Les mesures antiterroristes ne doivent pas entraver l’action humanitaire impartiale

Près de vingt ans après les attaques du 11 septembre 2001, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) se propose de passer en revue les différentes mesures antiterroristes adoptées par le Conseil de sécurité et d'autres instances, et d'apporter une perspective humanitaire et juridique au débat en évoquant les effets négatifs potentiels, les récents progrès accomplis et les éléments à améliorer dans l'élaboration de mesures antiterroristes.
Déclaration 19 janvier 2021

Déclaration du CICR lors du débat tenu au Conseil de sécurité de l'ONU sur le thème « Menaces contre la paix et la sécurité internationales résultant d'actes de terrorisme : coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme 20 ans après l'adoption de la résolution 1373 (2001) »

Cette année marque le 20ème anniversaire des attaques du 11 septembre 2001, de l'adoption de la résolution 1373 du Conseil de sécurité et de la création du Comité contre le terrorisme du Conseil de sécurité.

Le droit international humanitaire (DIH) interdit les actes de terrorisme. En tant qu'acteur humanitaire et gardien du DIH, le CICR condamne de tels actes quels qu'en soient les auteurs, et reconnaît la nécessité pour les États de prendre des mesures visant à garantir la sécurité de leurs citoyens.

Les mesures antiterroristes, si elles ne sont pas mûrement réfléchies et mises en œuvre avec précaution, peuvent cependant s'avérer néfastes pour les personnes ayant le plus besoin de protection et d'assistance humanitaire dans les conflits armés. Certaines mesures, en particulier les lois et les sanctions antiterroristes, peuvent criminaliser et restreindre l'action humanitaire impartiale ; de même, les clauses antiterroristes contenues dans les contrats de subvention, les mesures de réduction des risques prises par les banques et les régimes de sanctions ont pour effet de dissuader les intervenants de première ligne ou de les empêcher d'atteindre les populations en détresse. Les acteurs humanitaires actifs localement et leurs partenaires sont particulièrement concernés.

L'année dernière, les restrictions liées au Covid-19 sont venues s'ajouter aux mesures antiterroristes, rendant l'accès aux victimes encore plus difficile pour les organisations humanitaires impartiales. Selon nos estimations, plus de 60 millions de personnes vivent dans des zones contrôlées par des acteurs non étatiques. Avec les mesures antiterroristes et les restrictions liées au Covid-19, ces personnes et les autres victimes des conflits armés et de la violence sont encore plus difficiles à atteindre.

La capacité des acteurs humanitaires impartiaux comme le CICR à visiter les personnes détenues par « l'autre camp », récupérer les dépouilles, former les groupes armés au DIH, remettre en état les infrastructures d'approvisionnement en eau et les autres services essentiels pour la population civile et faciliter les échanges et les libérations de détenus est mise à mal.


Ces dernières années, le CICR a constaté des avancées positives avec l'adoption des résolutions 2462 et 2482, dans lesquelles le Conseil de sécurité reconnaît notamment les effets que les mesures antiterroristes peuvent avoir sur l'action humanitaire impartiale et engage les États à respecter le DIH dans le cadre de leur lutte contre le terrorisme. Ces résolutions exhortent également les États à « tenir compte » des « effets que ces mesures pourraient avoir » sur les activités humanitaires impartiales. Or, le rapport de la Direction exécutive du Comité contre le terrorisme et du Comité 1267 publié en juin 2020 constate que la plupart des États ne le font pas encore. Dans son rapport d'octobre 2020, la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste attire l'attention sur ce problème et met en avant des mesures que le Conseil de sécurité pourrait prendre.

D'autres démarches visant à protéger l'action humanitaire impartiale dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ont été entamées. Ces dernières années, certains États, comme le Tchad et la Suisse, ont adopté de nouvelles lois qui reconnaissent les effets des mesures antiterroristes et prévoient des moyens de les atténuer, notamment par le biais d'exemptions humanitaires. Un petit nombre de pays ont mis en place des consultations intersectorielles nationales entre les parties intéressées (notamment les ONG/acteurs humanitaires, les autorités responsables de la réglementation et le secteur privé), et des initiatives récentes telles que les réunions d'experts du Forum mondial de lutte contre le terrorisme permettent de mieux faire connaître ce type d'instances et de développer des bonnes pratiques.

Mais cela est loin d'être suffisant. D'autres exemptions humanitaires bien pensées peuvent être adoptées par davantage d'États et encouragées par le Conseil de sécurité. La meilleure solution consiste à mettre en place des exemptions permanentes couvrant les activités exclusivement humanitaires réalisées par les organisations humanitaires impartiales de manière conforme au DIH, plutôt que des mesures ad hoc qui peuvent s'avérer inefficaces et exiger beaucoup de temps et de ressources. Davantage de pays peuvent instaurer des consultations intersectorielles nationales. Davantage de régimes de sanctions peuvent intégrer des études d'impact humanitaire et des clauses de respect du DIH. Enfin, une meilleure réglementation permet d'éviter que les banques n'aillent au-delà de leurs obligations en matière de lutte contre le terrorisme.

En ce qui concerne les combattants étrangers et leurs familles, le CICR est particulièrement préoccupé par le sort des enfants. Les enfants touchés par les mesures antiterroristes, même s'ils sont accusés d'avoir commis des crimes, sont avant tout des victimes.

 Le CICR encourage les États à trouver des solutions qui tiennent compte de l'intérêt supérieur de ces enfants, en particulier en veillant à ce qu'ils ne soient pas séparés de leurs parents et de leurs frères et sœurs, en les rapatriant avec leur mère et leurs frères et sœurs, sauf si cela va à l'encontre de leur intérêt supérieur, et en s'abstenant de les poursuivre pour simple association avec un groupe armé. Ces enfants se trouvant dans une situation humanitaire extrêmement difficile, il est en effet essentiel qu'ils puissent se réinsérer dans leur communauté.

Le fait de désigner des personnes comme des « combattants terroristes étrangers » ou la nature terroriste des actes que ces personnes ont pu commettre ne peuvent en aucun cas être invoqués pour justifier le non-respect de la protection juridique qui leur est conférée par le droit international, en particulier le DIH. Les organisations indépendantes et neutres comme le CICR doivent avoir accès à ces personnes en détention, afin de pouvoir aider les autorités détentrices à faire en sorte qu'elles soient traitées avec humanité et dans le respect des règles et normes internationales applicables.

En cette année marquée par plusieurs anniversaires importants, il est temps de trouver un juste équilibre entre le DIH et l'action humanitaire d'une part, et les dispositions antiterroristes adoptées par le Conseil de sécurité et d'autres instances d'autre part. Le CICR prendra part avec détermination aux efforts déployés dans ce sens.