Le Concours Pictet : sortir le droit des livres, deux éditions en 2021

Christophe Lanord - Administrateur et co-fondateur du concours Pictet

24 septembre 2020

Deux éditions du Concours Jean-Pictet en droit international humanitaire (DIH) auront lieu en 2021 : la 35e édition à Durrës, en Albanie, en avril et la 36e à Denpasar, en Indonésie, en septembre-octobre. Les spécialistes du DIH connaissent certainement le Concours Jean-Pictet, qui a permis la formation de 3900 étudiant-e-s depuis 1989 ; et connaissent tout aussi certainement Jean Pictet, cet immense nom du DIH, pilier du DIH moderne et principale tête pensante du CICR pendant près d'un demi-siècle. Pour les personnes moins familières avec le DIH, peut-être est-il utile d'expliquer ce qu'est le Concours.

Pendant une semaine, sur le lieu du Concours, des équipes de trois étudiant-e-s – généralement en droit, mais aussi en science politique, en relations internationales ou d'académies militaires – s'affrontent sur le thème du droit international humanitaire. Cet affrontement est pacifique, même si le thème est celui de la guerre : en plus de trente années, jamais deux équipes n'en sont venues aux mains pour régler un différend ! Les équipes jouent un rôle, tout comme le jury, pour la durée des épreuves.

Par cette méthode d'apprentissage, les équipes découvrent la réalité du DIH et ce qu'il implique pour les acteurs, qu'ils soient combattants, humanitaires, avocats ou responsables politiques. Selon la formule consacrée, le Concours a pour objectif de "sortir le droit des livres". En d'autres termes, la méthode consiste à sortir d'une vision purement livresque du droit et permettre aux participant-e-s de comprendre comment le droit est un outil au service d'un objectif précis. Par exemple, comment le DIH peut-il être utilisé par une organisation humanitaire à l'appui d'une activité de protection ? Comment un conseiller juridique auprès des forces armées peut-il utiliser le DIH pour soutenir la légalité d'une attaque contre tel ou tel bien, ou contre telles ou telles personnes, quelle que soit la dimension morale de cette attaque ? Dans les questions soumises à la sagacité des équipes, l'accent est souvent mis sur les zones grises et les dilemmes éthiques, afin de pousser les équipes à aller plus loin que ce qu'elles pourraient trouver dans des livres et la seule théorie.

Cette méthode d'apprentissage s'est sans aucun doute avérée efficace, car le concept a beaucoup essaimé dans le sillage du Concours Jean-Pictet : plusieurs dizaines de concours fondés de près ou de loin sur le même modèle existent aujourd'hui au niveau régional ou national. Le Concours Jean-Pictet n'en demeure pas moins à la pointe de l'innovation dans le domaine et il reste le plus vaste de ces concours. Ainsi, 89 équipes de 41 pays différents ont pris part aux deux éditions de 2020, en Indonésie. Le résultat – victoire des universités de Nouvelle-Galles du Sud (Australie) et de l'Université nationale de Singapour – est un succès incroyable pour les membres de ces équipes et récompense tant leur talent que leur travail. Pourtant, au-delà de cet aspect, ce qui importe encore plus se situe sur deux autres plans.

Premièrement, c'est l'apprentissage. Même l'équipe ayant le moins bien réussi en termes de compétition a énormément travaillé et appris au cours de la préparation et du Concours lui-même. L'investissement consenti permet d'atteindre une excellente connaissance du DIH, mais aussi de progresser sur d'autres compétences pas toujours enseignées dans les universités, par exemple le travail en équipe, la prise de parole en public ou la réflexion stratégique.

Deuxièmement, c'est la rencontre : entre des étudiant-e-s d'origines nationales et culturelles variées ; fréquemment, entre des personnes quittant leur pays natal pour la première fois ; et même, dans certains cas, entre des équipes qui n'auraient eu aucune chance de se parler sans le Concours, leurs pays respectifs ayant des relations difficiles, voire étant en guerre. Le Concours constitue alors une belle opportunité de rencontrer et d'échanger dans un cadre sûr et assez peu sujet à la politisation. Et favoriser "la compréhension mutuelle, l'amitié, la coopération et une paix durable entre tous les peuples" est bien inscrit dans le tout premier des Principes fondamentaux de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, à savoir le Principe d'humanité...

Ainsi, nombre de personnes ayant participé au Concours décrivent leur participation au Concours comme une semaine ayant profondément changé leur vie, en particulier grâce à la rencontre de personnes d'autres pays. Cet élément fut un des facteurs décisifs pour maintenir les éditions organisées à Bali en février-mars 2020, alors qu'une grande partie de la planète se dirigeait alors vers un confinement prolongé. C'est ce même facteur qui a conduit à décider d'organiser deux éditions en 2021, dans deux continents différents afin de faciliter le voyage des équipes et des volontaires de l'encadrement et de limiter les coûts, et en optant pour une formule en présentiel. Il reste à espérer que la situation sanitaire ne viendra pas déranger ces plans. Mais après tout, dans le domaine humanitaire, il faut être optimiste !

Pour plus d’informations : https://www.concourspictet.org


 À voir le film réalisé par la Délégation régionale du CICR à Paris (Blog L’humanitaire dans tous ses états), en 2016 :