menant une opération longue et complexe. Ce travail est essentiel pour que les familles trouvent des réponses quant au sort de leur proche et puissent faire leur deuil avec dignité.
  • Cette année, en République démocratique du Congo, le CICR a participé au transport de plus de 1 300 membres désarmés des forces gouvernementales du pays et leurs familles, de Goma à Kinshasa. Cette opération a duré plus de deux semaines, sur un parcours de presque 2 000 kilomètres à travers une ligne de front. Puis, en juillet, la RDC etl’Alliance Fleuve Congo/Mouvement M23 ont signé une déclaration par laquelle elles s’engagent à établir un mécanisme facilité par le CICR visant à organiser la libération de personnes détenues en relation avec le conflit. 

Ces exemples sont importants, et je les cite ici pour montrer comment le droit international humanitaire peut se traduire en actions concrètes qui atténuent les souffrances.

Les libérations de prisonniers, les évacuations de civils et les couloirs humanitaires ne sont pas seulement des actes de secours. Ils sont l’expression du droit international humanitaire en action, et souvent les premiers fils fragiles du dialogue entre parties belligérantes. Ils constituent une voie très concrète vers la paix.

Depuis 1934, le CICR a été mentionné dans environ 150 instruments de paix tels que des accords de cessez-le-feu, des accords de paix et d’autres cadres. Cela est principalement dû au rôle que nous jouons dans les mesures humanitaires prévues par les Conventions de Genève.

Comme cela a été démontré ces dernières semaines avec le cessez-le-feu conclu entre la Thaïlande et le Cambodge, le groupe des États de l’ASEAN offre une plateforme essentielle pour la résolution des conflits et la désescalade en Asie du Sud-Est – y compris, par exemple, le rapatriement des dépouilles humaines – à convenir et à mettre en œuvre.

Nous sommes résolument engagés à renforcer notre dialogue et notre coopération avec la Thaïlande et tous les membres de l’ASEAN afin de soutenir le respect du droit international humanitaire, car le CICR agit comme intermédiaire neutre – un rôle fondé sur notre mandat exclusivement humanitaire et rendu possible par le fait que nous dialoguons avec toutes les parties, quel que soit le camp sur lequel elles se trouvent.

Nous le faisons depuis plus de 160 ans.

Mesdames et messieurs,

Le droit international humanitaire n’est efficace que dans la mesure où les dirigeants ont la volonté de l’appliquer. 

Si les Conventions de Genève sauvent des vies – c’est là leur objectif – tous les États doivent alors redoubler d’efforts pour réaffirmer leur engagement sans faille au respect des règles de la guerre. 

Tout comme en 1949, lorsque les États se sont réunis à la suite des horreurs commises pendant la Seconde Guerre mondiale pour adopter les Conventions de Genève, la communauté internationale doit se rassembler aujourd’hui pour réaffirmer son engagement à respecter ce cadre juridique. 

Il ne s’agit pas là d’un geste symbolique. Il s’agit de protéger les générations futures d’une forme de guerre de plus en plus violente. 

Le DIH doit devenir une priorité politique.

En septembre dernier, l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, la France, la Jordanie et le Kazakhstan ont lancé, conjointement avec le CICR, une initiative mondiale visant à revitaliser l’engagement politique en faveur du DIH.  Depuis, plus de 70 États se sont associés à cet effort.

Parmi eux, 24 États ont proposé de présider sept groupes de travail thématiques aux côtés des équipes juridiques du CICR. Ensemble, ils s’emploient à élaborer des recommandations pratiques visant à renforcer le respect du DIH. 

Il s’agit notamment des thèmes suivants :

  • Définir les bonnes pratiques en matière de prévention des violations,
  • Fournir un appui aux commissions nationales de DIH,
  • Étudier la manière dont le DIH peut contribuer aux efforts de paix,
  • Renforcer la protection des infrastructures civiles, dont les hôpitaux,
  • Répondre aux défis que représentent les communications et les technologies de l’information,
  • Étudier les conséquences humanitaires des guerres maritimes modernes. 

Depuis le début de l’année, 130 États ont participé à des consultations sur ces thèmes. Les 24 États qui coprésident ces groupes travaillent actuellement en étroite collaboration avec le CICR afin de synthétiser et présenter les premiers résultats dans les prochains mois. 

Ces discussions ont montré qu’il existait un large soutien en faveur d’une interprétation du droit international humanitaire qui soit protectrice plutôt que laxiste. 

Ce travail se poursuivra l’année prochaine et se conclura en 2026 par une réunion de haut niveau dont l’objectif sera de préserver l’humanité en temps de guerre.

Je tiens aujourd’hui à féliciter la Thaïlande d’avoir rejoint cette initiative. Votre pouvoir mobilisateur sera essentiel pour encourager les États membres de l’ASEAN et d’autres à rejoindre cette initiative vitale, et nous nous réjouissons de travailler avec vous alors que nous progressons vers la tenue de cette réunion internationale. 

En ma qualité de présidente du CICR, on me demande souvent si le DIH est encore pertinent aujourd’hui ou si le nouvel ordre mondial nécessite une nouvelle série de règles. 

Voici ma réponse : le DIH n’est pas une relique du passé. C’est un corps de droit bien vivant, conçu pour protéger la dignité humaine quand cela est le plus difficile. Il contient le principe selon lequel toute vie humaine – d’un côté comme de l’autre de la ligne de front – mérite d’être protégée. 
 

Les principes du DIH sont plus que jamais pertinents aujourd’hui alors que les guerres ont de plus en plus lieu dans des centres urbains, disposent de nouvelles technologies et comptent un nombre croissant d’acteurs. La nature de la guerre change peut-être, mais la nécessité de défendre les principes humanitaires de base en temps de guerre reste la même. 

La souffrance d’une mère obligée de regarder son enfant mourir de faim est exactement la même aujourd’hui qu’il y a 100 ans.

Chaque chef d’État a l’obligation juridique de faire tout ce qui est en son pouvoir – en tout temps – pour empêcher qu’une guerre ne s’intensifie jusqu’au point de non-retour. Ce qui s’est produit lors de la Seconde Guerre mondiale peut se reproduire si nous ne faisons pas suffisamment attention.

Aujourd’hui, alors que nous vivons une période marquée par la guerre, les États doivent agir ensemble en faveur d’une paix et stabilité retrouvées, en se fondant sur les cadres convenus au niveau international et un ordre mondial fondée sur des règles. Il faut agir avant qu’il ne soit trop tard.  

Je vous remercie.