Pourquoi le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires est-il si important ?

Pourquoi le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires est-il si important ?

Article 19 janvier 2021

Ce 22 janvier 2021 marque l'entrée en vigueur du Traité sur l'interdiction des armes nucléaires, premier instrument de droit international humanitaire visant à remédier aux conséquences humanitaires catastrophiques de l'utilisation et de la mise à l'essai d'armes nucléaires.

Cette date est celle d'une victoire pour l'humanité, une victoire espérée par tous ceux qui mènent campagne depuis des décennies, et qui constitue sans doute l'une des premières bonnes nouvelles de 2021. Magnus Løvold, conseiller stratégique du CICR sur la question des armes nucléaires, nous  précise ce qui va changer avec l'entrée en vigueur du traité et ce qui va suivre.

1. Quels sont les pays qui ont ratifié le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires ?

Au 22 janvier 2021, 51 pays du monde entier ont ratifié le Traité ou y ont adhéré :

l'Afrique du Sud, Antigua-et-Barbuda, l'Autriche, le Bangladesh, Belize, le Bénin, la Bolivie, le Botswana, le Costa Rica, Cuba, la Dominique, l'Équateur, El Salvador, les Fidji, la Gambie, la Guyane, le Honduras, les Îles Cook, l'Irlande, la Jamaïque, le Kazakhstan, Kiribati, le Laos, le Lesotho, la Malaisie, les Maldives, Malte, le Mexique, la Namibie, Nauru, le Nicaragua, le Nigéria, Niue, la Nouvelle-Zélande, les Palaos, la Palestine, le Panama, le Paraguay, Saint-Kitts-et-Nevis, Saint-Martin, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Sainte-Lucie, le Samoa, la Thaïlande, Trinité-et-Tobago, Tuvalu, l'Uruguay, le Vanuatu, le Vatican, le Venezuela et le Viet Nam.

2. Quelles activités sont illégales au regard du Traité ?

À compter de la date d'entrée en vigueur du Traité sur l'interdiction des armes nucléaires – tel qu'il est officiellement nommé –, il est illégal d'employer, de menacer d'employer, de mettre au point, de mettre à l'essai, de produire, de fabriquer, d'acquérir, de posséder ou de stocker des armes nucléaires. Il est également illégal d'aider, d'encourager ou d'inciter quiconque, de quelque manière que ce soit, à se livrer à une activité interdite par le Traité. Dès le 22 janvier 2021, le Traité est juridiquement contraignant pour les 51 États qui l'ont ratifié ou y ont adhéré ; il le sera à l'avenir pour les États qui deviendront Parties.

Ce traité est le premier instrument de droit international qui vise à remédier aux conséquences humanitaires catastrophiques de l'utilisation et de la mise à l'essai d'armes nucléaires, en faisant notamment obligation aux États de fournir une assistance aux victimes des essais et de l'utilisation d'armes nucléaires et d'assainir les zones contaminées.

Le Traité donne force de droit à la conviction profonde, partagée par les États et la société civile, que toute utilisation d'armes nucléaires est inacceptable, quelle qu'en soit la justification.

En interdisant expressément et catégoriquement l'utilisation d'armes nucléaires, le Traité affirme avec force que tout recours à ces armes serait non seulement inacceptable d'un point de vue moral et humanitaire, mais aussi illégal au regard du droit international humanitaire (DIH).

3. Le Traité fait-il obligation aux États de détruire leur arsenal nucléaire ?

Oui et non. L'entrée en vigueur du Traité signifie que les États qui l'ont ratifié ou qui y ont adhéré sont juridiquement tenus d'en appliquer les dispositions. Les États détenteurs d'armes nucléaires devront soit les avoir détruites avant de rejoindre le Traité, soit s'engager à les détruire conformément à un « plan juridiquement contraignant et assorti d'échéances précises en vue de l'abandon vérifié et irréversible de [leur] programme d'armement nucléaire ».

Néanmoins, cette obligation ne prendra effet que lorsque les États détenteurs d'armes nucléaires auront rejoint le Traité, ce qu'ils n'ont pas encore fait.

 

Rejoignez-nous et dites non aux armes nucléaires.

 

4. Qu'est-ce que l'entrée en vigueur du Traité va changer, concrètement ? Va-t-elle radicalement réduire la menace nucléaire ?

Il existe déjà, au niveau international, un tabou fermement ancré condamnant l'emploi des armes nucléaires. Ce tabou a stigmatisé les armes nucléaires en tant que moyens de guerre inacceptables sur le plan moral, humanitaire et, désormais, juridique. C'est en partie pour cette raison que les armes nucléaires n'ont plus jamais été utilisées depuis les bombardements, en 1945, de Hiroshima et Nagasaki. Néanmoins, tant qu'il y aura des armes nucléaires, il y aura toujours un risque qu'elles soient utilisées intentionnellement, accidentellement ou par suite d'une erreur d'appréciation. À l'heure actuelle, ce risque va même croissant.

Ne nous leurrons pas : l'entrée en vigueur du Traité constitue un immense succès (en anglais) et une victoire importante, mais elle vient également marquer un nouveau départ de l'action visant à renforcer le tabou qui entoure l'utilisation de l'arme nucléaire. Il serait donc illusoire de s'attendre à ce que le Traité donne naissance dès demain à un monde sans armes nucléaires.

Le Traité devrait plutôt être vu comme le point de départ d'une action à long terme – engagée sur le plan humanitaire moral et juridique – qui vise à réaliser le désarmement et la non-prolifération nucléaires. C'est ainsi que fonctionne le droit international.

Certes, dans le passé, d'autres traités interdisant l'emploi d'armes spécifiques ont imposé une nouvelle norme qui a entraîné une modification des politiques gouvernementales, commerciales et bancaires dans des pays qui n'y avaient pourtant pas adhéré. Les interdictions du Traité établissent une norme claire, constituant un repère à l'aune duquel seront jugés tous les efforts visant à assurer l'avènement d'un monde exempt d'armes nucléaires.

5. Aucun des États détenteurs d'armes nucléaires n'a encore signé le Traité. Que représente-t-il pour eux ?

Le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires consacre le tabou relatif à l'utilisation de ces armes. À ce titre, il incite de manière plus pressante les États qui en sont dotés à réduire et, à terme, éliminer leurs arsenaux nucléaires, conformément à leurs engagements et leurs obligations au titre du droit international et en particulier du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).

Le Traité représente aussi, pour les partisans de l'interdiction et de l'élimination des armes nucléaires, un formidable levier d'influence. Quel que soit le délai que l'on se fixe pour débarrasser à jamais le monde de la menace nucléaire, on ne pourra y parvenir qu'en s'appuyant sur une norme de droit qui interdit expressément les armes nucléaires.

6. Qu'adviendrait-il d'un pays qui déciderait malgré tout de lancer une attaque nucléaire ?

Compte tenu de la catastrophe humanitaire sans précédent qu'engendrerait toute utilisation d'armes nucléaires, une telle attaque susciterait l'effroi et serait condamnée par l'ensemble de la communauté internationale. C'est précisément en raison de ces effets dévastateurs d'une ampleur inimaginable qu'aucun pays n'a eu recours à l'arme nucléaire depuis 75 ans.

Conformément aux conclusions du CICR, il est difficilement concevable – au regard des conséquences humanitaires catastrophiques de ces armes – que leur utilisation puisse un jour être conforme au droit international humanitaire. C'est pour cette même raison qu'aujourd'hui nous devons agir pour empêcher toute explosion nucléaire en excluant l'utilisation et la mise à l'essai de ces armes du champ des possibilités.

7. Quelles sont les principales différences entre le TNP et le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires ? En quoi le second complète-t-il le premier ?

En posant des jalons en vue de l'élimination des armes nucléaires, le Traité constitue une avancée concrète vers la mise en œuvre pleine et entière des obligations fixées par le TNP en matière de désarmement. Toutefois, le TNP est généralement considéré comme un « grand marché » aux termes duquel les États non dotés de l'arme nucléaire s'engagent à renoncer à l'acquérir en échange, notamment, de l'obligation juridiquement contraignante faite aux États qui en sont dotés de prendre des mesures de désarmement et, à terme, d'éliminer leurs armes nucléaires.

Le Traité, quant à lui, interdit catégoriquement et totalement les armes nucléaires, et ses dispositions s'appliquent à tous les États parties, qu'ils soient ou non en possession d'armes nucléaires lorsqu'ils rejoignent le Traité.

Il est important de noter que le Traité interdit également l'emploi d'armes nucléaires, alors que le TNP se concentre sur leur transfert, leur fabrication et leur acquisition.

8. Le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires ne supplante-t-il pas le TNP ?

Loin de supplanter le TNP, le Traité le complète et sert ses objectifs en matière de non-prolifération et de désarmement nucléaires. En effet, en interdisant expressément et totalement les armes nucléaires, le Traité instaure un frein supplémentaire à leur prolifération. À ce titre, il constitue une avancée concrète en faveur de la mise en œuvre de l'obligation de poursuivre des négociations sur des mesures efficaces relatives au désarmement nucléaire, telle qu'énoncée à l'article VI du TNP.

Si l'on veut que le TNP demeure la pierre angulaire de la lutte pour le désarmement nucléaire, il faut concentrer les efforts sur la mise en œuvre pleine et entière des obligations découlant de son article VI, et en particulier sur celle des engagements en matière de désarmement et de réduction des risques formulés dans le Plan d'action de la Conférence d'examen du TNP de 2010.

9. Quelle est la prochaine étape de la lutte contre les armes nucléaires ?

L'entrée en vigueur du Traité marque un nouveau départ de l'action visant à instaurer un monde exempt d'armes nucléaires. Nous devons désormais nous employer, dans les prochaines années et décennies, à promouvoir le respect des interdictions établies par le Traité. C'est précisément la tâche qui nous incombe aujourd'hui. Chaque signature et chaque ratification constitueront un pas de plus vers la réalisation du potentiel du Traité. Nous devons veiller à ce que ses dispositions soient rigoureusement mises en œuvre par les Etats parties.

Nous devons en outre continuer d'exhorter les États détenteurs d'armes nucléaires et ceux qui leur sont alliés à prendre des mesures pour réduire le risque d'utilisation d'armes nucléaires – en abaissant le seuil d'alerte opérationnelle des armes nucléaires et en diminuant le rôle des armes nucléaires dans leurs politiques de sécurité et leur doctrines militaires, notamment – et, bien sûr, à long terme, à signer et ratifier le Traité.

Plus concrètement, l'entrée en vigueur du Traité marque le coup d'envoi de la phase de mise en œuvre, entraînant l'obligation, pour les États parties, de déclarer dans un délai d'un mois s'ils possèdent des armes nucléaires et, si c'est le cas, d'expliquer comment ils prévoient d'éliminer leur arsenal nucléaire. Une première réunion des États parties doit être organisée dans les 12 mois suivant l'entrée en vigueur du Traité ; elle permettra d'inciter d'autres États à devenir Parties au Traité et fournira d'importantes occasions d'examiner les mesures à mettre en place pour aider efficacement les victimes et survivants des essais et de l'utilisation d'armes nucléaires, ainsi que pour assainir les zones contaminées par les radiations.

Enfin, il importe de se souvenir que le témoignage des souffrances et des dommages causés par les armes nucléaires constitue la raison la plus convaincante de leur interdiction et de leur élimination. Nous devons donc poursuivre la sensibilisation à l'impact catastrophique des armes nucléaires sur le plan humanitaire, ainsi qu'à la nécessité de protéger les générations actuelles et futures contre les dangers de ces armes, les plus terrifiantes jamais inventées.

Nous n'avons pas les moyens de nous préparer à faire face aux conséquences catastrophiques d'une explosion nucléaire. Or, il est de notre devoir de prévenir ce à quoi nous ne sommes pas en mesure de nous préparer. À ce jour, 86 États ont signé le Traité et 51 l'ont également ratifié ou y ont adhéré, mais notre travail ne sera pas terminé aussi longtemps que tous les États n'auront pas rejoint le Traité.

10. Pourquoi faut-il interdire les armes nucléaires ?

Les armes nucléaires doivent être interdites car elles ont des conséquences humanitaires inacceptables et constituent une menace pour l'humanité. La réalité est simple : la communauté internationale ne peut en aucun cas espérer pouvoir maîtriser l'impact de l'utilisation d'armes nucléaires

Aucun pays n'est prêt à faire face aux conséquences humanitaires qu'engendrerait une explosion nucléaire. Les effets d'une telle explosion, notamment les retombées radioactives emportées par les vents, ne peuvent pas être confinés à l'intérieur des frontières nationales.

De la même manière, aucune organisation internationale ne serait à même de faire face aux conséquences humanitaires immédiates et à long terme d'une explosion nucléaire, en particulier si celle-ci se produisait au cœur ou à proximité d'une zone peuplée, ni de répondre de manière adéquate aux besoins des victimes. Compte tenu de l'ampleur des souffrances et des destructions qu'entraînerait une telle explosion, il serait sans doute impossible, même avec la meilleure volonté du monde, de mobiliser les capacités d'assistance requises.

11. Concrètement, quels seraient les effets d'une guerre nucléaire ?

Tout d'abord, il faut savoir que l'onde de choc, la vague de chaleur, les radiations et les retombées radioactives générées par une explosion nucléaire provoquent d'innombrables morts et qu'elles ont, sur le corps humain, à court et à long terme, des effets dévastateurs auxquels, à l'heure actuelle, nos services de santé ne peuvent remédier de manière adéquate.

Ensuite, si une explosion nucléaire venait à se produire, en particulier au cœur ou à proximité d'une zone peuplée, elle engendrerait une vague massive de déplacements et porterait durablement préjudice à l'environnement, aux infrastructures, au développement socioéconomique et à l'ordre social. Il faudrait plusieurs dizaines d'années pour reconstruire les infrastructures et remettre sur pied l'activité économique, le commerce, les réseaux de communication, les structures de santé et les écoles.

Enfin, grâce aux techniques modernes de modélisation environnementale, il a été démontré que même l'utilisation « à petite échelle » de ces armes – une centaine d'ogives nucléaires – entraînerait, outre la propagation de radiations à travers le monde, un refroidissement de l'atmosphère, un raccourcissement des saisons agricoles, des pénuries alimentaires et, à terme, une famine à l'échelle planétaire. Voilà pourquoi les armes nucléaires constituent une menace pour l'humanité tout entière, et pas uniquement pour les pays qui seraient la cible d'une attaque.

12. Que puis-je faire, à titre individuel, pour faire en sorte que mon pays/d'autres pays ratifient le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires ?

Chaque citoyen peut contribuer à faire mieux connaître les risques liés aux armes nucléaires en inscrivant cette thématique au programme des organisations civiles, religieuses, sociales, etc., auxquelles il/elle appartient, en diffusant dans les médias sociaux les contenus élaborés par le CICR sur la question, et en encourageant les médias locaux à relayer les préoccupations suscitées par la menace nucléaire.

Chacun·e peut aussi, dans la mesure où les règles en vigueur dans son pays le lui permettent, interpeller des acteurs à même d'influencer les décideurs sur la question des armes nucléaires ou demander directement aux responsables politiques de s'acquitter des engagements pris de longue date en faveur de la réduction et de l'élimination des arsenaux nucléaires, d'adhérer au Traité sur l'interdiction des armes nucléaires et de prendre de toute urgence des mesures pour réduire le risque que ces armes soient à nouveau utilisées.